Dans Transparente, nous découvrons le quotidien d'une fillette de neuf ans, Aya. Entre un père violent dès qu'on le contrarie un tant soit peu, une mère aussi soumise que dépassée et un frère aîné indifférent à ce qui se passe autour de lui, elle a vite appris à se fondre dans le décor. D'autant plus que ses rares interventions pour ramener la paix ne font généralement qu'attiser la colère de son géniteur. On ne peut que ressentir son incompréhension, son sentiment d'injustice, lorsque – par exemple – le papa d'une amie se joint à elles pour jouer à la console dans la joie et la bonne humeur. D'emblée, il y avait ce fossé entre Aya et le monde. En cours, le schéma frôle l'identique : des élèves qui s'en prennent à un individu isolé et Aya qui se tapit dans un coin, sans parler ni se faire remarquer. Un jour, déprimée par une énième querelle entre ses parents, elle émet le souhait de vivre ailleurs, regrette d'être née dans cette famille. Et sous ses yeux ébahis, son reflet disparaît alors dans le miroir.
Ce seinen n'a clairement pas pour vocation de se focaliser sur cette étrange faculté que possède Aya. On n'a pas la moindre idée d'où elle lui vient, pas l'impression non plus que le mangaka abordera le sujet. Tout au plus ébauche-t-il quelques rapides observations sur l'étendue, les limites de ce pouvoir, à travers quelques bulles jetées pêle-mêle autour d'Aya qui émet les conclusions de ses propres expérimentations. Cette possibilité qu'elle a de devenir invisible, transparente, semble davantage servir de prétexte aux événements qui surviendront quelques années plus tard. À quinze ans, consciente de l'engrenage infernal dans lequel sa mère est plongée, elle commet l'irréparable sur un coup de tête. Son père mis en terre sans que personne ne puisse remonter jusqu'à elle pour l'incriminer, Aya va devoir vivre avec sa culpabilité. Hantée par son geste, elle voit régulièrement le fantôme de son père, au coin de la rue, sur le siège passager d'une voiture… et repousse quiconque essaie de se lier d'amitié avec elle. Pourtant, avec son entrée au lycée, de nouvelles perspectives s'ouvrent à elle et on sent bien que le véritable but de cette intrigue se situe sur ce point précis. Aya saura-t-elle renaître de ses cendres ou son passé finira-t-il par la consumer ? Parviendra-t-elle à se sortir de cet éternel isolement dans lequel elle s'est sciemment jeté ? Est-ce seulement possible avec le poids qui pèse sur sa conscience ? Peut-elle en parler sans risquer de tout perdre ? Sans laisser gagner ce père qui n'a eu de cesse de brimer les siens ? Mais le silence est-il réellement une option ? Ne fond-il pas un peu plus encore les barreaux de cette cage qu'elle s'impose ?
Ce premier tome est très introspectif. On ressent les tensions, la douleur, les dilemmes de l'adolescente. L'ébauche de ses envies, bridées par cette impression qu'elle a de tout détruire autour d'elle. le style du mangaka renforce cette mise en scène psychologique : les décors sont souvent absents, minimalistes. Un rideau par-ci, du carrelage par-là, un bâtiment esquissé parfois, un fond vierge le plus souvent. Tout est mis en oeuvre pour focaliser l'attention du lecteur sur les personnages, en particulier sur les émotions qui traversent leur visage. Là où Aya s'évertue à porter un masque impénétrable, ses nouvelles camarades de classe semblent apporter l'étincelle de vie qui lui manque. le character design est très agréable à parcourir, avec ces coiffures réalistes, ces cheveux fins, ces yeux expressifs sans jamais paraître disproportionnés. Seule la bouche du père apparaît démesurée, comme pour mieux souligner la violence de ses propos et de son attitude. On le perçoit ainsi à travers le regard d'enfant d'Aya qui en fait presque un monstre tant elle a peur de ses accès de colère.
Si la narration peut parfois paraître assez rapide, notamment lors de la découverte du pouvoir d'Aya, la lecture n'en est pas moins restée intéressante. Elle nous laisse ce petit goût de trop peu qui nous donne envie de nous ruer sur la suite. C'est un style qui ne plaira peut-être pas aux amateurs d'action en tout genre, à ceux qui cherchent un récit qui bouge et des prouesses surnaturelles qui décoiffent, mais le travail effectué par
Jun Ogino autour de sa jeune (anti-)héroïne saura assurément en séduire d'autres !
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