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4,12

sur 586 notes
1er chapitre : Un homme,Koja, la soixante est dans un hôpital : il sait qu'il n'en ressortira pas : il a une balle dans la tête, inopérable et qui peut le tuer à tout moment.
Son voisin de chambre est également très malade, un hippie d'une trentaine d'années.
Le vieil homme commence à raconter sa vie depuis sa naissance en 1909 en Lettonie.
Il est d'origine allemande, sa mère est d'une famille noble, son père est peintre de renom. Il a un frère plus âgé que lui de 4 ans. Lorsqu'il a dix ans, ses parents adoptent une petite orpheline, Ev.
Dans ce pavé de 1100 pages, qui nous fait traverser le XX eme siècle, je ne me suis pas ennuyée une seconde. Koja est passionnant dans le fait de raconter l'histoire de sa famille. Il se met en scène, lui son frère et sa soeur adoptive (dont les deux frères sont totalement amoureux)
Lors de la montée du nazisme, les frères font des choix qui vont changer leur vie : Hubert l'aîné devient SS, suivi par Koja.
Ev, elle devient medecin.
Ce livre, époustouflant et très documenté, nous raconte l'époque de 1910 à 1970.
Koja a une vie très remplie où il sera espion (agent double ? Triple ?)
Les personnages et faits réels sont nombreux : notamment la fuite , (ou l'enlèvement de Otto John, qui a fait partie du groupe qui a essayé de tuer Hitler), à l'est, est un épisode passionnant.

Un pavé impressionnant et que j'ai eu du mal à poser le soir.
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J'ai décidé de lire ce livre suite à la lecture d'une critique d'un d'entre nous sur Babelio.
Je dirais d'entrée de jeu qu'on ne sort pas indemne de cette lecture.
J'ai lu avec attention les remerciements de l'auteur qui permettent à mon sens de mieux comprendre ce récit.
Tout d'abord, le protagoniste principal du roman s'appelle : Koja Solm. L'auteur nous précise que pour ce personnage, il s 'est bcp inspiré de la biographie de Fritz Scherwitz, qui était à la fois un sauveur de juifs et un menbre du SS-EINSatzguppe.
Ce qui permet de saisir ou essayer de saisir l' ambivalence et la contradiction d'un personnage à la fois victime et bourreau.
Néanmoins, ce livre est très dérangeant pour nos consciences, d'abord parce que Koja apparaît comme un homme attachant. Je m'explique, malgré le mal qu'il génère sans crise de conscience aiguë, il a bcp d'humanité.
La preuve, toutes ces pages bouleversantes sur cet amour qu'il vit avec une espionne russe:Maja. Il l'aime même après toutes ces tortures qui l'ont défiguré et rêvé de l'épouser.
Également avec cet amour, certes controversé qui l'attire presque magnétiquement vers sa demi soeur adoptée par ses parents et qui est juive.
Un autre aspect très fort du roman est l'histoire à travers Koja mais d'autres de la création, l'existence des services secrets qu'ils soient allemands, russes ou israéliens.
Dans ses remerciements, l'auteur pose une question très pertinente, je le cite:

Comment la société de la République Fédérale allemande a-t-elle réussi à trouver le chemin de la démocratie en dépit de l'intégration des anciens nazis ?

Oui, une question très pertinente et qui nous conduit à de multiples autres questions.
D'ailleurs, d'autres pays ont aussi vécu la même chose mais si on ne les appelait pas des nazis.
Une dernière question posée évidemment dans ce récit est la place de la responsabilité collective, individuelle ?
Certains lecteurs ayant lu le livre et critiqué ont bien sûr fait référence à la banalité du mal évoqué par Hannah Arendt mais la question me semble bien plus vaste. Bien sur, je n'ai pas toute la réponse mais je vous propose de finir ce propos sur des paroles dites par Koja dans le roman :
Mais se bousculaient en moi un nombre incalculable d'intentions qui se cintredisaaient toutes.
Je ne voulais pas qu'Otto meure.
Je ne voulais pas que Maja meure.
Ces deux souhaits étaient inconciliables.
Je ne voulais abattre personne
Je ne voulais surtout pas à battre Otto.
Je ne voulais pas être abattu.
Je ne voulais pas être agent secret.
Je ne voulais pas être un menteur
Je voulais le temps de vérité qui apporte la grâce.
Alors, que faire, dites moi ?

