Kohout Pavel, - "
L'heure étoilée du meurtrier" – éd. de Fallois, 2000 - collection "folio-policier" (le titre est une mauvaise traduction du titre allemand "Sternstunde der Mörder", copyright 1995 pour l'édition originale) (ISBN 978-2070439737)
J'avais acquis ce livre au vu de la quatrième de couverture et de la biographie de l'auteur.
Pavel Kohout est né à Prague en 1928, il a probablement vécu ce qu'il raconte dans ce roman, a été exclu du Parti Communiste tchécoslovaque en 1969 après le Printemps de Prague ; il fut, avec
Vaclav Havel, l'un des rédacteurs de la Charte 77 (pour laquelle je pris quelques risques) et vit aujourd'hui de sa plume.
Le récit lui-même constitue une autre bonne raison de lire ce livre : l'intrigue se déroule en effet entre février et mai 1945, au moment où les armées allemandes reculent sur tous les fronts, où les gens commencent à prendre conscience que le nazisme et le IIIème Reich sont en train de s'effondrer, jusqu'en mai, après le suicide de la bande hitlérienne. Prague constitue un cas particulier, puisqu'il subsiste dans cette ville une puissante administration nazie ainsi qu'un corps d'armée allemand conséquent, qui se retrouvent sans instruction du pouvoir hitlérien alors que l'Armée Rouge soviétique avance inexorablement et que le Conseil National de la Résistance Tchécoslovaque se déchire entre les modérés et les communistes.
L'auteur a visiblement vécu cette époque : il ne fut peut-être pas au coeur des évènements (?), mais il est à même d'en produire une relation crédible.
C'est dans ce cadre particulier qu'il insère l'histoire d'un psychopathe qui massacre d'abord des femmes, veuves en passe de se remarier, puis se met à massacrer des allemands vaincus et en déroute avec la même sauvagerie, tout en réussissant à grouper autour de lui quatre ou cinq types de son acabit. La métaphore des femmes assassinées est justifiée en haut de la page 110 :
"Cette nuit-là, il fut frappé par une comparaison. Les bains de sang mondiaux ne procuraient-ils pas au Führer des Allemands qui en était à l'origine une satisfaction perverse identique à celle qu'éprouvait l'assassin inconnu en massacrant des femmes ?"
Pour des raisons à la fois policières (les victimes allemandes relèvent de la police allemande, les victimes tchèques de la police du "protectorat") et politiques (la Gestapo souhaite infiltrer et surveiller la police tchèque, seul groupe disposant de quelques armes et surtout d'une structure de commandement et de décision), l'inspecteur Buback (allemand, mais aussi praguois, parlant donc le tchèque) est chargé de collaborer sur cette enquête avec un jeune inspecteur morave nommé Morava. Peu à peu, les deux hommes s'estiment réciproquement et tentent de sauver ce qui peut l'être dans le chaos, tout en s'efforçant de retrouver ce déséquilibré.
Le récit est bien mené, avec quelques lourdeurs, mais la traduction n'est pas de la meilleure qualité. L'intérêt historique du récit est évident, montrant toute la complexité de la situation à Prague lors de l'effondrement du régime nazi. En mettant en scène des personnages tentant de conserver leur raison, tant allemands que tchécoslovaques, d'autres personnages (là encore dans les deux camps) se livrant au contraire à leurs instincts barbares, l'auteur évite de tomber dans les clichés habituels... mais un tel récit ne pouvait sans doute pas être écrit avant l'an 2000.
Un autre détail, amusant : la façon délicate de relater l'intrigue amoureuse qui se noue entre le jeune policier morave et la secrétaire confirme bien l'âge de l'auteur : seul un narrateur né avant la Seconde Guerre Mondiale pouvait encore narrer une bluette pudique, dans l'esprit des relations telles qu'elles existaient à cette époque entre les jeunes gens. "C'est du passé, n'en parlons plus".