AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,33

sur 604 notes
5
45 avis
4
20 avis
3
15 avis
2
3 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'ai mis du temps à lire ce roman et davantage à écrire cette chronique: souvent les mots me manquaient. Ce n'est pas le premier récit sur les déportations que je lis, mais je dois dire que j'ai trouvé le roman de Kertesz particulièrement perturbant

Ce roman, à la première personne (car ce n'est pas un livre de témoignages) relate l'expérience des camps. de son arrestation, à Budapest, à la libération de Buchenwald, un adolescent a vécu le cauchemar d'un temps arrêté et répétitif, victime tant de l'horreur concentrationnaire que de l'instinct de survie qui lui fit composer avec l'inacceptable

Après quelques pages, ma première réflexion a été: "tiens, mais c'est un roman kafkaïen !" 🤔 C'est que Kertesz emporte son lecteur dans son expérience mais la transpose non pas comme s'il en témoignait, mais comme s'il la revivait intégralement. Kertesz ne se pose jamais la question du "pourquoi", il décrit simplement le « comment ». Imre Kertész ne veut ni témoigner ni "penser" son expérience mais recréer le monde des camps, au fil d'une impitoyable reconstitution immédiate dont la fiction peut seule supporter le poids de la douleur

✍🏻En ce sens, j'ai pensé à Camus: déconstruire la fiction pour dire le réel. C'est une écriture limpide, presque transparente, et même si elle peut contenir diverses analyses, je la trouve aussi simple et efficace, sans fioriture. Une écriture dénudée. Ce procédé est d'une efficacité redoutable pour montrer la logique interne d'un système, la manière dont il fabrique des forçats de la mort

J'ai traversé ce livre comme j'aurais traversé un épais nuage, le noeud au ventre. Arrive le dernier chapitre, le retour de l'adolescent à Budapest: ce chapitre est d'une beauté absolue, 💛bouleversant, m'a mise K.O. Héritier de Nietzsche: il y a du bonheur dans les camps, nous dit-il. Voilà une philosophie affirmative, même dans l'horreur: pour ne jamais oublier.

13 ans pour écrire ce récit qui fera polémique à sa publication. Ce n'est ni un roman, ni un témoignage mais un destin que ce 🏆prix Nobel de la littérature partage avec nous: nous qui sommes de l'autre côté des barbelé
Lien : https://www.instagram.com/le..
Commenter  J’apprécie          20
J'ai lu ce livre pour mes cours sans m'attendre à quelque chose de grandiose, blasée par les innombrables lectures inintéressantes qu'on propose depuis le collège, mais en fait j'ai été très surprise de me laisser embarquer très facilement à la suite de ce jeune homme. J'ai particulièrement apprécié le côté "oui le camp c'était horrible mais pas tant que ça". Certes, quand on décrit les camps de concentrations ça à l'air franchement pénible. Pourtant le narrateur montre quand même des côtés "plus souples" et que c'est comme partout : tu fais ton travail et tu respecte les règles, tu n'as pas de soucis. Bon c'est un peu exagéré dit comme ça mais moi ça m'a fait réfléchir au fait que des gens sont restés des années et des années dans ces camps et qu'ils se sont simplement habitués à leur situation, comme on s'habitue à une contrariété passagère justement parce qu'elle est passagère. Je ne sais pas trop comment décrire ce que j'en ai pensé en fait, ni ce qui m'a vraiment fait réfléchir ou à quoi ça m'a fait réfléchir mais le fait est que, lorsque j'ai refermé le livre, mon esprit bouillonnait de mille pensées.
Je pense que c'est à lire si on aime bien les livres du genre de "si c'est un homme" de Primo Lévi (d'ailleurs, c'est marqué sur la quatrième de couverture et je suis parfaitement d'accord)
Commenter  J’apprécie          20
Un récit rigoureux et apparemment distancié de l'enfer concentrationnaire par un e victime.
Commenter  J’apprécie          20
Le récit autobiagraphique du prix Nobel de littérature 2002, raflé à Budapest en 1944, déporté à Aushwitz à 14 ans.
Lentement l'adolescent prend conscience des fours crématoires et de l'idéologie nazie.
Kortez a su 20 ans après ces évènements retrouver sa candeur et le cheminement qui l'a conduit à regarder le cauchemar en face.
Commenter  J’apprécie          20

