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EAN : 9782940116065
212 pages
Mamamelis (01/04/2003)
4.37/5   35 notes
Résumé :
Un souvenir revient dans les écrits d'Audre Lorde. C'est l'hiver à New York. Audre est dans le métro avec sa mère. Emmitouflée, elle est assise à côté d'une dame en manteau de fourrure. Elle regarde la dame, blanche, qui d'une main rageuse retire le pan de manteau qui effleure l'enfant. Une enfant Noire qui ne comprend pas et cherche désespérément un cafard, une poussière, bref une saleté justifiant ce geste. Quelque chose pour ne pas réaliser que la saleté... c'est... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Je ne suis pas libre tant qu'une femme reste prisonnière, même si ses chaines sont différentes des miennes

Dans une courte préface Rina Nissim présente l'autrice, dont la traduction des oeuvres en français est pour le moins déficiente. « Elle s'est ainsi fait connaître pour ses interventions devenues essais, écrits dans une prose poétique – une nouvelle manière d'exprimer sa pensée de femme engagée ». Audre Lorde est une immense écrivaine afro-étasunienne, une féministe traitant de l'ensemble des oppressions. « La nouvelle économie écrase les plus pauvres. le sexisme et la discrimination basée sur le sexe concernent toujours notre société. le racisme est toujours vivant. Les cibles changent selon les pays et les circonstances. Noirs, juifs, gitans, arabes… c'est pourtant toujours le même rejet » (Rina Nissim).

La préfacière souligne que « l'intérêt pour l'oeuvre d'Audre Lorde est aussi malheureusement actualisé par le « back-lash », réaction des dominants face aux tentatives de diminuer les inégalités ». Elle explique le N majuscule à Noir·e, « Ainsi, si la correction symbolique à coups de N majuscules à Noir-e-s dans les pages d'Audre Lorde vous choque, demandez-vous un instant pourquoi nous avons accepté tant de siècles d'esclavage et d'inégalités, de noir-e-s en minuscules ? ».

Audre Lorde « Noire, lesbienne, féministe, guerrière, poète et mère » porte un regard aiguisé sur la société et adopte une écriture où ni la poésie ni l'érotisme n'est un luxe. [« J'ai peur, et pourtant je sais que mon silence ne me protégera pas de ma peur », avoue-t-elle, avant d'assener : « Votre silence ne vous protégera pas non plus ! »]. le scandale n'est donc pas celui de ses mots mais de la non-édition à grande échelle de cette autrice unique et indispensable.

Quelques éléments choisis subjectivement dans cet ensemble de texte.

La poésie n'est pas luxe. Audre Lorde aborde, entre autres, la qualité de la lumière dont nous éclairons les changements souhaitables, les peurs qui gouvernent nos vies, l'intimité d'un examen attentif, le caché et le grandissant, les espaces du possible enfouis en nous, la poésie « en tant que sublimation révélatrice de l'expérience » ou « le chemin qui nous aide à formuler ce qui est sans nom, le rendant ainsi envisageable », le pont « par dessus notre peur de l'inconnu », la liberté, « La poésie cisèle la parole pour qu'elle exprime et guide cette exigence révolutionnaire, l'accomplissement de cette liberté »…

Transformer le silence en paroles et en actes. La poétesse parle de ce qui doit « être mis en mots, énoncé et partagé », du bénéfique de parler, « Je suis ici, debout, comme poète Noire lesbienne », de guerre « contre les tyrannies du silence », de la peur, « j'ai peur, car transformer le silence en paroles et en actions est acte de révélation de soi, et cet acte semble toujours plein de dangers », de visibilité, de la différence raciale, « Car pour survivre dans la bouche de ce dragon appelé amérique, nous avons dû apprendre cette première et vitale leçon : nous n'étions pas censées survivre. Pas en tant qu'êtres humains », des silences devant être brisés…

Audre Lorde propose d'égratigner la surface et discute du racisme, du sexisme, de l'hétérosexisme, de l'homophobie, de la notion de différence comme force humaine dynamique, de la nécessité de l'auto-définition, de front uni d'individus, de stérilisation forcée et d'interdiction d'avorter, de viol, des relations entre femmes Noires et hommes Noirs, de rivalité comme « face visible de notre propre rejet », du déni de soi déshumanisant, de menace fantasmée, de relations tronquées, de l'erreur de juger « que l'affirmation de l'autre est une attaque que l'on me porte », de lesbiennes, « Parmi ces quatre groupes, femmes Noires et femmes blanches, hommes Noirs et hommes blancs, les femmes Noires gagnent le salaire moyen le plus bas. Il s'agit d'une préoccupation vitale pour nous toutes, peu importe avec qui nous couchons »…

L'autrice parle de l'érotisme comme « source intarissable de stimulation et d'accomplissement », de pornographie, « la pornographie éliminant les véritables émotions, nie en bloc la force de l'érotisme », de la puissance des femmes perçue comme un danger, de partage et de non-partage, « Et utiliser l'autre sans son consentement, c'est en abuser »…

