Sur la Campo San Stefano, un homme a été froidement abattu, l'oeuvre de professionnels qui ont profité de la présence d'un groupe de touristes américains sur la place pour se glisser dans la foule, commettre leur forfait et disparaître discrètement. Mais qui donc s'est donné tant de mal pour éliminer un ''vu compra'', un de ces clandestins venus d'Afrique qui vendent des contrefaçons aux quatre coins de Venise ? Ces hommes sans nom, sans visage ne font généralement pas parler d'eux, sont rarement impliqués dans des affaires criminelles, essaient de ne pas se faire remarquer. Alors qu'a donc pu faire cet homme pour que des tueurs à gage lui règlent son compte ? Voilà les questions que le commissaire Brunetti se pose lorsqu'il est chargé de l'affaire. Son enquête démarre mal : on ne sait pas qui est la victime, son nom, son pays d'origine et ses ''collègues'' refusent de collaborer avec la police. Peu importe de toute façon puisque, très vite, le commissaire est dessaisi sur ordre du vice-questeur Patta, lui-même obéissant à des instances supérieures. Brunetti le sait, l'affaire va être étouffée...
Quatorzième enquête du flic vénitien, amateur de bonne chair qui affronte le froid hivernal pour enquêter sur la mort d'un africain anonyme tandis que dans le confort de son appartement sa petite famille traverse une crise grave que Paola son épouse essaie de régler au mieux. En effet, leur fille adolescente, lassée de ne jamais voir son père, s'indigne qu'il perde son temps à enquêter sur la mort sans importance d'un vu compra. Ignorance ou racisme, Paola réagit avec une vive et légitime indignation pour finalement s'inquiéter de l'équilibre psychique de sa fille car, comme chacun sait, il n'est pas bon de critiquer ouvertement ses enfants...Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ses parents qui ont mis en tête de telles idées dans la tête de Clara, eux ne sauraient être racistes puisque pour tout dire, ils ne fréquentent guère d'étrangers. A Venise, chinois, africains et italiens ne se mélangent pas, chacun vivant sur sa propre planète. Finalement, le sujet n'est plus abordé chez les Brunetti pour ne pas traumatiser l'adolescente qui, après réflexion, se rendra compte d'elle-même de la stupidité de ses mots...ou pas.
Et l'enquête dans tout cela ? Et bien, elle est entre les mains du ministère de l'Intérieur ou bien de celui des Affaires étrangères, peu importe, puisque le but de tout ce beau monde est de l'étouffer au plus vite. Comme souvent, Brunetti, impuissant, doit plier devant plus fort que lui, l'Etat, la mafia, ou les deux.
Tout est bien qui finit...en queue de poisson dans cette opus poussif qui pourtant évoque quelques sujets épineux : l'entrée des clandestins en Italie, la vente et la distribution des produits de contrefaçon, l'indifférence coupable de certains face au sort des étrangers, mais sans les traiter en profondeur. Heureusement, Brunetti ne perd jamais l'appétit et Paola continue de le régaler de bons petits plats vénitiens...
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Pour toutes les riches saveurs vénitiennes autant culinaires, architecturales qu' historiques, je reviens toujours à Donna Leon et au commissaire Brunetti. Donna Leon, le commissaire Brunetti et leurs enquêtes prétextes, nous forçant à se poser sur un problème social plus grand que nous.
Brunetti et sa fausse nonchalance . Brunetti et sa conscience bien éveillée, bien affutée. Brunetti, ses lectures des textes des anciens et ses conversations avec Paola, son épouse ou avec ses enfants Raffi et Chiara lors des repas de famille. Tout ça est sympathique, invitant.
Ici encore, le meurtre d'un vendeur ambulant, africain, sans papiers, aura des ramifications plus grandes que ce que peut imaginer Brunetti. Des enjeux qui nous
dépassent et sur lesquels nous n'avons que peu de prises.
Ici, il sera question des diamants de conflits, de ces mines qui ne connaissent pas de frontières et qui entachent les pierres précieuses de sang, des guerres civiles en Angola et ailleurs. Un problème économique et politique mondial?
Voilà pourquoi, malgré toute son empathie et sa compassion, Brunetti est dépassé...
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Un petit tour à Venise où on retrouve l'inspecteur Brunetti, gastronome et amateur de littérature antique, avec son incroyable secrétaire qui connait tous les trucs de la piraterie informatique et sa femme Paola qui enseigne la littérature à l'université, mais a toujours le temps de concocter des petits plats.
Comme dans ses autres polars, Dona Leon traite d'un thème de l'actualité vénitienne. Ici, c'est l'ébène, ces immigrés africains qu'on tolère sur les places de marché et qui vendent leur camelote en dehors des heures d'ouverture régulières des boutiques. Bien entendu, pour approvisionner leur commerce, des entreprises locales sont complices dans un vaste réseau de corruption dont Brunetti tentera de démêler les fils.