La première fois que je t'ai lu, je n'ai pas su si je pouvais t'aimer ou si je devais te détester. Ce devait être en 2002, il y a donc près de vingt ans et moi j'en avais un peu plus de quarante, parce que c'est l'année où Imre Kertesz a reçu le prix Nobel et qu'il a dû me tomber sous les yeux suffisamment d'articles te signalant comme « son chef d'oeuvre » pour m'inciter à aller te flairer dans une librairie et repartir avec toi. Je ne connaissais pas l'auteur et j'ai difficilement surmonté l'idée que son Nobel était une récompense de sa déportation et, à ce compte là, pensai-je, pourquoi le prix n'avait-il pas été donné à Primo Levi - sans compter qu'il s'était suicidé, naturellement. Ton sujet, le témoignage d'un survivant des camps, ne me rebutait pas, au contraire. Je n'avais rien perdu du visionnage et des débats sur Shoah de Claude Lanzmann, de la série Holocauste, des films le choix de Sophie, La liste de Schindler et La vie est belle, et si j'avais raté le livre d'Hannah Arendt sur le procès d'Eichman à Jérusalem (ce qui est étonnant puisque je venais justement de travailler un an avec Rony Brauman et Eyal Syvan qui en avaient tiré un documentaire), j'avais lu bien sûr Si c'est un homme et Les naufragés et les rescapés de Primo Levi ainsi que Quel beau dimanche ! de Jorge Semprun.
Je pensais donc savoir à peu près tout ce qu'on pouvait savoir sur les camps et, de ce point de vue, j'avais raison, tu ne m'as pas révélé la zone grise que préfère ignorer le devoir de mémoire. Pour la raison que tu te situes au-delà de cette zone grise où toutes les victimes ne sont pas innocentes.
Je t'ai lu rapidement, pressé sans doute d'échapper au malaise que ta lecture me causait. Quel est donc ce malaise qui émane de toi que bien des lecteurs ont dû comme moi ressentir – même si la critique, française tout du moins car j'ai lu depuis qu'il n'en était pas de même en Allemagne, l'ignore superbement ? C'est un dérangement lié à la posture du héros-narrateur qui, contrairement à ceux de Levi, Semprun, Wiesel et des autres, s'exprime avec une déroutante désinvolture exempte de pathos, de recul sur les événements qu'il vit, de compassion, de culpabilité et de honte. Je dirais que ton humanité n'est pas humanitaire. Elle est palpable, et même exceptionnellement palpable, mais elle est étrangère à toutes les valeurs réconfortantes de l'humanisme. de sorte qu'en tant que lecteur, j'étais captivé par ton héros mais désarçonné par ton narrateur. Je te ressentais comme de la bonne, de la très bonne littérature puisque tu débordais d'humanité vraie, mais je ne t'aimais pas vraiment, et j'en arrivais même parfois à te détester d'être le porte-voix d'un sauvageon, certes innocent dans ses actes mais non pas exemplaire dans ses pensées. Oui, je me souviens que m'a traversé l'esprit à plusieurs reprises l'idée que tu pouvais être un livre malsain. Aujourd'hui, je ne suis pas fier de devoir admettre que les reproches que je t'adressais n'étaient pas très éloignés du registre des censeurs staliniens bornés qui refusèrent ta publication, ainsi que ton auteur le raconte dans le refus, au motif que « si le roman ne devient pas pour le lecteur une expérience bouleversante, c'est en premier lieu à cause des réactions pour le moins bizarre du héros ».
Pendant les années qui suivirent, je n'ai pas eu l'idée de te relire pour éclaircir le malaise que tu me causais. Ce n'est pas que je ne voulais pas parler de toi, c'était que je ne voulais pas que tu me parles, je ne voulais pas t'entendre me parler. Alors, lorsqu'il arrivait qu'on parle de toi, je me faisais un devoir de faire ton éloge littéraire, non sans te qualifier de « dérangeant ». Je situais confusément ce dérangement dans un passage qui me restait à l'esprit : le déroulement de la sélection de ton convoi de déportés au bout du quai de la gare d'Auschwitz.
La scène de la sélection est un classique des récits écrits, racontés ou filmés sur les « camps de la mort », comme on dit, avant justement que la sélection opère une distinction entre le camp d'extermination et le camp de concentration: à gauche, Birkenau ; à droite, Auschwitz. Il ne peut pas y avoir de récit de survivant de Birkenau puisque Birkenau est le nom de la mort quasi instantanée, une mort qui ne laisse aucune miette de vie, ces miettes dont on fait des récits.
Dans cette scène de la sélection telle que tu la racontes, je me souvenais que le héros se comportait comme un adolescent plus habité par l'égoïsme et la malignité que par l'innocence et la compassion. Voici les extraits les plus significatifs de ce passage que tu déroules sur trois pages (c'est moi qui écrit en italiques certains mots, ceux qui me paraissaient dérangeants)
- « Soudain, j'ai vu deux groupes séparés, là-bas devant. le plus important, à droite, se composait de personnes diverses, et à gauche le plus petit et en quelque sorte le plus plaisant comprenait entres autres des garçons de notre groupe. A première vue, ces derniers, du moins à mes yeux, avaient été déclarés aptes.
- « Juste devant moi, il y avait Moskovics – lui, le docteur lui a immédiatement montré l'autre direction. Je l'ai encore entendu essayer d'expliquer…. Quant à moi, je le voyais bien, le médecin me regarda plus soigneusement, me pesant d'un regard grave et attentif. Je bombais le torse pour lui montrer ma cage thoracique et – je m'en souviens – j'ai même souri un peu, là, comparé à Moskovics.
- « Je sentais que je luis plaisais bien…il m'a envoyé parmi les aptes. Les gars m'ont fait un triomphe, ils riaient de joie. Et à la vue des ces visages rayonnants, j'ai compris la différence qui séparait notre groupe de ceux d'en face : la réussite, si je ne m'abusais.
- « J'ai vite compris le travail du docteur. Un vieil homme arrive, il l'envoie de l'autre côté, c'est clair. Un jeune, ici, avec nous. Un autre, ventru, sauf qu'il bombe le torse de toutes ses forces : en vain – mais non, le médecin l'a quand même envoyé ici, et je n'étais pas très satisfait parce que, pour ma part je le trouvais plutôt âgé.