Je souligne le texte : Sexisme : le visage noir d'une maladie américaine. L'autrice indique que « le féminisme Noir n'est pas le visage noir du féminisme blanc ». Elle aborde les problématiques « spécifiques et légitimes » influençant les existences, « les femmes Noires, restent encore le groupe social, en termes de sexe et de race, le plus mal payé de la nation », l'enfermement des hommes Noirs dans des rôles qu'ils ne sont pas autorisés à remplir, le double standard étasunien, « Rendre la victime responsable de sa propre agression, c'est une des tactiques du Fabuleux-Double-Standart-Américain », la haine de soi et le narcissisme, le caractère oppressif des privilèges masculins, « Une oppression n'en justifie pas une autre », la « lutte centrale » contre le sexisme et la destruction des femmes noires « pour la libération Noire », le refus des abus au non de la soi-disant solidarité ou de la libération Noire, « Aucun homme Noir sensé ne peut justifier le viol et le meurtre de femmes Noires par des hommes Noirs comme s'agissant d'une réaction appropriée face à l'oppression capitaliste. Et la destruction des femmes noires par des hommes noirs traverse toutes les classes sociales »…

J'ai notamment été intéressé par la manière dont l'autrice traite de la communauté des femmes et du racisme de féministes blanches, la défiguration de l'histoire et de la mythologie – l'histoire écrite par les femmes blanches n'est pas la seule histoire -, le racisme – au sein de la communauté des femmes – comme force brutale dans l'existence des unes et non des autres, « L'oppression des femmes ne connaît aucune frontière ethnique ou raciale, c'est vrai, mais cela ne signifie absolument pas qu'elle est identique au sein de ces différences. Les ressources de notre antique pouvoir ne connaissent pas de limites non plus. Parler d'une différence tout en éludant les autres revient à déformer nos points communs comme nos différences »…

Une lesbienne féministe noire, les enfants, l'apprentissage à dépasser ses propres peurs, l'acceptation des émotions, « Elever des enfants Noirs – filles et garçons – dans la bouche d'un dragon raciste, sexiste et suicidaire représente une entreprise périlleuse », le petit garçon et la honte face à soi. L'autrice a des mots justes pour décrire les relations, dire sans (se) cacher, refuser les approches simplistes de l'oppression, élaborer une perspective lesbienne féministe pour un monde futur. Sans oublier, « combien il est difficile et combien ça prend du temps d'être obligé de réinventer le stylo chaque fois que vous voulez écrire un message… »

Je souligne son entretien avec Adrienne Rich, les moyens secrets pour exprimer son émotion, l'importance de la communication non-verbale, les mots pour retranscrire les expériences, l'usage d'un pseudonyme, l'enseignement de la technique de survie, l'assassinat de Martin Luther King, la peur, « Et la première chose que j'ai déclarée à mes étudiant-e-s, c'était : « moi aussi, j'ai peur » », les effets du racisme, « le racisme ne déforme pas seulement les personnes blanches, qu'en est-il de nous ? », le parler de soi avant que les autres « ne parlent de vous », les processus d'apprentissage, Love Poem, « j'avais pris la décision de ne plus me soucier dorénavant de savoir qui savait, ou ne savait pas, que j'avais toujours aimé les femmes », les mutilations, le désir indompté de quelque chose de différent, les yeux jamais fermés devant la terreur, les différences creusées entre nous, le sentiment d'écrire au bord du gouffre, l'urgence, « L'entendement rend possible l'usage du savoir, voilà l'urgence, voilà l'effort, voilà le mouvement »…

Si le titre du texte « On ne démolira jamais la maison du maître avec les outils du maître ! » est souvent cité, la leçon ne semble pas avoir été retenue – dans toutes les facettes – par les différentes organisations militantes. L'usage des mots n'est pas neutre et certains mots du coté de la domination ne peuvent nous être utiles du coté de l'émancipation (en complément possible, sur des problématiques plus récentes, Alain Bihr : La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitalistehttps://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/05/19/evidences-non-fondees-fausses-banalites-pour-un-morbide-cafe-du-commerce/ ; Olivier Starquit : Les mots qui puent https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/05/14/les-vampires-ne-supportent-pas-la-lumiere-du-soleil/ ; Anne-Marie Andrusyszyn : CEPAG : La campagne 2020 : « Les luttes sociales passent aussi par les mots » https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/07/30/cepag-la-campagne-2020-les-luttes-sociales-passent-aussi-par-les-mots/). L'autrice critique l'arrogance universitaire, « C'est faire preuve d'une arrogance toute universitaire que d'engager une quelconque discussion théorique féministe sans tenir compte des nombreuses différences qui existent entre femmes, et sans une contribution significatives des femmes pauvres, des femmes Noires et du Tiers-Monde, et des lesbiennes », l'oubli des lieux d'énonciation. Elle discute de la possible liberté de mettre « je » devant être, « C'est là toute la différence entre la forme passive et la forme du verbe être », de l'interdépendance des différences, d'apprentissage à faire cause commune, des manifestations quotidiennes de l'esclavage sexuel et de la prostitution, de la demande invraisemblable (« Accaparer les opprimés avec les préoccupations de leur maître, c'est une arme bien rodée des oppresseurs ») aux femmes de « combler le fossé de l'ignorance masculine ».

Audre Lorde termine ainsi ce beau texte : « le racisme et l'homophobie forment la véritable trame de nos existences en tout lieu et en toute heure. J'exhorte chacune d'entre nous présente ici à descendre au plus profond d'elle-même pour atteindre la terreur et le dégout de toute différence qui s'y terre. Et de voir quel est son visage. Alors seulement, le personnel comme le politique pourront commencer à éclairer tous nos choix ».

