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EAN : 9782359496437
208 pages
Don Quichotte éditions (17/08/2017)
3.93/5   7 notes
Résumé :
Drancy, 1943 : Elsa est internée au camp de La Muette, où elle découvre un système cruel et bien organisé avant la déportation. De nos jours : La Muette est une cité HLM où Nour mène, comme tant d’autres, une vie entre exclusion sociale et petite délinquance. Un roman à deux voix.
Elsa parle la langue d’une vieille dame éduquée, Nour le verlan des cailleras. Tous deux connaissent bien La Muette. La malédiction qui frappe ceux qui y vivent ou qui y ont séjour... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Un livre coup de poing !! même si l'auteur dénie toute intention politique ou polémique, ces deux récits entremêlés nous bousculent, nous dérangent, nous bouleversent à de multiples niveaux....

"La cité de la Muette, avec une parfaite unité de lieu, représente ce qu'on ne veut pas voir à la fois dans l'histoire et dans la société françaises. Une double proscription, un double couvercle de plomb a été scellé sur cette réalité. Mais, si on écrit , n'est-ce pas dans l'espoir de soulever quelques couvercles ?" (p. 204-205)

Très bouleversée, et totalement captivée par plusieurs titres cette rentrée, qui rendent hommage à la fois à un pays, et à une personnalité-phare [ L'Algérie et l'éditeur, Edmond Charlot, avec "Nos richesses";L'Algérie , la France, et l'architecte, Fernand Pouillon, passerelle entre les deux,
avec "Climats de France"], et cette fois, dénonciation d'intéressants projets architecturaux , originellement, devenus des tragédies et des malheurs dans la durée , je veux nommer "La Muette" d'Alexandre Lacroix, où cet auteur-philosophe s'est fortement intéressé au camp de transit de Drancy...entre son horrible passé et son présent, où l'exclusion et un certain malheur perdurent...

Comme les textes cités précédemment, l'écrivain use d'une habileté dans la narration, pour mettre en parallèle entre le passé et le présent. Une vieille dame raconte à un historien son internement à Drancy, puis sa déportation... récit qui s'alterne avec celui d'un jeune d'aujourd'hui qui vit dans cette cité, devenue HLM, et ensemble de logements sociaux... avec son langage en verlan et en argot... un rythme plus saccadé. Ce jeune de Drancy se retrouve interrogé au commissariat pour la mort d'un ami...


A la fin, Alexandre Lacroix nous raconte la genèse de ce roman..son origine, .sa progression, ses questionnements , et le pourquoi de sa publication reportée ...

" Tout en me baladant régulièrement à Drancy, je me suis mise à écrire ce roman. Je ne suis pas un enfant de la seine-Saint-Denis. Je n'y suis pas allé pour astiquer mes lunettes idéologiques et revenir avec un message édifiant. Je n'en rapporte aucune doléance sur la panne de l'ascenseur social, les ratés de l'Etat-providence, je ne tire pas de sirène d'alarme sur l'existence de soit-disant poches de non-droit. Si j'ai passé cette porte secrète qui se trouve après l'hôpital Jean-Verdier à Bondy, c'est
gratuitement. Je l'ai fait pour entendre une autre langue et apprendre à la manier, pour découvrir un autre rapport possible à la vie et au corps, à la loi et au ciel- en somme , pour arpenter l'envers du décor" (p. 203)

Un livre bouleversant et dérangeant, qui nous interpelle tous...très profondément ....sur l'existence de la barbarie et du mal , ainsi que sur les lieux marqués par le sceau du malheur, de l'infamie...!

Ce lieu mal connu de Drancy, La Cité de la Muette à Drancy, à l'origine devait être un fleuron de l'architecture française. Dessinée par deux grands architectes, elle représentait une réponse au Bauhaus allemand et une révolution du logement populaire. Mais le chantier fut interrompu avant-guerre et , de 1941 à 1944, elle devint ce que l'on sait: un camp administré par les gendarmes français et les nazis...Depuis cet endroit, soixante-sept mille juifs furent déportés !...

"Rien que pour eux, mais aussi pour tous les autres disparus, monsieur l'historien, je me suis juré que, jusqu'à mon dernier souffle, je raconterai ce qui s'est passé à Drancy, à quinze kilomètres à vol d'oiseau de la Tour Eiffel. Oui, je me suis juré que je témoignerai sans relâche, parce qu'il faut que les gens sachent , il faut qu'ils comprennent de quoi l'humanité est capable, s'ils veulent avoir une chance de vaincre le mal en eux. Car c'est bien en nous qu'est la racine du mal, ne croyez pas qu'elle pousse seulement dans le coeur des autres." (p. 183)
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Il s'agit d'un roman à deux voix : Elsa arrêtée, puis incarcérée à Drancy raconte ce qu'elle a vécu à un historien alors que Nour, jeune ado qui vit dans une cité établie sur ce que fût le camp, est interrogé par un policier.

