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Maurice Godelier (Autre)
EAN : 9782902039326
381 pages
Editions Dépaysage (04/11/2022)
2.25/5   2 notes
Résumé :
Dans sa dimension culturelle, la créolisation est une manière de se transformer en continu, de façon imprévisible, qui suscite d’étranges équilibres provisoires lorsque chacun des groupes sociaux en présence semble interagir avec l’autre, sans en prendre toujours la mesure.

Par la description du processus de créolisation qui sous-tend l’invention du Cap-Vert, Pierre-Joseph Laurent remédie enfin au problème d’une vision historique tronquée, liée à ce q... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« À rebours des clichés sur la « créolisation », quand l'anthropologie comble les lacunes d'une histoire volontairement oublieuse… Bonne lecture »

« Editions Dépaysage : « Dénaturez l'inné. Désincrustez l'acquis. Désapprenez-vous. » Jacques Lacarrière, « La sourate du vide », Sourates 1982. »

C'est par cette élégante et large carte de visite, marquée de cette dédicace manuscrite en forme de slogan, que s'ouvre ma découverte de ce livre reçu lors d'une opération Masse Critique, pour lequel je remercie bien évidemment l'auteur, les éditeurs, ainsi que Babelio.
J'ignore à quel point la sélection se fait de manière individualisée ; ceux qui suivent de façon personnelle mes critiques connaissent sans doute mon parcours de créolisation capverdien, parachevé d'ici peu sous la forme d'une résidence permanente sur l'île de Santo Antão.
Inutile donc d'en rajouter sur ma joie de recevoir cet ouvrage, et de mon engagement dans sa lecture attentive, et ce malgré une forme largement perfectible, comme le laissent entendre les deux chroniqueurs passés ici avant moi.

À mon habitude, chaque passage interpellant appelle un haut de page cornée, laissant ce livre hérissé d'une multitude de petites cicatrices, si nombreuses que j'ai dû renoncer à leur référencement de manière exhaustive, réponses ou amorces de dialogues imaginaires pied à pied avec l'auteur, dont cette critique ne saurait servir de support tant la légitimité et le temps me manque.
Le bagage universitaire et l'expérience de terrain de l'auteur — professeur d'anthropologie à l'UCL (Belgique), spécialiste de la « civilisation » Mossi d'Afrique de l'Ouest et visiteur à de nombreuses reprises de l'Archipel qui nous occupe à présent — plaide au sérieux d'un travail se voulant lavé des excès d'occidentalo-centrisme propre à cette discipline, sa spécialité d'ethnologie à présent carrément suspecte, ayant également perdu de sa pertinence au vue de la mondialisation des peuples…

L'incipit, marqué lourdement par ce préfixe « dé- », annonce la couleur pour ce qui est de sa démarche de « déconstruction ».
C'est avec une certaine impatience que l'on attendra son résultat sur une culture que l'on pourrait retenir comme modèle « d'hybridation » réussie entre Afrique et Occident. J'ignore à quelle histoire officielle il fait référence, le Portugal n'ayant sans doute pas conservé l'enseignement salazariste de son histoire coloniale.
La partie proprement historique de l'ouvrage reste sans doute la plus intéressante, synthétisant de manière efficace la complexe et multifactorielle histoire de l'esclavage dans la région, rappelant la multitude d'acteurs et leurs transformations successives, ainsi que les luttes civilisationnelles entre christianisme, judaïsme et islam qu'elles engendrèrent de par leurs conquêtes respectives. Il y rappelle surtout la présence de sociétés africaines « avancées », dont l'existence fut souvent minorée voire oubliée par une certaine historiographie, quitte à perturber le narratif commode et naïf des gentils indigènes contre les méchants envahisseurs…
On y verra surtout par extension la négation du caractère primordial et symbiotique de tels peuples, au sens noble du terme dans mon hypothèse, voyant personnellement dans le tout-matérialisme ou dans la croyance au progrès éternel le principal défaut de nos civilisations ; à vouloir relativiser les différences de développement, on risque d'y gommer leur caractère naturel, dans le sens d'une adaptation de l'Homme à un milieu et à une époque tel dénominateur premier, comme soulevé dans « Un monde sans hiver » de Francis Hallé (*).
On notera néanmoins, dans le riche exemple des Mossis, le caractère cyclique et non-linéaire de leur conception de l'existence.