La notion de différence repensée par les femmes, « âge, race, classe sociale et sexe », le joug de l'oppression systématique, les rescapé·es des groupes opprimés, les comportements des oppresseurs et leurs exigences, « A chaque prétexte de dialogue, ceux qui tirent profit de notre oppression exigent que nous partagions notre savoir avec eux. En d'autres termes, c'est aux opprimé-e-s qu'incombe la responsabilité de faire prendre conscience aux oppresseurs de leurs erreurs ». L'autrice en souligne une conséquence : « Les oppresseur-e)s conservent ainsi leurs prérogatives et fuient la responsabilité de leurs actes ». Elle discute de la notion de différence, des préjugés, des politiques de division, « Trop souvent, au lieu d'utiliser notre énergie pour discerner et explorer ces différences, nous la gaspillons à prétendre que de telles différences dressent des barrières insurmontables ou bien n'existent pas », des normes mythiques, des faux semblant d'homogénéité de l'expérience, de contrôle social à travers le « fossé entre les générations », de la difficulté pour des femmes blanches à considérer les femmes Noires « comme des femmes à part entière », de privilège de la peau blanche, de l'aveuglement des « personnes de Couleur » par la « menace de la différence », « On confond souvent besoin d'unité et besoin d'homogénéité, et on pense à tord qu'une perspective féministe trahit nos intérêts communs en tant que peuple », des rimes contre les femmes, des crimes contre les lesbiennes, d'hétérosexisme et d'homophobie et leur écho particulier chez les femmes Noires, de « cette partie de l'oppresseur enfouie au plus profond de chacune de nous ». Elle nous rappelle que « c'est de notre capacité à construire des relations humaines égalitaires qui conditionne notre survie future »…

Si la peur et le silence ne protègent pas, l'usage de la colère contribue à la réponse des femmes au racisme. « Ma réponse au racisme est la colère. J'ai vécu avec cette colère, en l'ignorant, en m'en nourrissant, en apprenant à m'en servir avant qu'elle ne détruise mes idéaux, et ce, la plus grande partie de ma vie. Autrefois, je faisais tout cela en silence, effrayée par le poids d'un tel fardeau. Ma peur de la colère ne m'a rien appris. Votre peur de cette colère ne vous apprendra rien, à vous non plus ». Audre Lorde parle du sens et de l'utilité de la colère, des projecteurs utiles pour grandir, de la nécessaire prise en considération des besoins et des conditions de vie des « autres femmes », des femmes assiégées, de la différence entre la colère et la haine, de l'apprentissage « à orchestrer ces fureurs afin qu'elles ne nous détruisent pas », de la culpabilité et de la faiblesse, de l'ignorance, des remparts contre tout changement, de la douleur de la colère « mais elle m'a aussi permis de survivre », des yeux dans les yeux, de la rage, d'une flamme toujours haute et brillante, « Et un jour, si nous nous disons la vérité, ce changement deviendra inéluctable »…

Il est des autrices qui illuminent le temps. Il est des livres qui nous tendent un miroir et plus qu'une main. Audre Lorde nous saisit par la puissance de ses mots, par ses analyses sans concessions du sexisme, du racisme, de l'homophobie. « Oui, je suis Noire et Lesbienne, et ce que vous entendez dans ma voix, c'est de la rage, pas de la souffrance. de la colère, pas de l'autorité morale. Il y a une différence ». Et aussi par le désir, l'érotisme, la poésie, l'écriture.

Je l'écris une seconde fois. le scandale n'est donc pas celui de ses mots mais de la non-édition à grande échelle de cette autrice unique et indispensable.
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Série d'essais, d'entretiens, de discours prononcés au cours des années 1976-1983, Sister Outsider permet de toucher du doigt la pensée extrêmement novatrice d'Audre Lorde, celle d'une intersectionnalité avant l'heure.

Au fil des textes, en effet, se dessine tout un cheminement qui montre à quel point il est fondamental de prendre en compte toutes les inégalités - sociales, raciales, sexuelles... - pour énoncer, au contraire, une véritable théorie de l'égalité qui pourrait faire vraiment sens, et mener à une vraie égalité autre que celle de façade que nous côtoyons tous au quotidien, certain.e.s bien sûr plus que d'autres.

Pour ce faire, l'autrice s'appuie sur des exemples concrets, utilise des termes et des images qui choquent, qui interpellent, pour mieux faire prendre conscience à son auditoire - ou lectorat - de la réalité des faits qu'elle énonce précédemment. Ainsi, le propos est fort, circonstancié, il porte, et il est terriblement convaincant.

Pour une première rencontre avec l'autrice, c'est une réussite. M'est avis que cette première lecture va me permettre de cerner au mieux les prochaines, plus littéraires.
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Audre Lorde, poétesse, femme noire,mère, lesbienne et guerrière

Née en 1934 à New-York de parents originaires de la Grenade, Audre Lorde comprend très jeune que son sexe, mais aussi sa couleur de peau seront sources de violence et de discrimination. A cela s'ajoute son orientation sexuelle.
Amoureuse des mots, l'écrit et la poésie sont des éléments essentiels de sa vie. Enfant elle exprime ses émotions par des poèmes, avant de saisir en quoi les mots ont un sens et une portée salvatrice pour dire l'indicible.  » La poésie n'est pas un luxe » écrit-elle, mais accessible à toutes et tous, un outil vital pour retrouver du sens et exprimer son ressenti face au racisme, au sexisme, au classisisme. Militante féministe des droits civiques, ses écrits sont pionniers dans la vision intersectionnelle qu'elle donne aux discriminations qui touchent les populations les plus fragilisées, les femmes pauvres des minorités.
Luttant pendant plus de vingt ans contre le cancer, avant d'y succomber à l'âge de 58 ans, Audre Lorde laisse une oeuvre lumineuse, visionnaire et incontournable.