Elsa raconte la vie quotidienne, les petites lâchetés les conditions d'hygiène déplorable la survie dans le camp, et les trains dans lesquels partent les déportés vers une destination que personne ne connaît sauf peut-être les Polonais. A chaque départ, on chante « ce n'est qu'un au revoir… »

Elsa raconte aussi son amitié avec Louise (elles dorment toutes les deux ensemble, collées l'une contre l'autre pour se réchauffer et se rassurer) et la fragilité des relations qui peuvent se nouer dans le camp, où le but est de survivre.

Elsa qui était institutrice crée une école pour transmettre un savoir et donner un espoir d'avenir :

« … ce qu'il y a de merveilleux dans ce métier, ce n'est pas de transmettre des savoirs, de bourrer les crânes, non. Mais, c'est ce qu'on ne soupçonne pas, ce qui est sous-entendu. Toute éducation est une préparation à vivre, car le simple fait d'éduquer suppose qu'il y ait un futur… Vous ne pouvez rien apprendre à un enfant ou à un jeune si vous ne croyez pas qu'il a un avenir, et un avenir digne d'être vécu, voilà ce qui m'est apparu avec évidence à Drancy. » P 90

Nour raconte au policier la vie de la cité, où l'espoir n'est pas forcément au rendez-vous, la vie des familles, le chômage, la drogue… son ami Jamie et la compagne de celui-ci. On comprend très vite qu'un évènement important s'est produit puisqu'il est interrogé, mais l'auteur sait manier le suspens, le temps suspendu parfois.

J'ai bien aimé ce récit choral où les deux héros sont prisonniers, chacun à sa manière, et tentent de s'échapper, leurs univers sont à des années lumières l'un de l'autre, mais leurs chants se mêlent, s'entrelacent ; le désir, l'espoir ou l'horizon bouché sont-ils si différents ? Ils traversent des épreuves tous les deux:

« C'est uniquement après que l'épreuve est terminée qu'on cesse de lutter et qu'on s'effondre. » P 137

Au départ, en écoutant parler Nour, j'ai éprouvé une certaine crispation, énervement même : comment ce jeune peut-il espérer s'en sortir dans cette cité alors qu'il ne parle pas la même langue que nous. Il s'agit d'un mélange de verlan, de mots anglais, quant à la concordance des temps ?

Et peu à peu, je me suis habituée, je suis allée vers lui en fait, j'ai essayé de le comprendre dans sa logique, sa manière de raisonner dans la violence habituelle, banalisée de cette cité, où les mots ont été vidés de leur sens : on parle de tournante, pas de viol collectif, on peut s'envoyer en l'air avec la compagne de son meilleur pote, il n'y a pas de mal, une fille qui vend son corps pour de la drogue, ce n'est pas de la prostitution…

Et ceci marche dans les deux sens : les policiers aussi jouent avec les mots.

« J'ai remarqué un truc marrant, soit dit en passant. Vous les condés, vous ne dîtes pas interrogatoire mais audition. Style, c'est un casting et on va être choisi pour The Voice ! faut avouer qu'il est bien hypocrite votre vocabulaire. Ça va avec le reste. » P 30

Je pense qu'il y a une mémoire des lieux, et aménager cette cité de la Muette, qui se voulait un fleuron de l'architecture, en logements sociaux alors qu'elle avait été entre temps le camp de Drancy, gare de triage pour la déportation, me choque profondément. Cela montre que l'on veut cacher ce qui dérange.

Ce roman est très fort, percutant, tant dans le style que dans le propos et on n'en sort pas indemne. Il marquera ma mémoire. Je ne l'aurais probablement pas lu sans les conseils de ma bibliothécaire préférée. J'espère vous avoir donné envie de le lire.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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La Muette, c'est cette cité de Drancy, construite au début des années 30 pionnière en matière d'habitat à loyer modéré. Pendant la seconde guerre mondiale, La Muette deviendra le camp de Drancy dans lequel seront internés avant déportation quasiment tous les juifs partis de France à Auschwitz.

Soixante-dix ans plus tard, Elsa, une rescapée témoigne de son internement auprès d'un historien. Puis Nour, un jeune homme habitant la cité de la Muette, de nos jours y raconte son quotidien.

C'est donc un double dialogue auquel Alexandre Lacroix nous invite. A coup d'alternance des intervenants, il construit deux histoires, fictives, mais tellement réalistes. Les deux narrateurs ne se rencontrent pas vraiment, mais leurs histoires ont en commun, celle de Nour, ne peut pas faire l'impasse sur celle d'Elsa. En fait, contrairement aux romans à plusieurs voix dont on sait qu'elles vont se rejoindre, on sent dès le départ que celles-ci ne se rencontreront pas, mais ce n'est pas un souci, c'est au lecteur de faire ce travail. C'est notre cerveau qui lie la vie d'Elsa et celle de Nour.

Alexandre Lacroix écrit les deux histoires différemment : Elsa est directe, sobre, elle peut user parfois d'un humour, d'une ironie du désespoir, mais souvent son histoire est émouvante, terrible et instructive. le camp de Drancy, bien sûr que je connaissais, mais je n'y pense pas tous les jours et j'avais un peu oublié son histoire. Si le romancier n'invente rien dans le genre du récit d'une déportée, il a la bonne idée de nous remettre en tête le rôle de la France dans l'internement et la déportation des juifs. Des faits et encore des faits incarnés par Elsa.

