Entre le 30 septembre et le 4 octobre 1935, Jung a donné une série de cinq conférences aux médecins de la clinique Tavistock, parmi lesquels se trouvait notamment le psychologue logicien mystique
Wilfred R. Bion (coucou).
Jung présente ici sa psychologie analytique à une époque charnière, entre l'aboutissement de la première phase de maturation de son approche positiviste et l'émergence d'une seconde phase valorisant l'intégration à sa réflexion des formes de représentations issues des religions, des mythes et des symbolismes universels. Jung maîtrise donc son corpus – qui prend presque la forme d'un système – et il le présente progressivement au cours des premières conférences : définition de la conscience, de
l'inconscient personnel et de
l'inconscient collectif, rôle du transfert et des rêves dans la psychothérapie, présentation des résultats issus des tests d'associations de mots, etc. Jung évacue la question de sa filiation reniée à
Freud en évoquant le relativisme des tropismes conduisant chacun à élire certaines formes de « psychologies » plutôt que d'autres – thème qui avait déjà été développé dans les «
Types psychologiques ». Les questions des auditeurs, lors de chaque temps accordé aux discussions, laissent transparaître le soupçon d'un doute : les différences qui séparent les conceptions que se firent Jung et
Freud de
l'inconscient ou du transfert, par exemple, sont trop importantes pour pouvoir être contournées par quelques pirouettes rhétoriques. C'est pourtant bien de cette façon-là que Jung esquive le débat de fond. Jung se fiche comme d'une guigne que ses auditeurs puissent n'être pas conquis par ses idées : cela viendra, et sinon tant pis pour eux.
Jung trouve une profonde jouissance à voir s'articuler son système de psychologie analytique dans le sens d'un mysticisme de
l'inconscient. L'évidence se révèle au fil des lectures : l'oeuvre de Jung est un discours d'amour, une oeuvre de désir, pour son désir, mais présenté comme si elle pouvait avoir une portée objectivable, à chacun applicable. Jung est de ces hommes qui « simplement […] ne savaient pas où ils allaient, mais [qui] pour être amoureux de leur inconscient, […] l'étaient ! » - « Ils s'imaginaient que c'était la connaissance. » Pour cette raison, Jung s'échine à instruire ses auditeurs, comme si la chute en amour pouvait être ordonnable. Il leur apprend le sens des symboles, il leur donne les trucs pour soigner la schizophrénie, il leur explique le sens de la religion et il rappelle que sa connaissance encyclopédique autorise peu l'objection. Jung est amoureux de son inconscient et semble parfois mal comprendre que d'autres ne tombent pas instantanément amoureux de cet inconscient.
La dernière conférence indique déjà quel sera le tournant des recherches de Jung dans la dernière partie de sa vie. Puisque les grandes religions sont des systèmes psychothérapeutiques, nous dit-il, la psychothérapie doit insuffler dans l'âme des hommes la foi que la religion ne semble plus pouvoir lui transmettre. L'individu devient le créateur de ses propres images divines et ainsi, espère Jung, pourra-t-il lui aussi devenir amoureux de son inconscient – car tel est le plus noble mirage qu'il soit selon lui possible de rejoindre. le problème de la fascination pseudo-amoureuse, c'est qu'il suffit de quelques écarts de signifiants pour que le fantasme déchoie, entraînant le sentiment dans sa perte. Cela peut arriver, mais de tout cela, Jung ne pouvait évidemment en parler, sous risque que le charme en soit quelque peu floué.