« Ce n'est pas la bêtise qui t'a fait agir ainsi, Louis, c'est l'excès de douleur. Apparemment, ça ne change pas grand-chose, mais en réalité c'est l'infime différence sur laquelle tout se fonde. C'est de cela que ce cimetière tire sa subsistance. »
Cette phrase prononcée par l'un des protagonistes résume assez justement
Simetierre, oscillant entre une histoire de deuil impossible et de mélancolie morbide. En d'autres termes, ici, on joue – dangereusement – avec le chagrin mais…sans pitié. Et puisque son auteur est connu pour cela, il faut s'attendre au pire.
Un pire fort délectable du point de vue de l'intrigue. Car
Stephen King, quand il n'est pas poussif – si, si, ça peut
lui arriver ! –, propose des romans de très haut vol, dont
Misery ou
Cujo ne sont pas des moindres. Là, nous avons donc affaire à un grand millésime. Millésime dont je ne révélerai rien car ce serait priver tout un chacun d'un légitime – et non moins effroyable – bonheur de lecture.
Je me souviens une fois avoir commis un impair en révélant la fin des Évangiles à un lecteur qui ne les avait pas lus. Et ce dernier de me reprocher : « Oh, non, pourquoi tu m'as révélé que Jésus mourait à la fin ! » Je l'ai tout de même rassuré en
lui confiant qu'ensuite il y avait le Commencement…!
Plaisanterie mise à part,
Simetierre ne se donne pas brutalement. Il laisse entrevoir sans montrer lourdement, s'insinuant avec la lenteur sournoise d'un prédateur qui attend le bon moment pour se faire sa proie. La proie étant ici le lecteur. On pourrait même suggérer que
Stephen King est un fichu sadique, qui s'amuse avec notre incorrigible tendance à nous attacher aux personnages. Cependant, quel instinct narratif peut avoir ce
lui qu'on désigne de manière un peu trop restrictive comme le maître de l'horreur. Parce que ses romans, dont
Simetierre, recèlent bien d'autres choses, à condition de bien prendre le temps de les lire et ne pas expédier les pages comme un paquet de gâteaux devant un une série télévisée.
En effet, les portraits sont détaillés, fouillant les recoins de chaque personnage, littéralement déshabillés et parfois sans ménagement. le style,
lui aussi, qui semble s'adapter aux situations : écriture fébrile dans l'urgence et apaisée, plus tard, à l'heure de la contemplation.
« L'horreur ne va pas sans l'imagination », disait
Arthur Conan Doyle, et si les noms de
Mary Shelley,
Bram Stoker ou H.P
Lovecraft nous sont restés, tandis qu'une multitude d'écrivaillons du frisson ont été oubliés, c'est bien qu'ils avaient une imagination débordante et non moins entraînante, en plus d'une écriture impeccable. Ce qui s'applique à
Stephen King lorsqu'il se surpasse. Et
Simetierre est à mettre définitivement au compte de ses grandes réussites…