La partie la plus instructive, bien qu'insuffisamment développée à mon sens, concerne cette forme de créolisation qui a concerné « l'ethnie » en devenir qu'était les « Lançados », colons portugais en rupture de ban s'établissant peu à peu à leur compte, s'acculturant ( bien que l'auteur revienne longuement sur le sens de ce terme anthropo-sociologique, de sa relativité… ) bien plus que le stéréotype du colon britannique, exemple-phare de ce que peut être un peuplement refusant jusqu'à l'absurde l'adaptation à son milieu et toute forme de métissage.
( sous couvert, bien entendu, de généralités, on pensera par exemple à cette description qu'en fait justement le portugais Vitorino Nemésio à leur sujet dans le peuplement des Açores )

Centrant son étude sur l'adaptation des croyances africaines face à l'instauration du christianisme, résultant en une forme de syncrétisme religieux, l'auteur prend le risque d'en faire son unique domaine d'application. Il nous avertit rapidement qu'il n'est pas là pour juger, ni former d'hypothèse sur ce que serait la réalité, renvoyant la notion d'universalisme français à une forme de narcissisme, faisant hésiter entre commodité post-moderne deconstructionniste et réel amendement d'une discipline, comme toute science sociale, souffrant d'être éternellement inexactes.
Il se garde bien d'utiliser le mot « superstition », et répète inlassablement telle une litanie ce cortège de soi-disant croyances sensées illustrer l'africanité que sont pour lui « odju, bòka fédi, assombração, sombra, finado ».
C'est d'ailleurs en terme de répétitions malhabiles que ce livre pèche. Certains termes importants voient leurs traductions ou équivalences rappelées de manière presque hypnotique, quand la locution la plus mise en évidence semble être cette « société esclavagiste » ou « plantation esclavagiste » (moragadio, et plus tard, fazenda) que l'auteur semble scander avec une quasi-gourmandise, alors qu'il rappelle que cette société s'est justement rapidement effondrée.

L'analyse centrée sur ces presque seuls facteurs de dominants / dominés ne laisse pas suffisamment la place à l'influence du milieu naturel sur l'évolution culturel d'un peuple qui a la particularité, voire la chance, de ne peu connaître de notion d' « indigénéité ».
….
Aucune place n'est donnée à la passionnante étude linguistique du créole capverdien, et de ses différences marquées entre les îles, bien qu'elle aurait nécessité à elle seule un ouvrage entier… ( et de rappeler à l'auteur, comme clin d'oeil à son utilisation isolée du point médian inclusif, que la voyelle finale, sauf exception accentuée, est systématiquement gommée, omettant de genrer quelque mot que ce soit, comme est dit là-bas « brouch », le brujo et la bruja (sorcier / sorcière) auxquels il fait tant référence (**) )

Le schématisme le plus net est de rigueur quand il analyse la distribution des terres arables, ainsi que l'histoire de la réforme agraire des années 1980. L'exemple de Tarrafal de Monte Trigo sur l'île de Santo Antão n'est instruit qu'à charge ( pas un mot sur le système d'irrigation mutualisé…) ; on ignore ce qu'il entend par empêchement de la modernisation de l'agriculture par une concentration des terres ; à aucun endroit n'est fait mention du « Dia das Calças Roladas », jour où l'on tira sur la foule globalement en colère contre cette redistribution des terres à Figueiral de Santo Antão, évident paradoxe sauf à le considérer comme symptomatique d'une « syndrome de Stockholm » de certains métayers, non retenu dans son analyse strictement dichotomique ( le magnifique roman que Germano Almeida lui consacra reste malheureusement non-traduit à ce jour ).