Nour est un tchatcheur, un petit mec des banlieues qui parle verlan et moderne, zone avec ses potes, notamment Jamie et Samantha. Interrogé par un policier pour une affaire qui se révèle sur la fin, il raconte sa vie dans cette cité particulière, au lourd passé.

Un double roman qui laisse un besoin de creuser la piste de la Muette, et je suis allé me renseigner sur des sites pour en apprendre un peu plus. Je croyais naïvement que le camp avait été détruit et une cité reconstruite dessus, mais non, les habitants actuels vivent dans les mêmes bâtiments que les juifs internés. J'ai vu également qu'il existait un film, La cité muette, de Sabrina van Tassel, que je vais tenter de visionner. Un roman qui fait réfléchir le lecteur et l'instruit tout en lui donnant l'envie de continuer à apprendre sur son contexte, j'aime beaucoup. C'est aussi à cela que sert la littérature. Mission accomplie par Alexandre Lacroix.

PS : une courte postface explique la genèse du texte ainsi que les raisons de sa parution cette année, alors qu'il est écrit depuis plus de deux ans.
Lien : http://www.lyvres.fr/
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Tout en me baladant régulièrement à Drancy, je me suis mise à écrire ce roman. Je ne suis pas un enfant de la seine-Saint-Denis. Je n'y suis pas allé pour astiquer mes lunettes idéologiques et revenir avec un message édifiant. Je n'en rapporte aucune doléance sur la panne de l'ascenseur social, les ratés de l'Etat-providence, je ne tire pas de sirène d'alarme sur l'existence de soit-disant poches de non-droit. Si j'ai passé cette porte secrète qui se trouve après l'hôpital Jean-Verdier à Bondy, c'est
gratuitement. Je l'ai fait pour entendre une autre langue et apprendre à la manier, pour découvrir un autre rapport possible à la vie et au corps, à la loi et au ciel- en somme , pour arpenter l'envers du décor. (p. 203)
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Pourtant non, je vous le garantis, ce qui s'est passé était à mille lieux de la bestialité. Même , j'ose ajouter, et c'est une vieille femme qui vous parle, monsieur l'historien, que de ma vie je n'ai jamais rien vu d'aussi doux, d'aussi tendre que les couples de cette nuit-là. Les gens ne cherchaient pas seulement à profiter les uns des autres, ils voulaient aussi retrouver cette tendresse essentielle qui était comme l'ultime braise d'humanité qu'il leur restait. Vraiment, même si les couples se nouaient sans un mot, même si les dialogues étaient courts, les caresses en disaient long. Chacun de ses gestes, que vous pourriez interpréter, à tort, comme de l'abandon ou de l'excès, était en fait un acte de résistance. (p. 163)
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Note de l'auteur (...)

Mais je disais que je les ai revus, ce dimanche.
Eux: ce sont deux gars, vingt-deux ou vingt-trois ans je dirais, qui ont l'air de travailler dans le bâtiment. (...) Ce sont mes veilleurs, mes sentinelles. Par les temps qui courent, je suis toujours heureux de penser qu'il y a des types qui se retrouvent au milieu de nulle part juste pour boire et parler, sans regarder toutes les trente secondes leur téléphone portable. (p. 196)
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C’est que les habitudes ne sont pas, contrairement à ce que la plupart des gens croient, comme une colonne vertébrale qui permet de se tenir debout. Non, elles ressemblent plutôt à une carapace qui vous protège des coups. Une fissure dans l’armure, et vous voilà en danger. P 66
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Note de l'auteur

(...)
La cité de la Muette, avec une parfaite unité de lieu, représente ce qu'on ne veut pas voir à la fois dans l'histoire et dans la société françaises. Une double proscription, un double couvercle de plomb a été scellé sur cette réalité. Mais, si on écrit , n'est-ce pas dans l'espoir de soulever quelques couvercles ? (p. 204-205)
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Vidéo de Alexandre Lacroix
https://fr.ulule.com/philosophie-magazine/
Lorsque Philosophie magazine s'est lancé en 2006, avec une petite équipe de journalistes emmenée par un rédacteur en chef et un éditeur novices, Alexandre Lacroix et Fabrice Gerschel, les chances de succès étaient minces. Peu de moyens financiers, quasiment aucune publicité… mais un projet à la fois utopique et évident : associer philosophie et journalisme afin d'éclairer les grands enjeux de l'actualité, dans toutes ses dimensions, et rendre accessible 2 500 ans de patrimoine philosophique pour un public non initié, auquel nous ne demandons aucune connaissance préalable, juste de la curiosité. Aujourd'hui, alors que nous travaillons sur une nouvelle formule, nous faisons naturellement appel à vous. Que vous soyez abonné, lecteur, ancien lecteur, ou que vous ne nous connaissiez pas encore !
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