Belisarius Arjona a réussi son arnaque. Dans
le Magicien quantique, il a permis aux troupes de l'Union de s'échapper des griffes de la Congrégation par un tour de passe-passe phénoménal. En passant, il s'est permis de dérober le dispositif permettant de voyage dans le temps. de toute façon, seul un Homo quantus peut l'utiliser correctement. Mais tout cette escroquerie va avoir des conséquences inattendues et fort désagréables. La Congrégation décide de se venger et détruit entièrement la Mansarde, lieu de refuge de la colonie d'Homo quantus. Belisarius va-t-il pouvoir sauver ses compatriotes grâce à une nouvelle ruse ?
Si le Jardin quantique se situe directement à la suite du Magicien quantique, si on y retrouve exactement les mêmes personnages, le type d'histoire et surtout le ton sont différents. Et cela m'a bien plu. Les personnages acquièrent une profondeur à peine survolée dans le premier roman. En particulier Belisarius et Cassie, ainsi que Iekanjika, colonelle dans l'Union, pleine de fureur après le vol du portail par l'Homo quantus. Et quelle joie de retrouver notre cher Bâtard et son vocabulaire si imagé, ainsi que l'I.A. Matthieu, qui nage en plein drame, tant les circonstances vont lui imposer des choix cornéliens, en opposition avec ses croyances les plus profondes. Tous ces êtres vont se retrouver devant des cas de conscience, horribles pour certains, déchirants. Comme je le disais précédemment, le ton est différent : il est beaucoup plus sombre. Belisarius court après une rédemption inaccessible après son coup aux conséquences trop fortes. Sa fragilité naturelle, ses difficultés, propres aux Homo quantus, à communiquer aisément avec les autres individus, le rendent extrêmement touchant. Et l'on souffre avec lui de ses difficultés à réparer ce qu'il considère comme ses fautes. D'autant qu'il va en commettre d'autres, tragiques. Quant à Ayen Iekanjika,
Derek Künsken n'est vraiment pas tendre avec elle. Elle se retrouve en pleine remise en question : le voyage dans le passé lui fait prendre conscience de la fragilité de ses croyances et remet en cause sa confiance dans son entourage. Tout ce qu'elle avait, tout ce qui l'avait forgée, tout ce qu'elle est, en fait, va voler en éclat quand elle découvrira la réalité du passé, loin des contes qu'on lui avait servis. Et elle aussi devra faire des choix difficiles, cruels, atroces.
Après un récit de type « arnaque »,
Derek Künsken s'attaque au « voyage dans le temps ». Et de bien belle manière ! Belisarius se voit contraint tout d'abord d'aller dans le passé pour récupérer ses compatriotes avant la destruction de leur refuge. Puis de voyager sur le monde où la « machine à voyager dans le temps » a été découverte, une quarantaine d'années auparavant. Et tout cela en évitant le célèbre paradoxe du grand-père. Noeuds dans le cerveau garantis. Mais plaisir infini du lecteur aussi ! C'est ainsi quand on voyage dans le temps selon la sauce quantique. Rassurez-vous cependant : moi, déjà, j'ai parfois du mal avec trois dimensions. Mais quand on dépasse la vingtaine, je suis en roue libre. Normal ! Heureusement,
Derek Künsken se montre très habile dans la narration et les passages où Cassie dirige le vaisseau des voyageurs temporels à travers les dimensions sont d'une grande fluidité. Même pour moi qui n'y connais rien du tout dans ces domaines. Et quand je dis rien du tout, c'est rien du tout. Donc, si j'ai compris et éprouvé du plaisir en lisant ces moments, c'est que l'auteur a su aborder ce thème avec subtilité et un certain talent de vulgarisateur. Il a tendu sur ces passages un voile magique, tissé de nombres et de lettres : le résultat est bluffant.
Un autre passage qui m'a vraiment intéressé et touché, dans ce roman, est celui où Belisarius, lors de sa mission dans le passé, rencontre un espèce de plante dont il finit par découvrir l'intelligence. Il communique grâce à une machine à odeurs conçue par des chercheurs de la Congrégation. le vocabulaire est limité et l'Homo quantus s'aperçoit rapidement que la conversation n'est pas linéaire : les mots restent flotter dans l'air et certaines nouvelles odeurs viennent renforcer de précédentes ou les annuler. Ainsi progresse la conversation. Fascinant mécanisme qui n'est pas sans me rappeler les scènes magiques de communication dans le film Premier contact (Arrival,
Denis Villeneuve, 2016 ; inspiré d'une nouvelle de
Ted Chiang) : l'encre forme des symboles que les scientifiques parviennent progressivement à décoder. Mais la grammaire, la structure des « phrases » peine à apparaître. Jusqu'à ce que l'héroïne puisse intégrer le temps dans l'équation. Et dans le Jardin quantique, la conversation joue sur le voyage à travers le temps. Cette espèce de plante utilise le trou de ver (que volera dans l'avenir Belisarius après son arnaque) pour tester son évolution : les modifications génétiques sont tentées et les plus résistantes seront utilisées, validées par le passage à travers le portail. le pollen circule donc entre le passé, le présent et le futur en un ballet dans lequel seul un Homo quantus peut se repérer. Ainsi, les Hortus quantus (jardin quantique) peuvent survivre à une catastrophe (et l'étoile du système où elles vivent a souvent des sautes d'humeur meurtrières, comme le soleil dans plusieurs nouvelles de
Liu Cixin). Cette longue et tragique rencontre entre Homo quantus et Hortus quantus a été un de mes moments préférés dans la lecture de ce roman, tant l'auteur a su y stimuler ma curiosité en même temps que mes émotions.
Autant j'avais émis quelques réserves après la lecture du Magicien quantique, autant je suis enthousiaste au possible après celle du Jardin quantique, deuxième volume d'une tétralogie dont j'espère vraiment la publication en français des deux derniers tomes. Pour cela, il faudra que les ventes de cette série décollent un peu (et pour l'instant, ce n'est pas le cas). Donc je croise les doigts, vraiment, tant j'ai apprécié ces voyages spatio-temporels avec Belisarius Arjona, cet homme aux capacités phénoménales, mais à la fragilité infiniment émouvante.
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