Un grand roman dont je vous recommande la lecture
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"L'homme est faible, un bouchon de liège dans le courant. Au bout du compte, il ne s'agit que de tomber sur la bonne vague."
Et j'avoue que cette vague m'a remué, ballotté, sacrément secoué.
Koja Solm est hospitalisé aux côtés d'un jeune hippie Basti, Sebastian Mörle. Nous sommes en 1970. Basti est soigné pour une fracture du crâne, des tuyaux évacuent le liquide céphalo-rachidien qui compresse le cerveau. Il n'a vraiment pas envie d'écouter Koja son voisin, un vieil homme, qui lui a une balle dans la tête.
Koja lui raconte sa vie, son enfance et surtout sa jeunesse d'allemand des pays baltes surveillant des personnalités économiques et politiques pour le compte des nazis et fournissent à ces derniers des cartes en vue d'une invasion programmée. Aux côtés de son frère aîné Hub, habillés de leurs chemises couleur "excréments repassés de près" ils ont écumé la Lettonie, et l'ont vidée de ses Juifs. Leurs crimes et leur parcours de salauds au service de la SS ont été mille fois racontés notamment dans "Les Bienveillantes", livre qui m'a laissé un souvenir encore plus dérangeant...
Koja -diminutif de Konstantin- a une âme d'artiste, et une personnalité écrasée par celle de son frère Hub, qui porte le mal en lui. Hub, devint un collaborateur zélé d'Himmler.
Koja est, quant à lui, ce bouchon suivant la vie au fil des courants qu'elle lui offre et trouvant tous les moyens pour être toujours du bon côté du manche. Il est capable de trahir sans état d'âme, de trahir ceux qui l'on fait grandir, comme les principes pour lesquels il s'est engagé. Ce qui en fait à mes yeux un salaud d'un autre genre que Hub qui lui, sans frémir, droit dans ses bottes, tuait arme en main, des bébés juifs dans les fosses communes d'Europe de l'Est.
Et puis, il y a Ev, leur soeur adoptive... Soeur ? pas sûr!
Et Koja, profitera de cette capacité d'adaptation pour servir tous les maîtres de l'Allemagne, passant de l'un à l'autre, depuis les russes communistes,en passant par la CIA puis le Mossad.
Un traître ? Oui, mais..il fut grandement aidé par les différents textes législatifs votés par les gouvernements d'Allemagne dès la fin de la guerre, textes qui permirent à certains nazis de retrouver une virginité et d'accéder aux hautes sphères de l'État Allemand...
Les pires ignominies ne nous pas épargnées.
Il y a salauds et salauds...
Roman ? Non, les plus anciens se souviendront de Franz Josef Strauss....Les plus jeunes se renseigneront sur cet homme politique.
Avec réalisme et une certaine dose d'humour parfois, Chris Kraus nous offre un roman dérangeant, malgré de nombreux personnages secondaires et des intrigues qui perdent un peu le lecteur parfois.
Nombreux furent, sous toutes les époques, les caméléons oubliant morale et droiture, capables de trahir des idées et des engagements pour un poste de pouvoir. Sans aucun état d'âme.
Lien : https://mesbelleslectures.co..
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"On ne peut pas sérieusement nous reprocher d'avoir été nazis : il est logique de se tourner vers l'avenir, et on n'en choisit pas toujours la teneur, car tant que cet avenir n'est pas le merdier du présent, il ne s'agit que d'un espoir - l'espoir que les choses s'améliorent avec le temps".