Un bon polar sans prétention, avec un brin d'analyse sociale et une touche d'humour agréable!
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Ils ne pouvaient être qu’américains. Les cheveux blancs tous les deux, ils donnaient l’impression d’avoir échangé leurs vêtements. La femme était habillée d’une chemise écossaise en flanelle et d’épais pantalon de laine, tandis que l’homme avait enfilé un chandail rose à col en V, des pantalons et des chaussures de tennis blanches. Ils avaient apparemment sinon le même coiffeur, du moins la même coupe de cheveux. On avait envie de que ceux de la femme étaient juste un peu moins courts.
Paola, bouche bée, en était à redouter que tous ses efforts en tant que parent aient lamentablement échoué, à se dire que l'enfant qu'elle avait mis au monde était un monstre. Elle regardait sa fille, son bébé, son ange de lumière et d'intelligence, se demandant si celle-ci n'était pas possédée par un démon.
.../...
- Oui, mais c'est seulement un vu comprà, dit Chiara.
C'est à ce moment là, que Paola était restée bouche bée.
.../...
- Qu'est-ce que tu veux dire, par "seulement," Chiara ?
- Juste, qu'il n'était pas de chez nous.
Paola essaya de trouver une nuance sarcastique ou une tentative de provocation dans la réponse de sa fille, mais il n'y en avait pas. Le ton de sa fille, en fait, paraissait tout aussi calme et dépassionné que le sien.
- Quand tu dis "chez nous," tu parles bien des Italiens ou de tous les Blancs, Chiara ?
- Non, des Européens.
.../...
- C'est la chose la plus ignoble et la plus dépourvue de cœur que j'ai jamais entendue à cette table et j'ai honte d'avoir élevé un enfant capable de dire ça.
.../...
- Qu'est-ce que c'est supposé vouloir dire ?
- C'est supposé vouloir dire que les vu comprà ne sont pas seulement quoi que ce soit. Qu'on ne peut les traiter ainsi, comme si leur mort ne comptait pas.
Chiara comprit bien les paroles ; plus important, elle sentit la force du ton de sa mère.
- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, protesta-t-elle.
- J'ignore ce que tu as pu vouloir dire, Chiara, mais ce que tu as dit, c'est que le mort était "seulement un vu comprà." Et il va falloir que tu me donnes beaucoup d'explications pour me faire croire qu'il y a la moindre différence entre ce que dit le mot que tu as choisi et le sens qu'il a.
Il s'arrêta auparavant devant la fenêtre et regarda les lointaines montagnes couvertes de neige: pures, hautaines, indifférentes pour l'éternité à la concupiscence et aux désirs des hommes.
De retour à son bureau, Brunetti se souvint que c’était le jour où Paola [son épouse, universitaire] ne retournait pas à l’université après déjeuner. Elle disposait ainsi de tout l’après-midi, soit pour corriger les travaux des étudiants, soit pour lire, soit encore pour regarder des séries télévisées vautrée sur le canapé - pour ce qu’il en savait. Comme ce serait merveilleux, se dit-il, d’avoir un tel travail. Cinq heures de cours par semaine pendant sept mois par an, et tout le reste du temps pour s’adonner à la lecture. Paola était néanmoins supposée siéger à diverses réunions de professeurs et à deux comités différents, mais elle n’avait jamais réussi à lui faire comprendre quels étaient les objectifs de ces comités, qu’elle paraissait par ailleurs toujours boycotter. Il lui avait demandé un jour, des années auparavant, pour quelle raison elle continuait à enseigner et elle lui avait expliqué que sa participation aux cours avait au moins l’avantage de mettre les étudiants en contact avec un prof qui faisait autre chose que se présenter devant eux pour leur lire un manuel qu’il aurait écrit dix ans avant. Devant cette description précise de ses années d’étudiant, Brunetti avait pris conscience d’avoir longtemps nourri l’espoir que les choses aient évolué depuis, au moins dans le domaine des humanités. (pp 167-168)
"En principe nous devons les photographier à chaque fois, expliqua-t-il.
(....)
" On le ffaisait au début mais, au bout d'un moment on a estimé que c'était gaspiller son temps que de photographier un type qu'un arrêtait pour la sixième ou septième fois et qu'on saluait dans la rue" Il poussa le pile de documents dans la diection de Brunetti "on en est au point où on les tutoie et ils appellent par nos noms.
Brunetti attira les dossiersà lui 'Mais pourquoi continuer ?
- A les arrèter ?
Brunetti acquiesça
" Le Doctor Patta veut des arrestations, alors on va les arrêter. ça donne meilleure mine aux statistiques." P.87
Donna Leon se dévoile en répondant, avec humour et sincérité, au questionnaire de Proust.