Il faut comprendre que ce qui a sauvé le Cap-Vert de tous les excès de la colonisation, c'est justement le peu d'intérêt qu'il a suscité, du fait de son absence de matière première, et de son aridité. Ce nom presque trompeur lui est pourtant resté…
On aurait apprécié quelques recherches sur la faune et la flore primordiale de l'archipel, sans doute variation sèche de la Laurisylve des îles Canaries (en altitude, grâce aux brumes), écosystème ultra-fragile détruit en moins d'un siècle par le peuplement, l'Homme transformant quoi qu'il arrive son habitat pour y survivre…

J'en finirais de mes récriminations sur l'absence d'étude de certains objets typiquement capverdiens, idéale réification de ce qu'engendre la créolisation ; « l'inchada » ( outil agricole multi-fonction s'apparentant à une petite houe ) aurait fait un excellent candidat.

On sort de ce livre assez frustré, reconnaissant le travail accompli, bien qu'uniquement à l'aune d'une approche restrictive et, à son corps défendant, idéologique.
Ce pays étant justement plutôt épargné par le racisme — ou du moins de son essentialisation — s'y exprimant, comme partout ailleurs, par cette forme si universelle d'ignorance de l'autre et de grégarisme, bien que restant, si j'ose dire, « bon enfant » ; « mandjak » ou « bediu » sonnant à nos oreilles comme discriminant, peut-être, mais sans réelle vocation d'insulter, issus davantage d'une rivalité économique et de pouvoir entre la capitale Praia / île de Santiago et le groupe des Barlavento avec Mindelo / île de Sao Vicente comme capitale.
Dernièrement, c'est davantage la communauté chinoise qui se retrouve cible d'un racisme plus « dur », avec des rumeurs persistantes de trafics en tout genre, allant jusqu'aux organes et aux enfants…
Haaa… l'Humanité…

Ultime mention à cette photographie en page 220 de la vieille — et parmi les plus jolie — maison de la vallée de Paúl ( où vous avez systématiquement oublié l'accent qui en fait deux syllabes : « Pa-Oul »… ), appartenant à la famille Oliveira aux centaines de descendants sur quatre continents, dont le patriarche et grand artisan de la modernisation qualitative du rhum (grogue) de la commune, Eduino Oliveira, nous a quitté l'année dernière, plongeant cette famille dans une guerre de clan suite à cet héritage, comme tant d'autres familles sur l'île que la vergogne, voire la clairvoyance, empêche de traiter à tout bout de champ « d'esclavagiste », comme vous avez pu le faire en légendant cette image.
Lors de votre prochaine visite, vous trouverez cet édifice quasiment sans vie, sa réplique ratée en béton armée, nettement plus grande et inadaptée, à ses côtés, de grosses voitures garées devant, l'argent servant sûrement aux mêmes choses partout.


(*) Il est « cocasse » de noter qu'un des grands spécialistes des arbres tropicaux puissent, au détour de quelques ouvrages de botanique, émettre une analyse anthropologique d'une limpidité et d'une cohérence que l'habituelle jargonnage propre aux disciplines interdit de formuler aussi clairement : l'absence d'hiver à l'intérieur des tropiques transforme fondamentalement l'organisation humaine ; elle est probablement la première cause de ces disparités.