Bon. Autant prévenir tout de suite, ce pavé n'a rien d'une sinécure. Ce n'est pas non plus Les bienveillantes (celui-là je l'avais abandonné...) mais sa lecture est rendue compliquée par sa densité et la plongée qu'il propose dans la face sombre de l'Histoire, par l'intermédiaire de personnages plutôt ordinaires impliqués dans le processus le plus atroce du 20ème siècle. Pour autant, c'est un vrai roman, mettant en scène un trio à la fois infernal et captivant, nourri par des milliards d'heures de travail de recherche et de documentation qui contribuent à l'effet de sidération qui peut parfois saisir le lecteur. Lecture ardue, oui. Mais nécessaire.

Le narrateur s'appelle Konstantin Solm, surnommé Koja. Nous sommes en 1974, dans une chambre d'hôpital à Munich où Koja vient d'être opéré après avoir reçu une balle dans la tête. Lorsque son compagnon de chambre, pas en meilleur état, lui demande comment il s'est retrouvé là, Koja entreprend de lui raconter sa vie depuis le début. Une enfance dans le Baltikum marquée par les luttes d'influence entre la Russie communiste et l'Allemagne expansionniste, une adolescence sur les traces de son frère aîné, Hub, engagé très tôt dans le National-Socialisme exporté par Himmler. La rivalité amoureuse des deux frères autour de leur soeur adoptive, Ev. ... Leur rivalité tout court, meurtrière, accentuée par leurs différences de caractères et d'appréhension des enjeux. Et puis la guerre, bien sûr. Cette guerre qui laissera des traces ineffaçables, malgré les tentatives des uns et des autres pour cacher la réalité. La narration court jusqu'aux années 1970 et les décennies d'après-guerre n'ont rien à envier aux années 40 pour ce qui est du cynisme et de la propension à planquer les salauds.

Avec ce roman, on plonge dans le bourbier des nationalismes, véritables fléaux toujours prompts à justifier les actes les plus terribles. Des pays baltes pris entre les convoitises russes et allemandes à la Palestine, tâchée des sangs de ceux qui la revendiquent pour territoire en passant par les allemands, humiliés dans le Baltikum des années 20. On explore la complexité de la géopolitique de l'après-guerre, celle de l'Europe prise en étau entre les Etats-Unis et l'URSS. On découvre comment les anciens nazis ont nourri les forces des services secrets du monde entier, Mossad inclus, trouvant ainsi non seulement à se reclasser mais à échapper à un travail de nettoyage qui tardait à se faire côté allemand. Changements d'identités, retournement de vestes, déplacement des enjeux... Effectivement, les salauds ont de l'avenir. Et le trio que choisit de mettre en scène l'auteur permet de les percevoir de façon terriblement humaine, tous ces enjeux. Pas de méchants ni de gentils mais des êtres humains qui passent leur temps à négocier avec leur conscience. Terrifiant.

J'ai parfois songé au fantastique roman de Bob Schacochis, La femme qui avait perdu son âme, pour l'ambition, très proche, de montrer comme il est facile de laisser le mal se propager et surtout comment les États se rendent complices de cette propagation. J'ai aussi beaucoup pensé aux Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld, ouvrage dans lequel ils relatent les difficultés pour faire bouger le gouvernement allemand et aller débusquer les anciens nazis à la virginité refaite et planqués derrière des façades respectables.

Lecture ardue, oui. Mais grâce à la trame romanesque tissée autour de cet étrange ménage à trois, et aux respirations apportées par le tête à tête "philosophique" entre les deux malades trépanés, l'envie est là d'avancer et de connaitre le fin mot de l'histoire, autant que de continuer à mettre au jour les égouts de l'Histoire. Disons que ce n'est pas une lecture propice à se réconcilier avec le genre humain.

"Et je compris pourquoi l'homme aimait : il doit le faire parce que c'est le seul espoir pour chacun d'entre nous, de rester homme malgré tout".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Sur son lit d'hôpital, Koja Solm partage sa chambre avec un hippie bouddhiste. Sur une envie de confession, celui-ci lui raconte sa vie, celle de son frère, Hubert et de sa demie-soeur, Ev au travers d'un des plus grand pan de l histoire du xXe siècle.
Au travers des yeux de Koja et du triangle amoureux que la fraterie forme, nous découvrons un nouvelle angle sur l'histoire Allemande d'hier et d'aujourd'hui.