Sister Outsider, des écrits comme un phare dans la nuit

La grande particularité d'Autre Lorde dans ses réflexions et luttes sociétales est la part de personnel et d'émotionnel qu'elle s'autorise à laisser transparaître. Ce recueil est une compilation d'essais, de textes de conférences et entretiens retranscrits entre 1976 et 1983. Elle y décortique brillamment ce que c'est que d'être une femme noire lesbienne dans une société sexiste, raciste et homophobe, dans les dimensions les plus intimes aux plus politiques, et trace une pensée qui ne renie aucune des multiples facettes et contradictions que cela implique.
Elle aborde aussi l'incompréhension que cela a suscité parfois, notamment avec les mouvements féministes composés de femmes majoritairement blanches et dans lesquels elle ne s'est jamais sentie totalement inclue.
Malgré cette expérience, Audre Lorde en appelle à toutes les femmes pour être solidaires et se soutenir malgré les différences. Elle convoque la force du féminin, de la poésie pour créer un monde aux valeurs opposées au patriarcat et à la masculinité toxique.
Chaque texte est un bonbon que l'on déguste, une invitation vibrante à croire en soi, pour survivre, lutter. Un trésor d'inspiration sorore à offrir, à lire à partager.
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Je découvre Audre Lorde avec sa première facette : celle d'essayiste. Maintenant que je connais sa vivacité d'esprit, son militantisme féministe, sa vision de l'érotisme comme énergie vitale, et ses revendications politiques, j'ai hâte de découvrir ses poèmes. Car elle est une poétesse née dans les années 30 aux USA, féministe intersectionnelle et engagée dans le mouvement des droits civiques en faveur des Afro-Américains.
Les chapitres thématiques sont assez disparates, et peuvent aller du récit d'un voyage en Russie jusqu'à l'éloge de l'érotisme. Cet essai peut se lire en piochant de ci de là, en butinant.
Elle nous insuffle une grande énergie, encourage à vivre pleinement ses émotions, à découvrir les espaces du possible enfouis en nous. Elle encourage l'empowerment par la parole et la sororité.
"Transformer le silence en paroles et en actions est un acte de révélation de soi."
Elle dénonce avec colère toutes les formes d'aveuglement : racisme, sexisme, homophobie... en tant que femme Noire et lesbienne, elle connaît tout cela très bien.
Pour elle comme pour Angela Davis, l'ennemi commun est le capitalisme. Elle montre que les femmes Noires sont le groupe social le plus opprimé et le moins bien payé.
Elle montre très bien que toutes les femmes connaissent l'oppression et par conséquent un sentiment de haine de soi ; tout en subissant des choses différentes selon l'origine ethnique. Difficile d'aborder le racisme avec les Blancs... je repense à l'essai de Reni Eddo-Lodge qui confirme cela encore en 2017.
Audre Lorde raconte la difficile éducation de son fils : comment ne pas retomber dans les mêmes travers ? Comment éviter qu'il méprise les femmes ou les Noirs ? Car sans nommer le racisme et le sexisme, les enfants les perçoivent bien et grandissent avec leur intériorisation.
Amour de soi, érotisme, colère sans haine pour trouver la force d'entrer en lutte : Audre Lorde nous enjoint à tout cela avec force.
Pour finir sur une touche optimiste : "Tous nos enfants sont la promesse d'un royaume encore incertain."
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Ce livre hybride est passionnant. Audre Lorde écrit avec beaucoup de poésie, ses mots touchent au coeur. J'ai particulièrement apprécié le côté "carnet de voyage" du début, au sujet de la Russie, où on peut voir le regarde d'une Américaine sur l'URSS d'alors.

Il y a de tout dans ce livre :

Du social. Car Lorde parle de ses liens aux autres, de sa maternité et de son rapport à ses enfants, mais aussi à ses propres parents.

Du racisme. En tant qu'enfant la plus foncée de sa fratrie, elle a été traitée différemment. de la même manière, dans le milieu féministe, elle fit ostracisée car étant trop foncée pour être une féministe normale. L'intersection entre genre et race fut difficile à envisager pour une énorme partie des femmes du mouvement.

De politique. Quand elle décrit sa vie aux USA, les statistiques d'agressions et de mortalité sur les personnes noires, la conscientisation opère.

De poésie. Dans chacun de ses mots, elle parvient à instiller de la légèreté, de la douceur, de l'émotion à nu, et c'est particulièrement frappant tout au long de la lecture.

De lettres. Elle en a écrit à différentes personnes, qui chacune témoignent d'un esprit fin, respectueux et très vif de l'autrice.

