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Joëlle Dufeuilly (Traducteur)
EAN : 9782070752553
288 pages
Gallimard (15/06/2000)
4.08/5   85 notes
Résumé :

Ce roman nous transporte dans la grande plaine hongroise balayée par le vent et l'incessante pluie d'automne. Dans une ferme collective démantelée et livrée à l'abandon, quelques habitants végètent, s'épiant et complotant les uns contre les autres, lorsqu'une rumeur annonce le retour de deux autres personnages que l'on croyait morts. Cette nouvelle bouleverse ces êtres en manque de perspective. Certains y voient l'arrivée d'un messie, d'autres redoutent ... >Voir plus
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László Krasznahorkai est un auteur Hongrois, il a fait des études de droit et de littérature, en soutenant une thèse sur Sándor Márai, après un début dans l'édition, il poursuivra dans l'écriture en publiant Tango de Satan en 1985 puis enchainant avec son grand succès La Mélancolie de la résistance en 1989.
Ces deux romans sont adaptés au cinéma par son ami le réalisateur, Béla Tarr, Tango de Satan en 1994, puis La Mélancolie de la résistance sous le titre, Les Harmonies Werckmeister en 2000. László Krasznahorkai aime sa Hongrie, dans ces deux premiers romans il narre ces habitants, perlant ces paysages comme dans Tango de Satan, décrivant la géologie historique de son pays, d'un livre lu par l'un de ces personnages.
Tango de Satan est un roman sur la souffrance de ces personnages comme le temps mélancolique automnale, cette pluie habille la nature sombre de cette région isolée, la coopérative fermée, les maisons d'usures maladives dans cet isolement rurale.
Une coopérative, dans le souvenir des anciens ouvriers, en ruine, est ce lieu où végètent toutes ses âmes grises, prises dans l'alcool, le sexe, la jalousie, les complots et cette paresse lente et sournoise statufiant leurs rêves. L'arrivée surprise de deux morts attisent la tranquillité de ce trou perdu, les rêveurs les voient comme des messies, les autres comme des suppôts de Satan, la danse comme à la cadence des mots de László Krasznahorkai.
Ce roman semble être une hallucination collective, tel un rêve, les personnages sont comme des pions d'un jeu d'échec, dominés par ce joueur Irimias, ce marionnettiste d'exception tirant les ficelles de ces êtres en détresse perdus dans cette coopérative en ruine, dans cette Hongrie profonde sous ce déluge d'octobre. Mais László Krasznahorkai domine à merveille cette écriture magnétique, ce sorcier des mots envoute avec beaucoup malice notre lecture dévorante, attise notre imagination féconde de cette trame à la saveur fantastique. le décor comme les personnages sont prisonnier de cette Hongrie vieillissante, ces pauvres gens perdus dans cette coopérative en ruine depuis trop longtemps végètent dans une inertie sourde, l'alcool, le sexe, les dévorant et surtout le refus d'une modernité croissante de leur pays, en prise vers la fin du communisme vers une vie nouvelle.
L'auberge aux araignées, tissant leur toile dans l'invisibilité des regards ternes de ces personnages gris, où l'alcool empourpre leur chimère, le tango de Satan embrase la soirée, les corps se collent à la fièvre des notes de l'accordéon, Mme Schmidt devient la maitresse de Satan, la chaleur de son corps ondule avec ceux des hommes en érection d'envies, Mme Kraner enflamme l'auberge, le fermier joue le tango, source de diablerie, tous se dévore, Mme Halics s'endort pieuse de cette scène… Son mari charme Mme Kraner devenant Sa petite Rozika, Lajos l'embrasse. le joueur d'accordéon, seul, tous dormant, boit encore et encore, vomit, puis joue la mélancolie de son être pour se retrouver dans ses songes de guerre, comme une berceuse.
Nous vivons chaque tableau dans le regard d'un autre tableau pour en prendre toute sa quintessence, nourrir au plus profond les scènes aux multiples regards. Chaque chapitre peint avec incertitude l'humeur cristalline de nos personnages, ce croissement incessant entremêlant les scènes, de chapitre en chapitre, sous le regard différent des protagonistes, permet une vision multiple de la situation, le lecteur devient le regard de toutes ses âmes.
Vertige des premiers mots, les personnages entrent dans la dansent de cette trame au rythme lancinant de notre auteur, laissant notre curiosité s'embraser dans cette lenteur poétique trouble de ce village perdu dans une illusion fantastique, le premier personnage semble avoir des hallucinations sonores, des sons de cloches bousculent le sommeil de cet amant somnolant dans le lit conjugale de sa maitresse, l'écho de ces acouphènes, la femme se réveille d'un cauchemar où elle se fait agresser chez elle par un inconnu.