Ce roman peux faire peur par sa taille, riche en informations, des personnages hors normes.
J'applaudis sincèrement l'auteur et la traductrice pour leurs recherches pour nous offrir un pavé telle qu'elle.
On n'en ressort la tête pleine.
Certains chapitres paraissent inutiles pour leurs informations ou des moments vécus par les personnages, mais cela nous éclaire sur leur complexité.
Une saga historique Édifiante et hallucinante qui nous fait suivre le parcours d'un allemand né en Lettonie, menant une vie tout simplement par accident.
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Ce livre m'a happé dés les premières pages et jusqu'à la dernière. Il ne faut pas avoir peur de ses 900 pages. Il n'y a pas de longueur, de description inutile ou ennuyeuse. Il n'y a pas tant de romans qui dés les premières pages nous plongent immédiatement dans l'histoire.
L'histoire s'étend des années 1905 à 1970. Il y est question de la montée du nazisme, du rôle que de nombreux SS ont eu dans la seconde guerre mondiale ainsi que celui qu'ils ont eu après, que ce soit en Allemagne ou dans d'autres pays ou ils étaient "utiles", d'espionnage, de la guerre froide.
Il ne s'agit pas seulement de ça, il est question d'une famille, des relations fraternelles, mais aussi d'amour que ce soit celui de parents ou celui entre un homme et une femme.
C'est un livre très documenté l'auteur pour construire son personnage s'est appuyé sur la biographie d'Anita Kugler sur Fritz Scherwitz, "sauveur de Juifs, membre du SS-Einsatzgruppe A, original à tous les égards et doué d'une énérgie criminelle." S'étant lui même fait passer pour juif. Malheureusement cette biographie n'est disponible qu'en allemand.

L'auteur dans ses remerciements évoque ses sources et nous communique de nombreux ouvrages.
J'en ai relevé quelques uns dont j'ai regardé les résumés et qui me semblent particulièrement intéressants.
Cela peut peut être intéresser certains amateurs d'Histoire.

Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires : le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne.

Harald Welzer, Les exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse.

ZOLLING HERMANN ET HÖHNE HEINZ, le Reseau Gehlen. les Services Secrets Allemands Dans les Pays de L'est.

Isser Harel, La maison de la rue garibaldi.

Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires.

Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe .

Saul Friedländer, Kurt Gerstein. L'ambiguïté du bien.

Tim Weiner, Des cendres en héritage : L'histoire de la CIA.

Tom Segev, Les premiers Israéliens.

Michel Bar-Zohar, J'ai risqué ma vie.

Ari Shavit, Ma terre promise.






