Si vous voulez être emportés sur l'Everest et y vivre de grandes aventures, ne lisez pas ce livre.
Mais si vous souhaitez vous informer et réfléchir sur la vie des sherpas, allez-y !
Cet ouvrage n'est donc pas un récit d'aventures ; il ne raconte ni les épopées sur l'Everest ni la vie de tel ou tel héros.
Sherpas, fils de l'Everest est le fruit d'un gros travail, les annexes en fin d'ouvrage en témoignent : bibliographie, filmographie, documents et articles, sans compter les nombreux remerciements adressés aux personnes qui ont été interrogées ou ont aidé d'une façon ou d'une autre.
Les deux auteurs nous donnent beaucoup d'informations. Beaucoup d'éléments qui permettent d'avoir une vue historique et sociologique de la condition des sherpas qui ont lié leur vie à L'Everest.
Elles n'analysent pas et donnent seulement les éléments bruts : on peut le regretter, mais c'est un parti pris. Libre au lecteur de réfléchir, de creuser un aspect qui l'intéresse, et de se faire une opinion.
Pour commencer, il faut bien savoir de quoi ou plutôt de qui il est question.
Connaissez-vous la différence entre sherpa et Sherpa ?
En préambule,
Patricia Jolly et
Laurence Shakya écrivent que "Tous les sherpas ne sont pas des Sherpas, et les Sherpas ne sont pas tous sherpas..."
Les Sherpas forment un peuple, et puisque c'est parmi ces Sherpas que sont recrutés de nombreux porteurs d'altitude, le mot "sherpa" sans majuscule, désigne aujourd'hui par extension ces fameux porteurs... qu'ils soient Sherpas ou non.
Sans sherpas, pas d'Everest. Ou du moins, pas ou peu d'alpinisme sur l'Everest, car ils sont indispensables aux grandes expéditions.
Portage de matériel, montage de camps, préparation des repas et tant d'autres tâches que les équipes ne peuvent pas assumer seules.
Les alpinistes ne sont pas tous
Reinhold Messner qui en 1978 fut le premier à gravir l'
Everest sans oxygène avec son seul coéquipier Peter Habeler. L'alpiniste italien récidiva même deux ans plus tard, toujours sans oxygène, mais cette fois en solitaire !
Les alpinistes n'ont pas tous les capacités et le talent de
Reinhold Messner, et l'on peut facilement comprendre qu'ils organisent de lourdes expéditions engageant de nombreux sherpas.
Mais là où cela devient grotesque, c'est lorsque des personnes n'ayant ni l'expérience nécessaire, ni le niveau physique et technique veulent se payer le toit du monde.
Oui, "payer", au sens propre.
La nature humaine étant ce qu'elle est, certains pensent que tout peut s'acheter ; de l'autre côté, là où il y a de l'argent à gagner se trouvent toujours des hommes prêts à tout pour en profiter.
En quelques années, les agences accompagnant les clients sur l'Everest se sont multipliées et elles rivalisent durement pour attirer ceux qui ne regardent pas à la dépense pour satisfaire leurs envies : "Étrangers comme Népalais, certains organisateurs d'expéditions rivalisent d'initiatives pour attirer une clientèle VIP prête à débourser 130 000 dollars (plus de 110 000 euros) pour accrocher le sommet à son tableau de chasse. WiFi, boulangers-pâtissiers et chefs cuisiniers, ravitaillement en produits frais assuré chaque jour par hélicoptère, tentes aux allures de véritables suites chauffées avec lit, bureau et douche brûlante... Ces clients fortunés peuvent même, une fois leur acclimatation achevée, jouir d'un aller-retour héliporté à Katmandou pour profiter du confort d'un hôtel de luxe avant de s'élancer, frais et dispos, à l'assaut de la montagne."
Là, on fait plus que friser le ridicule, non ?
Où est l'esprit de l'alpinisme ?
Où est l'aventure ?
Où est l'éthique, lorsque l'on sait que de nombreux sherpas sont employés pour préparer le parcours ? "Sécuriser" la cascade de glace, équiper certains passages d'échelles et de cordes fixes.
Quelle tristesse !
Nous sommes bien loin de Messner. À des années-lumières de l'expédition britannique victorieuse de l'Everest en 1953.
Un mépris total de la loyauté vis à vis de l'alpinisme.
Mais très souvent aussi un mépris des règles de sécurité.
Le business des agences engendre une concurrence effrénée qui amène à tirer les prix, quitte à prendre des risques inouïs.
À propos de risques : des compagnies d'hélicoptères de secours se sont également développées, dont certaines sont soupçonnées d'être de connivence avec des agences.
La nature humaine est vraiment désespérante !
Patricia Jolly et
Laurence Shakya nous montrent l'envers du décor, des faits et comportements pas toujours jolis-jolis, mais il y a aussi dans ce livre des aspects plus lumineux, heureusement !
Elles nous offrent une vue intéressante, non pas sur les montagnes, mais sur l'histoire et la vie des sherpas qui oeuvrent sur l'Everest : conditions de travail, sécurité, assurances en cas d'accident, rémunération...
On peut toujours vouloir en apprendre plus, mais on trouve en relativement peu de pages bon nombre de faits et de données utiles pour qui s'intéresse à l'histoire de l'alpinisme et ses à-côtés.
Pour ceux qui veulent un peu mieux comprendre le fonctionnement des agences,
Tragédie à l'Everest de
Jon Krakauer, cité par les auteurs, est un incontournable auquel le livre de la danoise
Lene Gammelgaard, "
Là-haut. Une femme sur le toit du monde" offre un éclairage complémentaire intéressant.
Et pour ceux qui veulent rêver et revivre de véritables aventures, je conseille
Au sommet de l'Everest d'
Edmund Hillary et
Victoire sur l'Everest de
John Hunt. Des merveilles !