Je pourrais plonger de ce roman en scannant chaque personnage et embraser le coeur sombre de cette ruralité en décadence, perdue dans un tourbillon inerte, stoïque du monde qui évolue. Mais je vais parler juste du fantastique de ce roman et d'un passage troublant d'émotion et poésie.
Estike dernière des Horgos, semble être le souffre-douleur de la famille, ayant quitté l'institut, elle doit être invisible silencieuse et faire ses taches, Sanyi, son frère la torture tout le temps, et encore une fois lui tend un piège, avec l'arbre à sous, pour lui voler son argent et l'humilier encore et encore. Cette petite colombe innocente tourbillonne soudain dans la folie de sa crédulité de son âge, de sa chrysalide, cet enfant se transformera en sorcière, pour rejoindre son monde merveilleux celui des rêves, des anges, univers de princesse, elle veut de son regard clos, dans la pénombre d'un aveugle-comme celui rencontré de sa première visite en ville, Korin un homme jouant de l'accordéon pour gagner sa vie, perdant ses yeux à la guerre, lui narre la férie de son monde fantastique….De cette rencontre Estike cherche ce monde, entraperçut lors d'une forte fièvre, cette fille chavire, elle veut être cette princesse, pas cette souillon que l'on a fait d'elle, son frère la rejette, le docteur un soir l'évite, elle veut être dans les bras des anges, attendre leur visite, avec cette cérémonie stupide, tuant son chat et mangeant de la mort au rat dans l'habit de sa mère, dans cette dentelle, elle attend ce miracle de l'absurdité, cette petite Estike, innocente….
Tous sont là, dans l'auberge, tous attendent les deux messies, Mme Schmidt attire tous les regards des hommes, tous veulent lui dessiner de leurs mains son corps, tous sont happés par cette femme électrique, par cet aimant hormonale incontrôlable, mais elle attend son amant, celui qui la fait rêver, tous ont cette indécence de la désirer avec sauvagerie et bestialité, László Krasznahorkai narre avec beaucoup réalité, ce tableau de ces êtres ignobles, sales, malsains, pervers, obsédés, frustrés…Chacun développe sa frustration , sa névrose, sa bestialité, sa tare….Il pénètre en eux, libère leurs barrières, leurs pensées s'étalent comme une confession, tel un miroir, se reflètent leurs consciences, ces êtres en perditions coulent lentement dans l'illusion, laissant leurs vies devenir le spectacle de leur inertie, la fatalité s'incruste sournoisement dans leurs paresses, tous s'enlisent dans la boue de leurs léthargies, comme ce temps où la pluie peint ce paysage de tristesse humaine, cette coopérative passée devenue l'immobilisme de leurs rêves perdues, tous sont racines de cette tragédie du suicide de cette enfant innocente, tous sont les acteurs de cette mort, tous sont cette absurdité !
L'auberge aux araignées, tissant sa toile dans l'invisibilité des regards ternes de ces personnages gris, où l'alcool empourpre leurs chimères, le tango de Satan embrase la soirée, les corps se collent à la fièvre des notes de l'accordéon, Mme Schmidt devient la maitresse de Satan, la chaleur de son corps ondule avec ceux des hommes en érection d'envies, Mme Kraner enflamme l'auberge, le fermier joue le tango, source de diablerie, tous s'embrasent, Mme Halics s'endort pieuse de cette scène ! Son mari charme Mme Kraner pour devenir sa petite Rozika, Lajos l'embrasse. le joueur d'accordéon, seul, tous dormant, boit encore et encore, vomit, puis joue la mélancolie de son être pour se retrouver dans ses songes de guerre, comme une berceuse.
N'oublions pas la part de fantastique de ce roman, lorsque les rêves sont si présent dans la description des personnages, le fantôme de la jeune fille morte, hantant le château sous le regard de son grand frère et de Irimias, hallucination collective où malédiction ! Comme le docteur devenu le narrateur de ces écrits, inventant la vie de ces voisins partis sans qu'il le sache, restant solitaire de sa névrose, découvrant le son de cloche venant vivre sa vie d'espion, parcourant la nature grise, gorgée d'eau automnale, dans cette chapelle en ruine, ce fou , cette cloche, cette hallucination peut-être, cette vie rurale hongroise, ces fous en libertés, ces êtres égarés, laissés à l'agonie de leur sort, la fin d'un communiste dévorant et broyant les rêves et les illusions.
Un roman hongrois libérant la littérature de ces heures passées, un auteur postmoderne important dans sa puissance des mots, à dévorer sans modération.
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Ce ne fut pas une joyeuse lecture.