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Dans ce roman imposant, le narrateur raconte au vieux hippie qui occupe le lit voisin du sien à l'hôpital, les circonstances qui firent de lui un salaud, ou qui révélèrent le salaud qu'il était (là est la question), en une époque et des lieux où il s'en fit beaucoup, des salauds. Koja Solm est issu d'une famille Allemande noble originaire de Lettonie, artiste fils d'artiste. Dans les années 1930, alors que le nazisme étend son pouvoir en Allemagne, il se fait offrir par son frère un emploi dans ce qui s'avère être les services de renseignements nazis en Lettonie. Koja n'adhère pas au nazisme, il n'a rien contre les Juifs, mais il devient sous-officier nazi par ce concours de circonstances et ensuite, c'est comme si une implacable machine s'était mise en marche. Quand Hitler déclare la guerre à la Pologne, Koja sera entraîné vers des assignations de plus en plus compromettantes et infâmes. Il finira prisonnier en Russie dans cette terrible Loubianka d'où il reviendra encore plus salaud qu'il ne l'était...,
Ce roman demande un certain effort, le récit est extrêmement détaillé quant aux différents organes d'espionnage et de contre-espionnage allemands et autres et des différentes factions politiques qui grenouillent, dont notamment les anciens nazis qui tirent les ficelles en Allemagne fort longtemps après la fin du IIIème Reich. Il m'est presque tombé des mains aux deux tiers, mais je ne regrette pas de m'être accrochée car les deux cents dernières pages sont remarquables.
Le ton du narrateur est d'un sarcasme qui fait tour à tour sourire et grincer des dents. Certaines scènes sont effroyables. L'auteur dissèque l'âme du traître, pris au piège de ses mensonges, trop lâche pour s'en extirper, et qui finit par tout détruire...
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Chris Kraus : le nom de l'auteur de la fabrique des salauds rappelle aux cinéphiles un très joli film sorti en 2006 : Quatre minutes. le réalisateur n'a pas cessé de tourner mais ses autres longs-métrages n'ont pas eu l'heur de trouver le chemin des écrans français, y compris l'un des plus récents, Die Blumen von gestern, dont le sujet impliquait des chercheurs enquêtant sur l'Holocauste. Ce thème semble être une obsession majeure pour Kraus, dont un grand-père a été SS. La fabrique des salauds, traduction peu littérale de Das kalte Blut (Le sang froid), a été d'abord une ébauche de scénario, comme le confie le romancier dans sa postface, de ce qui est devenu un livre monstrueux à tous les égards, et pas seulement pour son poids épousant ses presque 900 pages. Ce long monologue d'un vieil homme hospitalisé s'adresse, en 1973, à un hippie suintant d'amour et de bienveillance (cela ne durera pas) qui représente les innocents lecteurs que nous sommes et qui vont découvrir, esbaudis, les exactions et les mensonges d'un opportuniste, frère d'un nazi convaincu, dans les moments les plus sombres du XXe siècle. La fabrique des salauds vient après de nombreux livres qui ont décortiqué l'engrenage qui fait d'hommes "normaux" des êtres sanguinaires, haineux et sans morale mais cet aspect-là, aussi "spectaculaire" soit-il, n'est pas le seul du livre de Kraus dont la deuxième partie explique, et ce n'est pas le moins horrible, comme ces suppôts d'Hitler se sont aisément recyclés dans l'administration allemande de l'après-guerre, y compris dans les services secrets avec pour le héros du roman des collaborations avec la CIA, le KGB, et même le ... Mossad. le livre est aussi le récit d'un terrible triangle amoureux entre deux frères et leur soeur adoptive, pendant de très longues années. le narrateur est un monstre irrécupérable mais c'est aussi un homme doté de sensibilité et c'est tout l'art de l'auteur que de parvenir à nous plonger dans la psychologie d'un individu qu'on ne voudrait côtoyer pour rien au monde et qui fascine tout de même pour sa capacité de survie et d'adaptation. Par ailleurs, La fabrique des salauds est aussi un livre férocement drôle, voire burlesque, dont les longueurs, il y en a évidemment, s'oublient face à la puissance narrative dégagée par cette prose sans cesse en émulsion. Ce n'est pas un roman que l'on peut aimer au sens strict du terme mais dont le tour de force littéraire est de ceux qui forcent le respect.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