(**) À Santo Antão, on a coutume de dire de manière amusée que les habitants de la brumeuse et mystérieuse vallée de Janela ( magnifique endroit, idéal pour se perdre et faire des rencontres ) sont tous des « brouch », leurs pouvoirs se manifestant dit-on par leur capacité à voler sur un balai… « la créolisation est un processus infini… »
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Il m'est très difficile de chroniquer un ouvrage d'anthropologie, n'ayant moi-même aucune autre connaissance qu'empirique du sujet auquel l'auteur a consacré des années de sa vie.
La démarche de celui-ci a été de questionner et remettre en cause la version officielle (portugaise) de l'histoire de la société cap-verdienne, ainsi que des projections plaquées telles quelles d'autres sociétés créoles ou issues de la colonisation.
D'une façon qui m'a déstabilisée, il débute sa démonstration par le récit d'observations relatives à l'influence des croyances religieuses sur la vie quotidienne et le destin de plusieurs familles des îles sous le vent, principalement Santiago et Fogo, à l'origine du peuplement et de l'établissement de comptoirs de traite négrière et d'exploitations agricoles employant une main d'oeuvre esclavagisée. Ces observations constituent le premier « promontoire » de sa démonstration.
Il s'appuie ensuite sur un deuxième promontoire, sa connaissance de l'empire Mossi du Mali et des structures religieuses et sociales qui sous-tendent les relations entre personnes de statut différent notamment alors que la traite vers l'Afrique du Nord est déjà bien installée et que la traite occidentale démarre.
À partir de ces deux promontoires, l'auteur retrace les parcours des différentes populations arrivées au Cap-Vert sur une base inégalitaire (les courtiers, les colons, les captifs esclaves, les hommes d'église) et l'instauration de la plantation esclavagiste comme base de la société cap-verdienne initiale.
La ruine de celle-ci fait évoluer le système de plantation esclavagiste vers le système de « fazenda », où la terre et l'eau appartiennent à l'ancien planteur qui, tel un seigneur européen du moyen-âge, loue ses terres à des serfs (esclaves libérés) à des conditions indignes, gardant une mainmise économique et sociale sur la société. L'étude de ce système et de la creolisation de la religion catholique qui en résulte fait l'objet du troisième promontoire de la démonstration qui aboutit au constat actuel de l'emprise forte des religions extérieures fortes de promesses d'enrichissement au côté de la sorcellerie traditionnelle.
C'est un ouvrage dense riche en digressions, sans doute trop pour un public non spécialiste. J'ai appris et compris beaucoup de choses sur ce pays qui m'est cher… il mériterait d'être synthétisé sous une forme vulgarisée afin de permettre le dialogue nécessaire entre ce modèle de créolisation et ceux du Brésil, des Antilles, du Sud des Etat-unis ainsi qu'avec la Négritude. Et ce, ailleurs que dans des colloques de spécialistes.
Merci aux éditions Depaysage et à Babelio Masse critique pour m'avoir donné l'occasion de découvrir cette collection !
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Aux larges des côtes sénégalaises s'étend l'archipel du Cap-Vert. La situation stratégique de cet état insulaire colonisé par les Portugais en fit une tête de pont à la traite des esclaves et au commerce triangulaire. Mais au-delà du narratif européocentré, une autre histoire plus complexe s'est nouée au coeur de la définition d'une identité capverdienne. Redonner sa place à l'apport africain dans le processus de créolisation du Cap-Vert, c'est le projet de cet ouvrage de Pierre-Joseph Laurent.

Créolisation et métissage où « l'entremêlement » et la « coalescence » sont en effet à l'oeuvre entre les différentes composantes clés de la société capverdienne : les lançados (premiers luso-africains), les esclaves majoritairement africains et les colons portugais. Se concentrant sur les îles de Fogo et de Santiago, l'auteur partage d'abord ses observations et des témoignages quant à la pratique religieuse. C'est un premier révélateur de ce procédé de rupture, de coupe et de recoupe entre adoption de la religion catholique et re-digestion de paganisme ou encore d'animisme aux différents atours, entre pratique assimilationniste du colon et l'emprunt retravaillé des déplacés. Un démarrage qui s'étend ensuite sur une mise en perspective historique des apports multiples venant des empires malien ou ghanéen (appellations anachroniques, mais mieux explicitées dans le livre) et l'étude de ces processus sur l'espace déterminé de la fazenda.

Un peu rude en première lecture, ce travail reste intéressant, car il bouscule les perceptions ethnocentristes véhiculées par les puissances européennes. On évite de justesse l'écueil de la théorétique, mais le plaisir de lecture ne se jugera toutefois qu'à votre appétence pour ce type d'ouvrage. 

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