De retour aux Etats-Unis, il va falloir à Alice Burns plusieurs années afin de parvenir à surmonter le traumatisme de son séjour en Irlande.
Retraite dans un lycée dans la campagne du Vermont en tant que professeur puis, New-York, sa ville d'élection, dont elle ose enfin affronter la vie trépidante, en tant qu'assistante d'édition, occupation dans laquelle elle va mobiliser toutes les ressources de son intelligence et de son imagination, pour parvenir à une reconnaissance professionnelle qui va lui apporter assurance, à défaut de sérénité.
Et
Douglas Kennedy s'y entend, par le prisme de la vie de son héroïne, pour évoquer pêle-mêle, les tourments de la vie familiale - « on nous répète sans cesse que le bonheur est le but ultime auquel chacun doit aspirer – parents et enfants, frères et soeurs ensemble. Une famille heureuse. Et pourtant …la famille est si souvent un lieu d'obscurité, où seules de rares lueurs osent apparaître fugitivement » - les aléas de la politique éditoriale, les affres du romancier en galère d'inspiration, le capitalisme décomplexé triomphant et les grenouillages financiers - « Nous sommes en l'an de grâce 1982 .
Ronald Reagan est à la Maison Blanche, Maggie
Thatcher au 10 Downing Street. Les affaires sont en plein essor pour tous ceux qui arrivent à se procurer une part du gâteau, et l'argent est la lingua franca de notre ère. » - pour finir en apothéose par de saignants et sordides réglements de compte familiaux !
Douglas Kennedy se plaît à brosser le tourbillon de la vie new-yorkaise, cette ville qui ne dort jamais et se déchaîne dans un incessant tumulte, réglé par la vanité, le besoin hystérique de paraître, et l'affairisme des yuppies aux dents longues, avec des aphorismes tels que : « C'est ton attitude qui détermine ton altitude ».
Le tout superbement conté et exprimé avec fluidité par la plume acérée de celui qui connaît fort bien les dessous de l'american way of life.
On y retrouve à la sauce des années 80 une partie des thèmes évoqués dans «
la poursuite du bonheur », roman dont les péripéties se passent dans les années 50 en pleine chasse aux sorcières et où l'homophobie fait rage dans un New-York d'après-guerre en effervescence culturelle.
Ici, dans ces années 80 évoquée par l'auteur, il ne s'agit plus d'homophobie mais d'explosion du Sida, peste alors mystérieuse, apparemment réservée aux homosexuels, laissant les médecins désemparés et
Douglas Kennedy évoque avec pudeur et empathie le destin brisé de ces hommes dont le corps se dégrade inéluctablement.
Au final donc, les 3 volumes de cette « symphonie du hasard » forment une fresque passionnante, menée avec énergie par un auteur en verve, qui nous sert, de Nixon à Reagan (hors la parenthèse irlandaise) sa vision désenchantée de 10 ans d'histoire américaine, avec incursion dans un Chili en crise noyauté par la Cia.
« à suivre » annonce l'auteur après le point final, mais l'histoire pourrait parfaitement se clore là où
Douglas Kennedy l'a menée.