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J'ai mis longtemps à lire ce gros roman : je me suis parfois perdue parmi les patronymes et les différents pseudonymes des nombreux personnages (on est dans le milieu du renseignement), entre les grades des officiers allemands et les différents services de l'armée (on est au coeur du régime nazi), parmi les différents pays appartenant à ce qu'on appelait le Baltikum dans les années 1920 (on va en traverser plusieurs, les fuir, y séjourner, y retourner) ; bref : j'ai eu des efforts à faire, mais il n'était pas question pour moi de lâcher cet exigeant, passionnant et dérangeant roman. Koja Solm raconte à la première personne une vraie saga familiale qui commence avec ses grands-parents, continue avec ses parents que les circonstances historiques soumettent, entre autres, à une considérable chute dans l'échelle sociale, se poursuit avec la carrière de Koja (Konstantin) et Hub (Hubert) Solm dans le régime nazi, et qui s'achèvera… Je vous laisse découvrir comment elle s'achèvera. Koja, son frère Hub et leur soeur adoptive Eva sont les trois principaux personnages de la Fabrique des salauds. « […S]eule une petite partie des événements et intrigues politiques décrits ici est entièrement imaginaire » nous prévient l'auteur dans son avant-propos. Il détaillera un peu cette assertion dans les « Remerciements ». Et La Fabrique des salauds m'a réservée bien des surprises. On sait tous, je crois, que bon nombre de nazis ont été « recyclés » à des postes divers, en Allemagne ou dans d'autres pays, comme l'ont été bon nombre de collabos en France. Mais comment est-ce arrivé ? combien de compromissions, de trahison, d'horreurs ? Et que dire des relations entre le Mossad et les services secrets allemands qui sont donnés ici pour réels, et qui, après rapide vérification, s'avèrent !
***
Koja Solm, 70 ans, est à l'hôpital au début des années 70 quand il commence une lettre : « Je dois te signaler, Ev […], je dois t'écrire, même si je devine que je n'aurai plus jamais de nouvelles de toi » (p. 20). Après le premier chapitre, pour ma part, j'ai complètement oublié que Eva était la destinataire de ce récit. Jusqu'à ce que je trouve une autre adresse à Ev : « […] comme tu le sais, Ev, je n'ai jamais eu la fibre spirituelle », page 477, j'avais l'impression que Solm racontait sa vie et celle de ses proches au hippie féru de philosophie orientale qui partageait sa chambre d'hôpital. Et c'est le cas… Dès le deuxième chapitre, le « vous », c'est monsieur Basti, le hippie. Les échanges entre les deux occupent même entièrement certains chapitres qui se lisent comme des pauses dans le récit. Après la page 477, même en faisant attention, j'ai de nouveau oublié que certains chapitres (tous ?) font sans doute partie de la lettre à Ev autant que du récit au hippie, mais c'est difficile à admettre dans la troisième partie... Ce jeu entre deux destinataires possibles vient assurément modifier la perception de ce qui est raconté !
***
Ce superbe roman m'a dérangée à plus d'un titre. Au début, je me suis même surprise à éprouver une certaine sympathie pour Koja qui semble incapable de prendre des décisions, se laisser gouverner par la personnalité de Hub et le suivre aveuglement pour différentes raisons dont Ev n'est pas la moindre. Mais non, cette aboulie n'est qu'apparente, et Koja se révèle un parfait salaud, parfois lâche, toujours opportuniste, même quand il est parfaitement conscient de l'horreur de ses actes, et imperméable au remord. Sauf une fois : les preuves du seul acte pour lequel Koja a du remord se trouvent dans l'enveloppe que lui apporte Hub à l'hôpital… Je crois que le ton que Chris Kraus prête à Koja pendant tout son récit, humour, sarcasme, ironie (le nom de John Irving fait partie des « géants » que Krauss remercie, p. 885), ce ton ajoute paradoxalement à l'horreur et touche le lecteur encore plus profondément. Bizarrement, ce pavé m'a rappelé, par certains côtés du personnage de Koja et les questions qu'il pose sur la responsabilité et sur le mal, le très bref roman le Silence de la mer, de Vercors, que j'ai lu très jeune et qui m'a durablement marquée…
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Avant de m'attaquer au fond de l'histoire, et quel fond puisqu'il s'agit de ni plus ni moins de 70 ans d'Histoire au cours desquels l'Europe et le monde ont connu de profonds bouleversements ; je souhaiterai dire quelques mots sur la forme. Ce bouquin est tout simplement divinement écrit, pour son premier roman traduit en français Chris Kraus signe une oeuvre audacieuse (pas loin de 900 pages) qu'il maîtrise de bout en bout, sa plume est un régal pour les yeux (il parvient même parfois à sublimer l'horreur et le tragique de certaines situations, ou, à contrario à les restituer froidement). de fait je ne peux que m'incliner devant le formidable travail de la traductrice, Rose Labourie, qui su retranscrire toutes ces émotions et toute la magie des mots à l'attention des lecteurs français.