C'était difficile à avouer, mais certains sentiments fort peu nobles qui étaient écrits ici, je ne pouvais que trop les lire en moi-même adolescent ou jeune homme. Je me serais bien passé d'une telle identification, mais force était de reconnaître que ton récit de ta sélection me prenait au piège du souvenir des « petites sélections » auxquelles la vie m'avait convoquées, que ca me plaise ou pas. Honte à moi ! En te lisant, je lisais les actes de mon procès au tribunal de l'humanisme qui m'avait tant de fois fait défaut. Ces choses là sont tellement honteuses qu'on est bien content de ne jamaisen parler, alors que toi, tu viens nous le mettre sous le nez !
Pas de trace de la culpabilité du survivant dans ce passage, comme dans toutes tes autres pages (sauf une, celle de l'infirmerie). Mais pas de trace non plus de cette honte plus universelle qui concerne presque autant les témoins réels des camps que les témoins virtuels que nous sommes tous devenus en étant habités par la mémoire des camps.
Cette honte est décrite par Primo Levi dans les premières pages de la Trêve, un matin où apparaissent les premiers libérateurs de son camps (Bergen), quatre soldats russes à cheval d'allure peu fringante : « Ils ne nous saluaient pas, ne nous souriaient pas ; à leur pitié semblait s'ajouter un sentiment confus de gène qui les oppressait, les rendait muets enchainait leur regard à ce spectacle funèbre (ndlr : celui des monceaux de cadavres, et des survivants décharnés). C'était la même honte que nous connaissions bien, celle qui nous accablait après les sélections et chaque fois que nous devions assister ou nous soumettre à un outrage : la honte que les Allemands ignorèrent, celle que le juste éprouve devant la faute commise par autrui, tenaillé par l'idée qu'elle existe, qu'elle ait été introduite irrévocablement dans l'univers des choses existantes et que sa bonne volonté se soit montrée nulle ou insuffisante et totalement inefficace. »
Tout n'est encore pas dit de cette honte, nous en reparlerons plus loin.
En 2010, je suis tombé par hasard chez un bouquiniste sur Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, un autre livre de Kertesz, dont le ton de supplication et le phrasé répété à la Thomas Bernhard m'ont suffisamment séduit pour rehausser encore l'idée que je me faisais de Kertesz comme écrivain, mais pas assez pour être pris de l'envie de lire ses autres livres ni de te relire toi, qui m'avait laissé dans un dérangeant malaise que je ne songeais pas à dissiper plus avant, puisqu'il est compréhensible que l'exploration d'un malaise ne se présente pas à celui qui l'éprouve comme une partie de plaisir, et que c'est pour cette raison que les malaises s'épanouissent sans risque d'être dissipés chez la plupart des individus et en particulier chez les névrosés bien marqués – ce qui est mon état, évidemment.