Cet ouvrage est selon moi nécessaire à chacun.e.
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Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Il existe bien des sortes de puissance, utilisées ou non, reconnues ou non. L’érotisme est une ressource présente en chacune de nous, à un niveau profondément féminin et spirituel, une ressource solidement enracinée dans la puissance de nos sentiments inexprimés, ou inavoués. Pour se perpétuer, toute oppression doit corrompre ou déformer, dans la culture de ceux qu'elle opprime, ces différentes sources de puissance capables de générer l'énergie nécessaire au changement. Pour les femmes, cela a signifié la suppression de l’érotisme comme source appréciable de puissance et de connaissance dans nos vies.
On nous a appris à nous méfier de cette ressource, avilie, déformée et dévalorisée au sein de la société occidentale. D'une part, l’érotisme superficiel est devenu signe de l'infériorité des femmes; de l'autre, les femmes ont dû souffrir et se sentir méprisables et suspectes à cause de l'existence même de cet érotisme.
À partir de là, le pas est vite franchi pour en arriver à la croyance erronée que nous les femmes, nous ne serons vraiment fortes que le jour où l’érotisme aura été rayé de nos vies et de nos consciences. Mais cette force n’est qu’illusion, façonnée qu'elle est par les représentations masculines du pouvoir.
En tant que femmes, nous avons perdu confiance en cette puissance qui vient de notre connaissance la plus profonde et la moins rationnelle. Toute notre vie, le monde des mâles nous a mis en garde contre cette puissance : un monde de mâles qui accorde suffisamment de valeur à la force de cette émotion pour s'entourer de femmes qui la mettront à leur service ; mais qui craint par ailleurs bien trop cette force pour en explorer les possibilités en eux-mêmes. c'est pourquoi les femmes ont été maintenues dans cette position de distance/infériorité pour être « succès » psychologiquement, à l'image des fourmis entretenant des colonies de pucerons destinées à fournir une substance vitale à leurs maîtres.
Pourtant l'érotisme est une source intarissable de stimulation et d'accomplissement pour la femme qui n'a pas peur de cette révélation, et qui ne succombe pas à la tentation de croire que la seule sensation suffit.
Souvent les hommes ont mal interprété l'érotisme et l'ont utilisé contre les femmes. On en a fait une sensation trouble, grossière, psychotique, plastifiée. C’est pour cette raison que, confondant l'érotisme avec son contraire, la pornographie, nous avons souvent refusé d'envisager et d'analyser l'érotisme comme une source de puissance et de connaissance. Or la pornographie, éliminant les véritables émotions, nie en bloc la force de l'érotisme. La pornographie met en valeur une sensation vidée de toute émotion.
L’érotisme mesure la distance qui sépare les premiers pas de la conscience de soi du chaos de nos émotions les plus profondes. Une fois que nous en avons fait l'expérience, nous savons que nous pouvons aspirer à cet accomplissement intérieur. Une fois que nous avons fait l'expérience de la plénitude d'une telle émotion, et que nous en te connaissons la puissance’ nous ne pouvons pas, en toute fierté et en toute dignité, exiger moins de nous-mêmes.
Il n'est jamais facile d'exiger le meilleur de nous-mêmes, de nos vies, de notre travail. Encourager l'excellence, c'est aller au-delà de la médiocrité encouragée par notre société. Mais céder à la peur de l'émotion, tout en travaillant à plein régime, c'est un luxe que seules les personnes sans projet peuvent s'offrir; et les personnes sans projet sont celles qui ne désirent pas prendre en main leur propre destinée.
Ce besoin intime d'excellence que l'érotisme nous révèle ne doit pas être mal utilisé, ni nous conduire à exiger l'impossible de nous-mêmes et des autres. Une telle exigence ne paralyserait toute personne dans son cheminement. Parce que, dans l'érotisme, ce n'est pas seulement ce que nous faisons qui compte, c'est aussi l'acuité et la plénitude avec lesquelles nous ressentons ce que nous faisons. Savoir à quel point nous pouvons éprouver une telle sensation de satisfaction et de plénitude nous permet d'identifier, parmi tous nos comportements, ceux qui dans notre vie nous rapprochent le plus de cette plénitude.
Le but de chaque chose que nous faisons vise à rendre nos vies et celles de nos enfants plus réalisables et plus riches. En célébrant l'érotisme dans tous nos comportements, mon travail devient une prise de décision consciente - un lit ardemment désiré dans lequel j'entre pleine de reconnaissance et duquel je sors puissante.
Bien évidemment, les femmes rendues ainsi puis puissantes sont dangereuses. C'est pourquoi on nous a appris à écarter l'exigence érotique des espaces les plus fondamentaux de nos vies, à l’exception du sexe. Et ce manque d'intérêt envers la racine érotique et les satisfactions de notre travail se ressent dans la désaffection qui empreint une si grande partie de ce que nous faisons. Par exemple, jusqu'à quel point aimons-nous vraiment notre travail, y compris lorsqu'il devient terriblement exigeant ?
La principale aberration de tout système qui définit le bien en termes de profit plutôt qu'en termes de besoin humain, ou qui définit les besoins humains en excluant les composantes psychiques et émotionnelles de ces derniers - la principale aberration d'un tel système, c'est qu'il ampute notre travail de sa valeur érotique, de sa puissance érotique, du désir de vivre et de la plénitude qui l'accompagnent. Un tel système réduit le travail à une parodie d'obligations, un devoir qui nous fait gagner notre pain, ou nous conduit à l'oubli de nous-mêmes et de ceux que nous aimons. Cela revient à rendre un peintre aveugle pour lui demander ensuite d'améliorer son travail et de prendre plaisir à peindre. Ce n'est pas seulement proche de f impossible, c'est aussi plein de cruauté.
En tant que femmes, nous avons besoin de chercher comment construire un monde vraiment différent. Je parle ici de la nécessité de réévaluer toutes les dimensions de nos vies et de notre travail, ainsi que notre progression dans cette tâche.
Le mot érotisme vient du mot grec éros, personnification de l'amour sous tous ses aspects - né du Chaos, incarnation de la puissance créatrice et de l'harmonie. Alors, quand je parle de l'érotisme, je parle de 1'affirmation de la force vitale des femmes; de cette puissante énergie créatrice, dont nous réclamons aujourd’hui la connaissance et l'usage dans notre langage, notre histoire, nos danses, nos amours, notre travail, nos existences.
On tente très souvent de faire de la pornographie un synonyme d'érotisme, deux utilisations diamétralement opposées de la sexualité. À cause de cette tentative d'amalgame, la mode est maintenant à la séparation du spirituel (psychique et émotif) et du politique, à les considérer comme contradictoires et antithétiques. «Qu'est-ce que vous voulez dire, un révolutionnaire poète, un trafiquant d'armes contemplatif ?» De même,-nous avons tenté de séparer le spirituel de l'érotisme, réduisant ainsi le spirituel à un monde d'affects affadis, le monde de l'ascète qui aspire à ne rien ressentir. Mais rien n'est plus éloigné de la vérité. Car la position de l'ascète est celle de la plus grande peur, de l’immobilité la plus angoissée. L’abstinence rigoureuse de l'ascète devient obsession dominante. Et il ne s'agit plus d'autodiscipline mais d'autonégation.
La dichotomie entre le spirituel et le politique est aussi fausse, qui découle d'un manque de considération envers notre savoir érotique. Car le pont qui les relie, c'est l'érotisme - le sensuel -, ces expressions physiques, émotionnelles, psychiques, de ce qu'il y a de plus profond, de plus intense, de plus riche en chacune de nous, et qui doit être partagé : les passions de l'amour, au sens le plus fort du terme. Au-delà de son côté superficiel, la phrase convenue, « C'est bon pour moi ! », reconnaît la force de l'érotisme comme une véritable connaissance et en fait la première et la plus puissante lumière éclairant toute compréhension. Et la compréhension, cette servante, ne peut qu'attendre, ou clarifier, cette connaissance première, née du tréfonds de notre être. L'érotisme nourrit et prend soin de notre savoir le plus intime.