Je suis très étonnée de la salve de cinq étoiles que ce livre a reçue et qui m'avait poussée à découvrir ce livre et cet auteur hongrois.

Et, sans doute, ne suis-je pas non plus tout à fait surprise. En effet, il y a un réel élan littéraire dans cette oeuvre mais comment dire. Je me suis retrouvée dans une atmosphère aux confins à la fois du Maître et Marguerite de Boulgakov, d'En attendant Godot de Beckett et de Gombrovic, qui auraient été réunis pour nous servir cette histoire.... et cela n'aide en rien en ce qui me concerne.

J'avoue en outre ne rien avoir compris à l'histoire qui nous est ainsi contée. J'ai peu goûté la gratuité d'une ou deux scènes particulièrement répugnantes, notamment celle du chat, mais surtout, arrivée à la dernière page, je n'ai pu m'empêcher de me dire, perplexe : "Tout cela pour cela ?".

Bref, un moment de lecture où je me suis ennuyée, que j'ai poursuivi pour connaître où l'auteur nous mènerait, mais qui m'a en définitive déçue, même si, même si on sent le travail littéraire en-dessous.
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C'est l'adaptation du Tango de Satan au cinéma, que j'ai pu voir en DVD, qui m'a poussé a lire ce livre de Lazslo Krasznahorkai. Si le film de Bela Tarr a une puissance visuelle tres forte et a donc influencé la représentation mentale de ma lecture, le livre a au moins une identité aussi forte , et du coup, j'ai eu plaisir à redécouvrir l"histoire raconté depuis un angle différent de l'image : celui des mots, de la littérature.

Le sysnopsis est assez simple. L'auteur va nous décrire la communauté composé d'une dizaine de personne, vivant dans une ferme collective de hongrie. le livre commence lorsque les pluie diluvienne d'automne vont se précipiter sur la plaine hongroise et couper la ferme et ses personnage du reste du monde. Les personnages sont des êtres en manque de perspective, ayant perdu l'espoir d'une vie meilleurs et croupissant littéralement dans leur vie plutot lamentable, n'ayant pas grand chose a faire, hormis boire la palinka (eau de vie hongroise) et comploter les uns contre les autres. le livre commence aussi par le son d'une cloche, surnaturelles, comme sortie du vent, du ciel, et réveil Futaki, qui cette fois, et bien décider à quitter la ferme collective, et affronter son destin. Mais c'est sans compter l'arrivé d'Irimias, une personne mystérieuse a la fois poètes, roublard, philosophe et mystique, accompagné de son compagnon Petrina, dont le retour a la ferme collective va boulverser le destin de cette communauté.