Mais voici qu'un beau jour, à l'automne 2018 je m'en souviens bien, j'écoute à la radio un entretien avec Yasmina Reza et je l'entends faire un éloge appuyé de Kertesz en tant qu'écrivain assez courageux pour oser explorer et mettre au jour nos contrées les plus troubles dit-elle en substance, en citant à l'appui l'aveu inouï d'une « nostalgie du camp » qu'il écrit avoir éprouvée. La nostalgie du camp ! Quelle chose a priori impensable ! Mais non, à moi cette chose n'apparaît pas incompréhensible et presque familière dans la littérature en général et sans doute dans ton souvenir inconscient en particulier.
Cette fois-ci j'ai décidé de m'intéresser à Kertesz, mais en te tenant bizarrement d'abord, toi, à l'écart car je ne me souvenais pas que dans tes pages, il soit question de cette nostalgie du camp. J'ai lu le refusoù il est beaucoup question de la difficulté de ta rédaction et de ta réception. de même dans Journal de galère.
Et puis, enfin, je t'ai relu.
Ton altérité gênante s'est transformée en fraternité bienfaisante. Tu es une prouesse, tu es un prodige. Kertesz a réussi le difficile exploit de s'arracher à l'adulte qu'il était devenu pour redevenir l'adolescent qu'il était resté. Il va pas à pas et le narrateur n'est jamais en avance sur le héros. Ainsi se réalise en toi la magie de la littérature.
Lisons ta quatrième de couverture (collection 10/18) « - de son arrestation à Budapest, à la libération du camp, un adolescent a vécu le cauchemar d'un temps arrêté et répétitif, victime tant de l'horreur concentrationnaire que de l'instinct de survie qui lui fit composer avec l'inacceptable. Parole inaudible avant que ce livre ne vienne la proférer dans toute sa force et ne pose la question de savoir ce qu'il advient de l'humanité de l'homme quand il est privé de son destin. Cette oeuvre dont l'élaboration a requis un inimaginable travail de distanciation et de mémoire dérangera tout autant ceux qui refusent encore de voir en face le fonctionnement du totalitarisme que ceux qui entretiennent le mythe d'un univers concentrationnaire manichéen. Un livre à placer à côté du Si c'est un homme de Primo Lévi. Enfin reconnu, Imre Kertesz a reçu le prix Nobel de littérature pour son « oeuvre qui dresse l'expérience fragile de l'individu contre l'arbitraire barbare de l'histoire.»
Ce texte commence par une erreur factuelle: « de son arrestation, à la libération du camp,… ». Il manque ici la mention du retour du jeune héros à Budapest, épisode qui occupe les trente dernières pages du livre qui ne sont pas anodines. Ensuite, l'indication du « cauchemar d'un temps arrêté et répétitif » ne rend pas compte, selon moi, de la teneur aventureuse du récit. Mais le plus important vient maintenant : « victime tant de l'horreur concentrationnaire que de l'instinct de survie qui lui fit composer avec l'inacceptable.»
Cette notation accusatrice d'un « instinct de survie qui lui fit composer avec l'inacceptable » va décidément trop vite en besogne. de quelle composition, pour ne pas dire compromission, mot qui rime à la lettre et dans le sens, est-il fait allusion ? Puisque le héros ne se rend coupable d'aucune vilenie, c'est difficile à comprendre, à moins qu'il s'agisse encore et toujours de la même chose: la bizarrerie des réactions du héros, bizarrerie qui se confond avec l'absence complète de pathos, de compassion, de culpabilité, de honte. Et c'est bien cela qui fait la force du livre sans qu'il soit besoin d'ajouter ce morceau de phrase inutile qui fait semblant d'être intelligent en jouant avec le titre mais qui ne dit absolument rien de son intelligibilité pour moi qui ait renoncé à comprendre la signification de ce titre : Etre sans destin. A cet égard, je me sens comme ces deux vieux juifs voisins d'immeuble du narrateur à qui il essaie d'expliquer ce qui lui apparaît comme une révélation: « S'il y a un destin, la liberté n'est pas possible; si au contraire, (…) la liberté existe, alors il n'y a plus de destin, c'est à dire qu'alors nous sommes nous-mêmes le destin. »

