Sous le coup de la grâce, nouvelles, Vagabonde, 15, 190 pp.
Série de nouvelles, généralement courtes, sus titrées « nouvelles de mort ». qui de plus se répondent l'une à l'autre (cf « Herman le Garde Chasse » et « la Fin du Métier » ou bien qui peuvent être amalgamées pour en faire autre chose (cf le Dernier Bateau » et « Dans la main du Barbier », dans ce cas des court-métrages pour Béla Tarr).
« le Dernier bateau » date de 90. Cette courte nouvelle est énigmatique, et on ne sait pas si elle traite d'un exode de population dû à la guerre ou bien de rescapés d'un cataclysme jamais nommé. Les fugitifs sont décrit comme étant «pareils aux rats qui, en raison de leurs exceptionnelles capacités de survie, étaient peu à peu devenus pour nous une sorte d'animal sacré et, à ce titre, l'objet exclusif de notre attention».
Dans « Herman le Garde Chasse », Herman ne peut être classé du côté du bien ou du mal, mais il est le serviteur d'une souffrance universelle. Celle-ci est provoquée, puis dirigée tout d'abord contre les animaux puis contre les humains, en fait leurs bourreaux. Il sera abattu, d'ailleurs, comme une espèce solitaire, unique en son genre, de Christ noir, labile, incapable «à soi seul de tenir à bout de bras le monde sur le point de s'écrouler»
Dans la dernière nouvelle, « La fin du métier (deuxième variante) », le personnage du garde-chasse est repris. Il est devenu fou aux yeux des hommes, considéré au travers du regard d'une petite société aux goûts douteux.
« Dans la main du barbier » nous présente une fois encore la brutale « devant l'ampleur du coup à asséner [il convient] d'évaluer la force de frappe requise pour ne pas devoir s'y reprendre à deux fois ». Cette force le vieux père Bela Csonka,en fait la triste expérience (son magot aussi). Dans l'esprit d'un des personnages vivant «en ces ténèbres de plomb dont il sentait l'emprise écrasante», de cette force qui écrase tout sur son passage. «Loin de se dire que seules sa faiblesse et son indolence l'avaient entraîné vers ce point nodal de son existence ou, qui sait, le terrible tourment de découvrir – peut-être à cause de son inquiétude accrue – que tout ce que la vie a de sain et de beau se brisait, se broyait constamment au creux de ses mains, il soupçonna plutôt l'existence d'un Dieu hostile ou indifférent qui se contentait de donner forme à ce qu'a d'inexorable et d'irrémédiable le monde tel qu'il s'engendre lui-même, de sorte qu'il ne s'effraya pas de suffoquer tôt ou tard sous le poids de la culpabilité, des remords ou de la douleur virulente de l'épouvante, voire, à force de geindre, lamentable, de se sentir si coupable, car ce qu'il avait fait ne pouvait se défaire – sans parler de l'échec annoncé de toute résistance, puisque nul ne peut vaincre l'incompréhensible».
Dans « Rozi la piégeuse », plusieurs récits s'entremêlent, comme dans une course de relais, tous aimantés par la mère Rozi, sans cependant que l'on puisse les superposer. Les situations souvent reflètent la lutte entre des réalités invisibles et une mystérieuse «bienveillance supérieure seule encore capable d'insuffler du sens à notre monde indolent dont, sinon, il ne subsisterait plus bientôt que des braises sur le point de s'éteindre».
« Chaleur » constitue le cadre d'une histoire où le (faux) héros Zbiegniew n'est qu'une représentation qui cache et abrite l'homme moderne. Ce dernier reste stressé par des «sereines lueurs du foyer» et des «ténèbres sans fond».
« Fuir Bogdanovich » reprend des thèmes chers à LK. Des personnages essayent d'éviter des forces cachées ou un danger jamais nommé. Ces délires reviennent périodiquement dans la conscience du personnage. «un monde à la destruction, au sapement et à la déliquescence duquel [.] je n'avais moi-même jamais cessé de prendre part...». Ils sont tôt ou tard jour sujet à des forces qui les dépassent, (cf Mme Pflaum dans la « Mélancolie de la Résistance ») comme si le plus médiocre «ne pouvait que laisser transparaître et subir dans sa chair cette funeste clarté aurorale imbue du bleu des remords, cette lumière des tréfonds de l'enfer dont la quête nous hante tous depuis la nuit des temps ».
Enfin, dans « le sélectionneur de fréquences », l'histoire devient très noire, et perd la faible note d'humour désespéré des autres textes.