C'est toujours déroutant de lire une pièce de théâtre.
Plus encore quand les personnages et les faits ne semblent obéir à aucune logique. A aucune rationalité. Ils se contentent d'être là, sur scène, et de se succéder dans la seule évidence de leur présence et de la chronologie.
Mais la pièce, à une lettre près, porte le nom d'un serial killer célèbre, Roberto Succo, dont le personnage - dans la pièce, Roberto Zucco- , reproduit fidèlement la trajectoire criminelle: il ne s'agit pas d'une fable.
Encore moins d'une tentative d'explication psychologique, d'un plaidoyer ou d'un "thriller" théâtral destiné à frapper de terreur l'imagination du spectateur.
Roberto "ne se connaît pas d'avance", comme disait
Peter Handke. Ses meurtres adviennent presque sans qu'il y ait part.
Lui qui rêve d'être invisible, et refuse avec horreur d'être un héros dont les vêtements couverts de sang le rendraient par trop remarquable, revient pourtant sur ses scènes de crime, pour tuer encore, s'en prend avec la même violence aux policiers qui le poursuivent et aux enfants sans défense.
On l'aime, pourtant: la gamine qu'il a violée, la femme dont il vient de tuer l'enfant, sa mère qu'il a rendue veuve..
C'est qu'il y a, dans ce personnage aveugle à lui-même, meurtrier dans ses actes, une sorte de fraternité poétique avec le genre humain. Ses coups , étrangement, délivrent : l'une, de l'oppression familiale, l'autre, des servitudes maternelles, la troisième, du chagrin et de l'amour déçu.
Roberto Zucco est fascinant, transgressif et libératoire- et beau comme l'ange de la mort.
On pense au personnage étrange de Théorème, interprété par Terence Stamp, dans le film de
Pasolini.
Dans Roberto Zucco, on est dans un univers symbolique, poétique, au-delà du bien et du mal. Quand l'existence humaine est d'une vue si courte qu'on serait bien en peine de lui donner un sens, comment en chercher un au destin? Et juger de son équité, de sa moralité ?
Tout le trouble, tout le scandale de la pièce vient de là. Et même la seule lecture -bien moins sans doute que la représentation- provoque malaise et interrogation.
A découvrir!