Pour en revenir à cette idée d'une « composition avec l'inacceptable » qui rendrait en quelque sorte la victime coupable, coupable de quelque chose qui justifierait la honte, la culpabilité du survivant, je laisse la parole à l'auteur dans Son journal de galère :
« Je regarde à la loupe la photo des arrivants (au camp d'Auschwitz). Sourire, sérénité, assurance. Oui, dans le fond, tenir à la vie même dans les conditions du totalitarisme contribue au maintien de ce dernier : c'est une technique d'organisation élémentaire. Il faut en prendre conscience pour que disparaisse le sentiment aliéné qu'on éprouve pour le totalitarisme. Cette prise de conscience et la revendication de celle-ci sont des actes de liberté; pourtant, cet acte de liberté, cette illumination - qui revient à assumer sa complicité – se heurte toujours aux protestations des survivants. C'est ainsi que se forme un destin sans destin, qu'on passe d'une aliénation à une autre, c'est ainsi que rien ne finit jamais : même les morts sont menacés de résurrection. »
Cette réflexion très forte sur « cette prise de conscience et sa revendication qui revient à assumer sa complicité » est contrebalancée par cette autre, justement tirée de l'ouvrage Un autre :
« En passant par la place Vermezo, à côté de la statue de Bela Kun barbouillée d'étoiles jaunes, j'ai soudain compris que ce que je prenais dans ma jeunesse pour de la lâcheté, de l'aveuglement et - en fait - une variante inconcevablement tragicomique du suicide était en réalité une sorte d'impuissance qui se transforme en dignité. Il y a quelque chose de digne à exécuter un ordre de meurtre et à subir avec un certain sang-froid le fait d'être désigné et massacré. le confort – celui de la victime – a quelque chose de grandiose. En ce qui me concerne : je soupçonne déjà que je ne bougerai pas d'un poil, tout au plus mon dégoût va-t-il s'accroitre. »
En définitive, pour ma part, j'en reste sur ce sujet de la culpabilité du survivant à cette idée forte, formulée aussi par Kertesz dans Un autre :
« Ce que je dois de toute façon noter : la trahison que le vivant commet à tous les instants, l'humiliation bien connue et insurmontable de la survie. Tôt ou tard, on se trouve dans une situation où on lutte pour une survie que le chaos du mourant menace d'engloutir. D'abord, on apprend la maladie mortelle d'un proche, ensuite on en accepte, puis on s'y résigne et on le remet aux mains des spécialistes. En un certain sens, on devient un assassin et peu de gens peuvent éviter ce sort, sauf peut-être les solitaires, les personnes seules. »

Suite du texte de couverture : « - Un livre à placer à côté de Si c'est un homme de Primo Lévi.» Effectivement, les récits des deux livres sont proches, et leur parenté va presque de soi. Pourtant, c'est à une autre parenté à laquelle j'ai parfois eu l'idée en te lisant, celle d'avec L'attrape coeur de Salinger, à cause de la primauté donnée à la voix singulière d'un héros adolescent.


Ce héros ne compose pas avec l'inacceptable, il s'adapte et tout ce qu'il cherche à expliquer c'est que cette adaptation se fait pas à pas, qu'elle est une découverte de tous les jours et que c'est à cause de cette progressivité du temps et des événements qui passent qu'il lui a été possible, comme à tous les autres, de s'adapter à un sort qui, si il lui était tombé d'un coup sur la tête l'aurait sans doute entraîné au désespoir absolu. Quant à l'instinct de survie, il se confond avec cette idée que l'avenir n'est pas connu d'avance, que chaque jour, chaque heure, chaque minute, est une découverte qui se fait pas à pas et c'est paradoxalement d'ailleurs quand l'instinct de survie s'éteignait chez le héros-narrateur, qu'il se sentait devenir comme un « musulman », affaibli par un abcès au genou qui risquait de le condamner, que les circonstances vont le sauver, transformant le mauvais augure de cet abcès au genou en une possibilité inespérée de survie à l'infirmerie du camp.
Et c'est aussi à ce moment du récit où apparaît un court passage où il est question de « la culpabilité du survivant », celle du « un contre un pour la survie ». En effet, alors que le héros est
Commenter  J’apprécie          10




Lecteurs (1770) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1721 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}