L'érotisme agit pour moi de plusieurs façons, et la première, c'est de me donner la force, cette force issue du vrai partage d'un objectif quelconque avec une autre personne. Lajoie partagée, qu'elle soit physique, émotionnelle, psychique ou intellectuelle, construit entre les partenaires un pont, sorte de base permettant de comprendre une grande partie de ce qu'elles ne partagent pas, et d'alléger la menace de leur différence.
Une autre fonction importante du lien érotique, c'est de souligner ouvertement et sans crainte ma capacité à éprouver de la joie. Tout comme mon corps se tend au son de la musique et lui répond en s'ouvrant, attentif à ses rythmes les plus profonds, chaque niveau de sensation m'ouvre la porte d’une expérience érotique épanouissante, qu'il s'agisse de danser, de construire une bibliothèque, d'écrire un poème ou d'étudier une idée.
Cette introspection partagée donne la mesure de la joie que je suis capable d'éprouver, et me rappelle ma capacité émotionnelle. Et cette connaissance profonde et irremplaçable de ma capacité à éprouver de la joie exige que toute ma vie soit vécue en sachant qu'une telle satisfaction est possible, et qu'elle n'a pas besoin de se nommer mariage, Dieu, ou vie après la mort.
C'est une des raisons pour lesquelles l'érotisme est tellement craint et si souvent relégué à la chambre à coucher dès qu'on reconnaît un tant soit peu sa puissance. Parce qu'une fois que nous commençons à ressentir profondément la texture de notre existence, nous commençons à exiger de nous-mêmes et de nos engagements qu'ils soient en accord avec cette joie dont nous nous savons capables. Notre savoir érotique nous donne de la force, il devient une lentille à travers laquelle nous scrutons tous les aspects de notre existence, nous obligeant à évaluer honnêteme
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De larges pans de l’histoire européenne nous conditionnent à envisager les différences humaines en termes d'oppositions simplistes: dominant/dominé, bon/mauvais, haut/bas, supérieur/ inférieur. Dans une société qui détermine le bien en termes de profit, plutôt qu’en termes de besoins humains, il existe toujours un groupe donné de personnes qui, sous le joug d’une Oppression systématique, peut se vivre comme surplus, occuper la place de l'inférieur déshumanisé. Dans cette société, ce groupe est composé des personnes Noires, de celles du Tiers-Monde Monde, de la classe ouvrière, des personnes âgées et des femmes.
Lesbienne Noire de quarante-neuf ans, féministe, socialiste, mère de deux enfants, dont un garçon, vivant en couple avec une femme blanche, j’ai l’habitude de faire partie de ces groupes stigmatisés comme différents, déviants, inférieurs, ou carrément dans l’erreur. Dans la société américaine, la règle veut que nous, rescapé-e-s des groupes opprimés, chosifie’s, nous nous écrasions et que nous comblions le fossé qui sépare la réalité de nos existences de la conscience de notre oppresseur. Parce que pour survivre, celles et ceux pour qui l’oppression en Amérique est aussi courante que le gâteau aux pommes doivent toujours rester sur leurs gardes, se familiariser avec le langage et les comportements de l’oppresseur, et parfois même les adopter dans l'illusion d‘être protégé-e-s. À chaque prétexte de dialogue, ceux qui tirent profit de notre oppression exigent que nous partagions notre savoir avec eux. En d’autres termes, c’est aux opprimé—e-s qu’incombe la responsabilité de faire prendre conscience aux oppresseurs de leurs erreurs. Je dois donc me charger d‘éduquer les enseignant-e-s qui dévalorisent la culture de mes enfants à l’école. Les personnes Noires et celles du Tiers-Monde sont censées éduquer les personnes blanches afin qu’elles nous reconnaissent en tant qu’êtres humains. Les femmes sont censées éduquer les hommes. Les lesbiennes et les gays sont censés éduquer les hétérosexuels. Les oppresseur-e-s conservent ainsi leurs prérogatives et fuient la responsabilité de leurs actes. On nous pompe sans cesse notre énergie, alors que nous ferions mieux de nous en servir pour nous redéfinir et imaginer des scénarios réalistes qui transforment le présent et bâtissent l’avenir.
Le rejet de la différence est d’une nécessité absolue dans une économie de Profit qui a besoin d’outsiders, comme surplus. Insérées dans une telle économie, nous avons toutes été dressées dans la peur et le dégoût de la différence, et nous avons appris trois sortes de comportements pour y faire face : l’ignorer, et quand cela est impossible, la reproduire si elle est l’apanage des dominant-e-s, ou la détruire si elle porte les stigmates des dominé-e-s. Mais nous ne disposons d’aucun modèle pour construire des relations humaines égalitaires. Résultat: on a menti au sujet de la différence et on s’en est servi pour nous diviser et pour semer le désordre.
Il existe entre femmes des différences certaines de race, d’âge, et de sexe. Mais ce ne sont pas ces différences qui nous séparent. C'est plutôt notre refus d’accepter ces différences, d’analyser les préjugés engendrés par nos erreurs de jugement ainsi que les conséquences de ces préjugés sur les comportements et les attentes des êtres humains.
