Excellent. Lu en deux jours. J'aurais pu le dévorer en moins de temps mais la richesse du travail de documentation auquel s'est livré l'auteur m'a incitée à lire son livre tout en gardant en permanence mon mini ordinateur sous la main afin d'effectuer mes propres recherches sur les divers protagonistes. Et, à cet égard on n'est pas déçu tant le web regorge d'informations et de blogs spécialisés sur ce qu'il est convenu d'appeler les "Tate murders" et la "Manson Family".
L'ouvrage est qualifié de "roman" car l'auteur s'est attaché à décrire non seulement les actes horribles auxquels se sont livrés les membres de la "Famille" en l'espace de moins de deux jours - et pour lesquels les compte-rendus et témoignages, notamment produits durant les divers procès, foisonnent - mais aussi à dépeindre la vie quotidienne et la psychologie des divers protagonistes, pour lesquelles l'auteur a dû faire oeuvre de reconstruction. le résultat est époustouflant de vérité, à tel point qu'une qualification plus juste me semblerait être de "document fictionnalisé".
Bien sûr, au centre de ce document il y a les meurtres, horribles, marquant la fin des illusions de l'époque hippie et de son aura d'optimisme un peu naïf. le personnage du gourou, Charles Manson, est d'ailleurs laissé dans un certain clair-obscur, repris de justice opportuniste ou véritable illuminé "gone bad" en raison de ses déceptions artistiques ? Car l'homme était un musicien de talent, reconnu par des artistes tels que
Neil Young et Dennis Wilson, mais dont les rêves de gloire se fracassèrent à l'aune du dédain essuyé de la part du producteur Terry Melcher, qui trouvait sa musique et ses paroles trop sombres et nihilistes (préfigurant l'ère punk qui vint quelques années plus tard ?). L'artiste frustré, fan d'
Adolf Hitler et du Ku Klux Klan, se reconvertit en gourou dont le génie fut de s'entourer d'adolescentes perdues, affamées d'amour et en recherche de sens. C'est plutôt sur celles-ci que se concentre l'auteur et en particulier sur Susan Atkins ("Sadie"), Linda Kasabian, Patricia Krenwinkel ("Katie") et Lesli
e van Houten. Toutes furent mêlées aux meutres de Sharon Tate et de ceux qui se trouvaient chez elle ce soir-là (le 9 août 1969) et/ou, le lendemain, du couple LaBianca à Los Angeles.
On peut se demander d'ailleurs si la parution de ce roman aurait été possible aux Etats-Unis, le livre se référant aux protagonistes (pour la plupart toujours vivantes à l'exception de Susan Atkins, décédée en prison d'un cancer du cerveau il y a quelques années) sous leur véritable identité. Or cette affaire est toujours brûlante aujourd'hui, la vivacité des discussions sur internet en atteste, et les soeurs de Sharon Tate (surtout Debra) veillent au grain. C'est essentiellement en raison de l'activisme de Debra Tate que les multiples demandes de libération conditionnelle de ces femmes ont toutes été rejetées à ce jour. Or le livre s'il ne s'attache certainement pas à excuser les actes ces ex adolescentes à la dérive décrit un contexte qui permet de comprendre un peu mieux ce qui s'est passé. Comprendre, ce n'est pas justifier mais des événements plus proches de nous démontrent que cette confusion est souvent faite... Je me demande donc si une traduction anglaise de ce livre existera un jour...
J'ai hésité sur les cinq étoiles car ce livre n'est pas à mettre entre toutes les mains, âmes sensibles s'abstenir. La description minutieuse des meurtres s'étend sur plus de la moitié de ses pages. Et c'est effectivement horrible MAIS l'auteur ne verse jamais dans le gore ou un voyeurisme malsain et rien que pour ça c'est un véritable tour de force. L'horreur d'ailleurs ne procède pas seulement des actes eux-mêmes mais de cette sorte d'amateurisme et de climat hallucinatoire qui a présidé aux actes eux-mêmes. le tueur (Tex Watson) et les tueuses (précitées) n'étaient certainement pas des pros de la chose et ont dû s'acharner sur leurs victimes pour les faire passer de vie à trépas. Tout cela en dit long sur l'emprise qu'est capable d'exercer un personnage charismatique sur des âmes en perdition...
Mais l'intérêt essentiel de ce livre réside, comme déjà signalé, dans sa reconstruction du quotidien de certaines communautés hippies (pas seulement celle de Manson) californiennes ainsi que du milieu, omniprésent, des bikers à une époque où l'idéal hippie avait amorcé sa déliquescence avant d'être proprement massacré par Manson et sa famille. J'ai été moi-même amenée à faire des recherches sur ce milieu des communautés californiennes à l'occasion d'une biographie que j'ai écrite mais consacrée à une époque plus tardive, seconde moitié des années 70. Ce travail m'avait amenée à recueillir de nombreux témoignages directs et je dois dire que je retrouve dans ce livre une authenticité très proche de ce qui fut probablement la réalité. Mieux, il a enrichi ma compréhension de ce qui a fait la spécificité de la période punk californienne dont Manson fut probablement un (horrible) précurseur. Les punks californiens étaient légèrement plus âgés, plus "arty" et cultivés que leurs équivalents européens. Leur nihilisme et leur forme de désespoir étaient quelque part plus profonds et plus "informés" que ceux des européens, nourris au marketing instillé par Malcom McLaren.
Liberati a brillamment réussi à recréer l'atmosphère d'une époque, celle d'un rêve qui s'est transformé en cauchemar et dont les ondes sont encore et toujours on ne peut plus perceptibles aujourd'hui. Félicitations à l'auteur.