Dans sa vidéo de présentation,
Peggy Larrieu annonce un ouvrage collectif pluridisciplinaire, écrit au printemps 2020 et qui "traite de la crise sanitaire sans pour autant s'y réduire". Un livre récent, sur mon obsession du moment, et qui me permet de découvrir tout un tas d'auteurs (neuf au total) ; autant dire que j'étais très enthousiaste. J'ai vite déchanté.
Déjà il parle du sujet à la manière d'un pamphlet plus qu'il ne le traite comme un traité. Et c'est très verbeux, très philosophique et psychanalytique : beaucoup de mots, peu d'idées. En tout cas peu d'idées nouvelles. Ainsi, trois des textes qui constituent ce recueil semblent être des adaptations faites par leurs auteurs respectifs pour l'occasion [1].
Le rapport avec la pandémie du covid-19 est très indirect et semble souvent un peu forcé. Qu'importe, il est bon de prendre de la hauteur. Ce que font les auteurs en critiquant une hypermodernité trop libérale, trop individualiste et surtout technoscientiste. Sempiternel discours négatif sur la maîtrise technoscientifique vue comme froide et déshumanisante, prétentieuse, qui croyait à la fin ou au sens de l'histoire, pensait résoudre tous les problèmes et pacifier le monde. Mais qui ce faisant l'aurait rendu mort-vivant, dénué de son âme rebelle, de sa belle vitalité. C'est
Jean-Michel Besnier qui résume le mieux cette pensée quelque peu réactionnaire : « Vivre, c'est résister et aller au-devant de l'adversité ! ». Ses confrères seront sûrement d'accord avec lui. Car il faut reconnaître que ce projet éditorial est très cohérent et plutôt bien coordonné. Ces intellectuels ont dû discuter ensemble, certains ont même écrit en duo [2]. On retrouve carrément des concepts identiques d'un texte à l'autre.
Hormis la technique, la critique principale est adressée à l'encontre du néolibéralisme : alliance du marché et de l'État pour couper les liens entre l'individu et tout ce qui les sépare d'eux, d'après la définition de
Barbara Stiegler. Force est de constater que le lien social a pas mal souffert pendant cette crise. À un homo sociabilis qui sort et socialise aurait succédé l'homme qui dort, confiné chez lui, homo clausus ou homo festivus numericus prisonnier d'une "solitude numéricopathologique à forte tendance schizo-phrénique". Et toute cette misère humaine dans une société qui ne se préoccuperait pas assez d'autrui, un monde trop rapide, qui court à sa perte (perte de sens, perte de valeurs), trop complexe, trop liquide ou trop molle. Il faudrait alors durcir le ton, retrouver l'autorité mais aussi la convivialité du monde d'avant. En ce qui me concerne je n'ai pas la nostalgie d'un monde que je n'ai pas connu : un monde dur.
J'ai trouvé dans cette collection de textes un certain esprit soixante-huitard (faites l'amour, pas la guerre au virus !). Mais des soixante-huitards qui auraient vieillis et seraient devenus des anti-Lumières avec des relents moralisateurs, mais aussi un étonnant mysticisme ou à tout le moins la défense d'une vision artiste ou plus organique qui s'opposerait à la prédominante mentalité rationnaliste d'ingénieur. Mais ce discours est assez commun, convenu et conformiste. Il pourrait même s'avérer dangereux si l'on cherche à simplifier brutalement, par un retour en arrière, un monde devenu trop complexe. Comme le pensait Joseph Tainter, cela pourrait causer l'effondrement de notre civilisation. Il y a bien sûr beaucoup de problèmes mais aussi de nombreuses solutions (souvent techniques il est vrai). Grâce au néolibéralisme nous sommes libres de choisir, nous pouvons vivre longuement et de la manière qu'on a choisie. J'ai donc envie de défendre cette civilisation, pas ce bouquin.