Racisme: croyance en la supériorité intrinsèque d’une race sur toutes les autres et ainsi en son droit à dominer. Sexisme : croyance en la supériorité intrinsèque d’un sexe sur l’autre et ainsi en son droit à dominer. Âgisme. Hétérosexisme. Élitisme. Classisme.
Pour chacune de nous, s’affranchir de ces préjugés qui empoisonnent nos vies, et dans le même temps admettre. mettre en valeur et distinguer les différences sur lesquelles reposent ces préjugés, c’est le travail de toute une Vie.
Parce que nous avons toutes été élevées dans une société bâtie sur ces préjugés. Trop souvent, au lieu d’utiliser notre énergie pour discerner et explorer ces différences, nous la gaspillons à prétendre que de telles différences dressent des barrières insurmontables ou bien qu’elles n’existent pas. Ce qui nous condamnent à l’isolement, ou à des relations mensongères et déloyales. Quoi qu’il en soit, en agissant ainsi nous nous refusons les moyens d’utiliser les différences humaines comme catalyseurs d’un réel changement dans nos existences. Au lieu de parler de différences entre êtres humains, nous parlons de déviance.
Quelque part dans notre conscience, il existe ce que j’appelle une norme mythique, et chacune de nous sait, au plus profond d’elle-même, que cette norme «ce n'est pas moi». En Amérique, en règle générale, cette norme prend le visage d'un homme blanc, mince, jeune, hétérosexuel, chrétien et à l’aise financièrement. Les signes extérieurs de pouvoir se manifestent avec cette norme. Celles parmi nous qui sont en marge de ce pouvoir ne voient souvent qu‘un seul aspect de notre différence, et croient qu’il s’agit de la principale cause de notre oppression, perdant ainsi de vue les autres idées reçues sur les différences, y compris nos propres préjugés. Aujourd’hui dans le mouvement des femmes, et d’une manière largement répandue, les femmes blanches se focalisent sur leur oppression de femmes et ne tiennent aucun compte des différences de race, de préférence sexuelle, de classe sociale et d’âge. Le mot sororité recouvre d’un faux-semblant d’homogénéité l’expérience de toutes les femmes, mais dans les faits, la sororité n’existe pas.
En refusant d’admettre ces différences de classes, les femmes se privent de l’énergie et de la créativité des unes et des autres. Récemment, le comité de rédaction d’une revue féminine a pris la décision, pour un numéro, de ne publier que de la prose, en expliquant que la poésie était une forme artistique «moins rigoureuse» ou «moins sérieuse». Là encore, l’expression même de notre créativité nous renvoie à une question de classe sociale. Parce que de toutes les formes artistiques, la poésie reste la plus économique. C’est la seule qu’on puisse facilement écrire en cachette, la seule qui demande le moins d’effort physique, le moins de matériel; on peut s’y consacrer au moment de nos pauses au travail, dans un vestibule de l‘hôpital, dans le métro sur des bouts de papier. Au cours de ces dernières années, écrivant un roman tout en étant à court d’argent, j’ai pu mesurer la différence considérable, en termes matériels, qui sépare la poésie de la prose. À l'heure où nous, femmes, revendiquons notre propre littérature. la poésie est en train de devenir le principal moyen d’expression des pauvres, des personnes issues de la classe ouvrière ainsi que des femmes de Couleur. Pour écrire de la prose, il vaut mieux disposer d’une chambre à soi mais aussi de ramettes de papier, d’une machine à écrire et de beaucoup de temps libre. Les conditions matérielles nécessaires pour se lancer dans les arts visuels permettent aussi de déterminer, en considérant les classes sociales, à qui appartient quelle forme d'art. En cette période où le prix du matériel ne cesse de grimper, où sont nos sculptrices, nos peintres, nos photographes ? Lorsque nous parlons d'une culture de femmes, nous devons être conscientes de l’impact de la classe sociale et des différences économiques sur les ressources nécessaires à la production artistique.
Tout en avançant dans la construction d’une société plus épanouissante pour chacune de nous, notre vision de l’avenir est brouillée par l’âgisme, autre préjugé néfaste aux relations humaines. En ignorant le passé, nous sommes condamnées à répéter ses erreurs. Dans toutes les sociétés répressives, le «fossé entre les générations» est une puissante arme de contrôle social. Si les plus jeunes membres d’une communauté méprisent les plus âgé-e-s. s‘en méfient ou les considèrent comme de trop, elles/ils ne seront jamais capables de se donner la main, de se pencher sur la mémoire vivante de leur communauté, ni de poser la question essentielle, «Pourquoi ?». Cette amnésie historique nous condamne à réinventer la roue à chaque fois que nous devons aller acheter du pain à la boulangerie.
En ne transmettant pas ce que nous avons appris ou en étant incapables d’écouter. nous sommes amenées à répéter et à réapprendre, encore et encore, ces mêmes vieilles leçons que nos mères avaient apprises. Mais combien de fois a-t-on déjà dit tout cela ? Pour autant, qui aurait pu croire que nos filles accepteraient, elles aussi, d’entraver leur corps et de le mettre au purgatoire avec des gaines, des talons aiguilles et des jupes moulantes ?