Il m'aura fallu pas loin de trois semaines pour venir à bout de ces 900 pages, délai qui n'est pas à imputer à la qualité du récit mais bel et bien à un emploi du temps professionnel surchargé qui faisait qu'en rentrant du taf je n'avais envie de penser à rien. Or ce roman n'est pas vraiment une lecture vide tête, loin s'en faut ! Les neurones turbinent à fond au fil des pages…

Il est facile de juger rétrospectivement, confortablement vautré dans son canapé ; mais qui peut en toute sincérité affirmer qu'en son âme et conscience, dans les mêmes conditions, il n'aurait pas fait les mêmes choix que Koja, ou Hub Solm ? Pour ma part je préfère me réfléchir aux paroles de Jean-Jacques Goldman plutôt que de dispenser des leçons de morale à deux balles :

Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt / Sur les ruines d'un champ de bataille / Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens / Si j'avais été allemand ?

N'allez surtout pas croire que je cherche à excuser, ni même à minimiser les horreurs du régime nazi. Une telle abomination est et restera à jamais inexcusable, mais l'esprit humain est une mécanique complexe qui peut nous pousser à faire passer l'instinct de survie avant le sens moral.

La Fabrique Des Salauds n'est pas un énième roman sur la seconde guerre mondiale, même si le conflit reste le fil rouge de l'intrigue, c'est plutôt les années d'après-guerre qui donne corps au récit et à l'histoire que nous narre Koja Solm. Avec en point de mire la surprenante facilité avec laquelle l'Allemagne d'après-guerre a su recycler nombre de ses anciens dignitaires nazis.

Un narrateur au parcours peu commun puisqu'après son enrôlement au sein de la SS il visitera les geôles des services secrets russes avant d'être « retourné » par le KGB, puis mettra son savoir au service du BND (les services secrets allemands), de la CIA et du Mossad. Parfois même en revêtant une double, voire une triple, casquette avec souvent des intérêts totalement contradictoires (les uns veulent protéger les anciens nazis alors que les autres cherchent à les démasquer et à les traduire en justice).

Koja Solm lui même se retrouvera plus d'une fois le cul entre deux chaises, d'un côté il doit se protéger et cacher (ou minimiser) ses anciennes fonctions dans la SS, de l'autre répondre aux attentes de ses employeurs et enfin se venger de son frère en le faisant tomber sans que celui-ci ne l'entraîne dans sa chute.

Une lecture éprouvante moralement et nerveusement (ce qui explique aussi le temps mis pour achever le roman), au-delà des actes eux-mêmes c'est le ton du narrateur qui est dérangeant. Il relate les faits avec froideur et en cherchant toujours à mettre une certaine distance entre l'acte et sa propre responsabilité. Au lieu d'éprouver des remords, il va plutôt chercher à se faire passer pour une victime. Ce déni permanent et cette lâcheté m'ont dérangé plus d'une fois ; difficile, pour ne pas dire impossible, dans ces conditions d'éprouver un semblant d'empathie pour le personnage de Koja Solm. Et pourtant parfois on aurait presque envie de le croire !

Chris Kraus mêle adroitement Histoire et fiction, n'hésitant pas à faire intervenir dans son intrigue des personnages ayant réellement existés. Difficile de deviner où s'arrête la réalité historique et où commence l'imaginaire de l'auteur ; d'autant qu'il nous prévient dans son avant-propos, les événements les plus incroyables (ou les plus improbables) ne sont forcément fictifs.

Un bouquin qui vous prend aux tripes, à savourer lentement pour apprécier pleinement tout son potentiel. Clairement pas une lecture qui vous redonnera foi au genre humain !

L'auteur a récemment déclaré qu'il trouvait le titre français de son roman très bien trouvé pour son côté cash avec un brin de provocation ; le titre original Das Kalt Bulte pouvant en effet se traduire par le Sang Froid, certes adapté mais nettement plus sage que La Fabrique Des Salauds.
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