Au fur et a mesure de la narration, les personnage semblent s'empêtrer de plus en plus dans les fils d'une toile dont Irimias serait l'araignée. il est tout de même difficile de l'affirmer tant Irimias est un personnage énigmatique, et dont les véritiables motivations ne sont qu'a peine effleurées. Ce qui est sur, c'est que le roman de Krasznahorkai est pratiquement vide de tout espoir, que la vision d'un miracle, dont irimias et son acolyte seront les témoins, ne pourra même pas prouvé qu'il existe en ce monde une quelconque forme de redemption. Futaki, qui au premier matin des pluis d'automne, c'est réveiller au son d'une cloche, décidé a quitter cette forme, sera peut etre l'unique issue de secoure a ce monde délavé, sans issue, et d'ou les rêves (même des jeunes filles comme estike) se sont échappés.



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Quel remarquable romancier, me suis-je encore répété après avoir terminé de lire Tango de Satan, paru en Hongrie en 1985 et publié par Gallimard en 2000. Certes, ayant découvert cet écrivain grâce à sa somptueuse Mélancolie de la résistance, dont le style envoûtant est d'une amplitude et d'une maîtrise confondantes (j'ai évoqué, dans un courriel adressé à l'écrivain, l'exemple d'Absalon, Absalon ! de Faulkner), je dois bien reconnaître que dans ce premier roman, le retournement final (ou plutôt la boucle refermée du tango mené par Satan, l'anti-Reprise kierkegaardienne par excellence), éminemment borgésien, un peu trop prévisible sans doute, l'intrusion grossière du surnaturel dans un monde qui le rejette pour lui préférer la superstition mesquine, ont tout de même pu gâcher quelque peu mon plaisir. Reste l'évidence, assez rare pour que je la souligne en ces temps de disette littéraire, pendant lesquels nous serons bientôt contraints, en France tout du moins comme naguère dans les riantes marches de l'empire soviétique, de perdre de longues heures pour faire la queue à moins de nous fournir, discrètement, de plus consistantes victuailles que celles que nous servent nos lamentables épiciers qui se prétendent romanciers, reste l'évidence d'une quête métaphysique obsédée par l'inéluctable dégénérescence d'un monde et d'une société ayant oublié Dieu, la description, entremêlant une satire hilarante des principaux personnages et quelques magnifiques évocations d'un paysage spectral qui eût pu être peint par Georges Rouault, d'une société post-communiste rongée par l'avidité, le sexe et l'alcool, suffisamment crédule pour se livrer à n'importe quel vagabond pourvu qu'il sache se servir de son verbe enchanteur, Irimias dans ce roman ou le Prince dans La Mélancolie de la résistance.
Lien : http://www.juanasensio.com/a..
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Tango de Satan (Sátántangó) Gallimard, 00, 290 p.
Première publication en Hongrie en 85, donc encore sous influence soviétique déclinante.
La vie (étrange) d'une petite dizaine de personnes dans un hameau reculé de Hongrie, plaine balayée par le vent et la pluie, où il ne se passe plus rien. le premier chapitre débute avec le réveil de Fatuki par les cloches, sauf qu'il n'y a plus de cloches dans la chapelle voisine, elle-même au clocher effondré. Par ailleurs sa compagne, Mme Schmidt, elle aussi sort d'un cauchemar.

« Un matin, à la fin du mois d'octobre, peu avant que les premières gouttes des longues et impitoyables pluies d'automne commencent à tomber sur le sol craquelé, à l'ouest de l'exploitation (et qu'une mer de boue putride rende les chemins vicinaux impraticables et la ville inaccessible jusqu'aux premières gelées), Futaki fut réveillé par le son des cloches. »

Tout cela parce que deux individus, Irimias et Petrina, tous deux morts depuis 18 mois, sont annoncés comme étant de retour dans la région. Qui sont-ils, prophètes ou diables ? A signaler que ce nom d'Irimias est celui d'un chatreur de porcelets qui a beaucoup marqué l'auteur (LK) étant jeune (cf ses interviews). Irimiás est le centre du roman, émergeant de l'océan de boue et de pluie qui sépare le hameau de la ville. Il devient par la suite le messie, figure salvatrice: lui seul, pensent-ils, pourra redonner sens à leurs vies qui leur échappent.

« Irimias [ ] c'est un vrai sorcier. Même avec de la bouse de vache il pourrait bâtir des châteaux »

Irimisa est cependant un messie avec des relents sataniques, au passé trouble et aux intentions tout aussi peu claires. A présent il est écartelé entre le pouvoir qu'il exerce sur les habitants et une obséquiosité envers le pouvoir en place (cf le chapitre 2). La plupart des habitants du hameau ont déjà quitté les lieux. Ne restent qu'un médecin privé du droit d'exercer, un aubergiste qui se bat avec les toiles d'araignées, et quelques couples qui avancent des plans pour s'en aller mais sans savoir où s'installer. Reste aussi un directeur d'école qui n‘a plus d'élèves (sur les quatre, deux se prostituent et les deux autres courent les champs). En fait, tous ces gens souhaitent quitter le hameau. On est à la fin du système collectiviste, mais ce retour inopiné des deux compères va bouleverser tous leurs plans (si jamais il y en eut).

Ce thème du messie, qui apporterait l'espoir d'une vie nouvelle et bien sur meilleure, apparaît sous plusieurs formes dans le livre. Elle ne débouche cependant sur rien d'autre qu'une absence totale de rédemption. le thème est général dans l'univers désillusionné de LK.
Y voir une critique des années passées et du système collectiviste, cela me parait assez étrange d'un point de vue date (le roman est sorti en 85). le second chapitre, qui décrit l'arrivée et l'examen des deux compères par les autorités locales fait effectivement référence à ces turpitudes. Mais cela ne suffit pas à en faire une critique du régime.

Reste le style, que l'on retrouve par la suite dans les autres livres de LK. Des phrases souvent longues, hachées de monologues intérieurs (c'est encore plus vrai dans « Guerre & Guerre »)
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Il prit sur ses genoux son accordéon et se mit à jouer une douce ballade mélancolique. Son immense corps se balançait d'avant en arrière, au rythme lent de la musique et de ses paupières engourdies s'échappa une larme. Si à cet instant on l'avait interrogé, il eût été incapable de dire ce qui lui arrivait. Seul au milieu des souffles endormis, il était heureux que ce doux chant de soldats les recouvre, les purifie. Il n'avait aucune raison d'arrêter, lorsque le morceau arriva à sa fin, il recommença encore et encore et, comme un enfant au milieu des adultes endormis, il éprouvait un immense bonheur, car personne, en-dehors de lui, ne l'entendait. Et tandis que le son velouté de l'accordéon résonnait, les araignées de l'auberge lancèrent une ultime offensive. Elles déposèrent leurs frêles toiles sur le sommet des bouteilles, des verres, des tasses, des cendriers, enroulèrent les tables, les pieds des chaises puis - avec quelques minuscules fils secrets - les relièrent les uns aux autres comme s'il importait que, tapies dans leurs mystérieuses, indémasquables cachettes, elles pussent surveiller le moindre geste, le moindre frisson, jusqu'à ce que leur étrange toile, parfaite, presque invisible, devienne invulnérable. Elles tissaient sur les visages des dormeurs, sur leurs jambes, sur leurs bras puis à la vitesse d'un éclair retournaient dans leur cachette, où elles restaient à l'affût, prêtes, au premier frémissement d'un de leurs fils, à se remettre au travail. Les mouches - qui cherchaient le salut contre l'enfer dans la lumière et le mouvement - traçaient infatigablement des figures en forme de huit autour de la faible lueur de la lampe ; Kerekes, à moitié endormi, continuait à jouer, dans sa tête défilaient à une vitesse vertigineuse des images de bombardements, d'avions en détresse, de soldats en fuite, de villes en flammes, et ils entrèrent si discrètement, contemplèrent si silencieusement le spectacle qui s'offrait à leurs yeux que Kerekes ne peut que deviner qu'Irimias et Petrina venaient d'arriver.
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La route est recouverte de boue à perte d'horizon, l'horizon que camouflent les sombres taches de la forêt, la nuit tout en tombant dissout le solide, absorbe la couleur, fait frémir l'immobile, fige le mobile, la route ressemble à une chaloupe qui se balance avec mystère, échouée dans le marécage du monde. Aucun vol d'oiseaux ne vient déchirer le ciel alourdi, aucun animal ne vient par son cri, par son murmure égratigner le silence qui comme la brume crépusculaire se déverse au-dessus de la terre, seule une biche aux abois lève la tête puis --- comme aspirée par le marécage --- s'affaisse, prête à s'enfuir dans le vide. p 51-52
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Il avait la conviction que, même lorsqu'il le désirait, l'homme était incapable de dire la vérité, aussi la première version d'une histoire racontée n'avait-elle d'autre portée que celle-ci : "Il s'est peut-être passé quelque chose..." Pour connaître précisément l'histoire, il fallait, pensait-il, faire l'effort d'écouter chaque nouvelle version jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'à attendre que la vérité à un moment - comme ça tout d'un coup - se révèle. À ce moment-là, les détails de l'histoire apparaissaient et ainsi - avec un effet rétroactif - il devenait possible de remettre dans l'ordre les éléments de la première version.
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Elle repensa à la journée passée et, le sourire aux lèvres, comprit comment les choses étaient liées ; elle savait que les événements qui s'étaient déroulés n'étaient pas unis par le hasard mais qu'un sens d'une inexprimable beauté les reliait au-dessus du vide. Elle savait également qu'elle n'était pas seule, tout et tout le monde -- son père là-haut, sa mère, son frère, ses soeurs, le docteur, le chat, ces acacias, ce chemin boueux, ce ciel et cette nuit ici-bas --- dépendait d'elle comme elle était suspendue à eux. p 139
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Depuis que l'exploitation avait été démantelée, depuis que les gens avaient fui cet endroit avec le même empressement que celui qui les avait conduits ici, lui - avec quelques familles, le docteur et le directeur d'école, tous ceux qui comme lui ne savaient où aller - n'avaient pas bougé, et chaque jour il surveillait le goût des aliments car il savait que la mort commence par s'introduire dans la soupe, dans la viande, dans chaque bouchée [...].
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Vidéo de Laszlo Krasznahorkai
Lundi 8 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022, Yannick Haenel tenait la conférence : L'amour, la littérature et la solitude.
Il sera question de cette attention extrême au langage qui engage notre existence. C'est-à-dire des moyens de retrouver, à travers l'expérience poétique de la solitude, une acuité, une justesse, un nouvel amour du langage. Écrire, lire, penser relèvent de cette endurance et de cette précision. C'est ce qui nous reste à une époque où le langage et la vérité des nuances qui l'anime sont sacrifiés. Écrire et publier à l'époque de ce sacrifice planétaire organisé pour amoindrir les corps parlants redevient un acte politique. Je parlerai de Giorgio Agamben, de Georges bataille, de László Krasznahorkai, de Lascaux et de Rothko. Je parlerai de poésie et d'économie, de dépense, de prodigalité, et de la gratuité qui vient.
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