Nier les différences raciales entre femmes et leurs conséquences fait peser une grave menace sur la mobilisation de leur pouvoir collectif.
Lorsque les femmes blanches nient les privilèges inhérents à leur blancheur, et définissent la femme uniquement en fonction de leur seule expérience, les femmes de Couleur deviennent alors l’« autre», l’outsider, dont l’expérience et la tradition sont trop «étranges étrangères» pour être comprises. L’absence significative de travaux de femmes de Couleur dans les études femmes en est une bonne illustration. pn enseigne rarement les œuvres de femmes de Couleur dans les cours de littérature féminine, pratiquement jamais dans d’autres cours de littérature, et pas encore dans les études femmes en général. Beaucoup trop souvent, les excuses avancées sont que, seules des femmes de Couleur sont aptes à enseigner la littérature des femmes de Couleur, ou qu’elles sont trop difficiles à comprendre, ou encore que les étudiant-e-s ne peuvent pas «entrer» dans leurs écrits parce que leur expérience est «trop éloignée» de la leur. J’ai entendu cet argument de la bouche de femmes blanches à l’esprit plutôt éclairé, des femmes qui semblaient par ailleurs n’éprouver aucune difficulté à enseigner et à analyser des œuvres nées de l’expérience bien plus lointaine d’un Shakespeare, d’un Molière, d’un Dostoïevski et d’un
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Ainsi confrontée de force à l'éventualité de ma mort, à ce que je désirais et voulais de ma vie, aussi courte soit-elle, priorités et omissions me sont apparues violemment, sous une lumière implacable, et ce que j’ai le plus regretté ce sont mes silences. De quoi avais-je donc eu si peur? Dans mon esprit, poser des questions ou parler signifiait souffrance ou mort. Pourtant nous souffrons toutes, de bien des façons, tout re temps, et ra souffrance se transforme ou s'achève. La mort, en revanche, c'est le silence final. Et elle pourrait ne pas tarder, à présent. peu importe si je n'ai pas dit ce qu’il fallait, si je me suis trahie par toutes sortes de petits silences, remettant ma parole à plus tard, ou comptant sur une autre pour parler à ma place. J’ai alors commencé à discerner en moi une source de puissance qui vient de cette connaissance: bien qu'il soit préférable de ne pas avoir peur, savoir relativiser la peur me donne une très grande force.
J'allais mourir, tôt ou tard, que j'aie pris la parole ou non. Mes silences ne m'avaient pas protégée. Votre silence ne vous protégera pas non plus. Mais à chaque vraie parole exprimée, à chacune de mes tentatives pour dire ces vérités que je ne cesse de poursuivre, je suis entrée en contact avec d’autres femmes, et, ensemble, nous avons recherché des paroles accordant au monde auquel nous croyons toutes, construisant un pont entre nos différences. Et ce sont f intérêt et le soutien de toutes ces femmes qui m’ont donné de la force, et permis de questionner les fondements mêmes de ma vie.
Les femmes qui m'ont soutenue pendant cette période étaient noires et blanches, vieilles et jeunes, lesbiennes, bisexuelles et hétérosexuelles, et nous avons toutes pris part à cette guerre contre les tyrannies du silence. Sans la force et l’attention de toutes ces femmes, je n'aurais pas pu survivre indemne. Pendant ces semaines de peur intense, j’ai soudain compris - dans ra guerre, nous combattons les forces de la mort, plus ou moins subtiles, dont nous sommes conscientes ou non - que je ne suis pas seulement une victime, je suis aussi une guerrière.
Quels sont les mots qui vous manquent encore? Qu’avez-vous besoin de dire ? Quelles sont les tyrannies que vous avalez jour après jour et que vous essayez de faire vôtres, jusqu’à vous en rendre malade et à en crever, en silence encore? Peut-être que pour certaines d'entre vous, ici aujourd'hui, je suis le visage d'une de vos peurs. Parce que je suis femme, parce que je suis Noire, parce que je suis lesbienne, parce que je suis moi - une poète guerrière Noire qui fait son boulot -, venue vous demander : et vous, est-ce que vous faites le vôtre ?
Et bien sûr, j'ai peur, car transformer le silence en paroles et en actions est un acte de révélation de soi, et cet acte semble toujours plein de dangers.
Quand je lui ai parlé de notre sujet de discussion et de mes difficultés, ma fille m'a dit : « Raconte-leur qu'on n'est jamais une personne à part entière si on reste silencieuse, parce qu'il y a toujours cette petite chose en nous qui veut prendre la parole. Et, si on continue à l'ignorer, cette petite chose devient de plus en plus fébrile, de plus en plus en colère et si on ne prend pas la parole, un jour, cette petite chose finira par exploser et nous mettre son poing dans la figure.»
La raison du silence, ce sont nos propres peurs, peurs derrière lesquelles chacune d'entre nous se cache - peur du mépris, de la censure, d’un jugement quelconque, ou encore peur d'être repérée, peur du défi, de l'anéantissement. Mais par-dessus tout, je crois, nous craignons la visibilité, cette visibilité sans laquelle nous ne pouvons pas vivre pleinement. