Quand on apprécie le travail d'un auteur, je pense qu'un réflexe normal est de chercher des récurrences dans son oeuvre, que ce soit dans le style (ici très marqué, on y reviendra) ou dans les thématiques développées. Et sur les quelques mangas de
Rensuke Oshikiri qui nous sont proposés en France, il y a déjà un élément qui saute aux yeux : le travail sur les difficultés et les blessures de l'enfance. Que ce soit dans Bip-Bip Boy, son récit autobiographique sur la difficile construction de son identité lorsque l'on est enfant, Hi Score Girl, récit nostalgique plus doux sur le rapport aux autres, aux loisirs… et le fait de grandir, ou le Perce Neige, que je n'ai même pas besoin d'avoir lu pour pouvoir deviner qu'il parle de façon brutale de l'enfance, du harcèlement et d'un cycle de violence d'autant plus insoutenable qu'il concerne justement des enfants… Tous ces titres dépeignent les difficultés de cette période de la vie. Et
Sayuri ne fait pas exception, puisque cette histoire de maison hantée est surtout un prétexte pour parler de l'enfance, du rapport à la famille et des blessures involontaires qu'elle peut causer.
Nous partageons donc le point de vue de Norio, deuxième enfant de la fratrie et adolescent bien dans sa peau, alors que toute la famille emménage dans une grande maison au point de vue des plus agréables. La taille de la bâtisse devrait permettre à chacun de s'épanouir comme il se doit, que ce soit les parents, les grands parents qui vivent également là, ou les trois enfants.
Mais évidemment, histoire de maison hantée oblige, un esprit va rapidement s'inviter à la fête, et briser cet équilibre familial. Oshikiri l'explique dans sa très belle postface, il a pensé son récit en deux temps (il a d'ailleurs été publié en deux volumes au Japon, alors qu'on a droit à un très beau volume double de 380 pages). Tout d'abord, la première partie fait monter progressivement l'horreur et l'angoisse, avant d'enchaîner les séquences choc et plus visuelles dans la deuxième moitié. Cela fonctionne parfaitement bien, d'autant plus qu'il n'attend pas longtemps avant d'instaurer une vraie tension dans le récit. Ainsi, la mort et la folie vont très rapidement s'emparer de cette famille, sous les yeux de Norio qui ne pourra rien faire pour arrêter ce cycle de malheur.
Et on comprend rapidement, dans la grande tradition des récits horrifiques, que l'aspect fantastique et l'horreur sont là pour développer une thématique plus profonde, qui est ici le rapport à la famille. Il est compliqué de développer ce point sans trop en dire, sachez simplement que si l'histoire raconte la destruction d'un cocon familial pourtant douillet, ce n'est pas pour rien. Ainsi, Norio voit sa famille voler en éclats de la façon la plus dramatique qui soit, en même temps qu'il découvre l'esprit de
Sayuri, responsable de tous ses malheurs. Pourquoi la jeune fille fait-elle subir tous ces tourments à la famille ? On l'apprendra au fil du récit, ce qui viendra encore enrichir la portée symbolique et thématique de l'histoire.
Au-delà de l'intelligence dans l'écriture, le récit sait se faire angoissant, voire choquant par moments, sans que cela ne sombre dans la gratuité et la violence malsaine pour autant. On retrouve l'esthétique propre au mangaka, souvent qualifiée de « moche », qui pour ma part me parle beaucoup. Certes, son trait n'est pas le plus détaillé ni le plus complexe qui soit, mais Oshikiri a le mérite d'avoir un style immédiatement identifiable (au point où ses personnages se ressemblent parfois un peu trop cependant). Et surtout, son character design, avec ces personnages à la tête toute ronde et ultra expressive fait vraiment des merveilles autant dans un registre plus léger voire comique, que dans le domaine horrifique. C'est pour moi la marque d'un mangaka qui a pensé son style afin d'être en mesure de l'adapter en fonction des genres investis. Et ça fonctionne encore une fois parfaitement ici.
Vous l'aurez donc compris, j'ai vraiment été emballé par ce titre, et il m'en coûte de passer sous silence un certain nombre d'éléments pourtant passionnants du récit, mais il vaut mieux que vous les découvriez vous-mêmes. Que ce soit la grand-mère, surement le personnage qui m'a le plus marqué, où tout ce qui entoure
Sayuri, le titre, bien que court (et il se lit d'une traite d'ailleurs !) est vraiment riche et propose des développements de personnages et de thématiques on ne peut plus pertinents.
En résumé, cette nouvelle incursion dans l'oeuvre de
Rensuke Oshikiri m'a une fois de plus comblé.
Sayuri est encore un titre étonnant, très différent de ses autres mangas, mais tout aussi maîtrisé et marquant. Une fois la lecture achevée, je n'avais qu'une envie, lire un autre titre de l'auteur. Et ça, c'est selon moi le signe d'un grand talent ! On peut remercier une fois de plus Omake Manga pour nous avoir amené cet auteur en France.
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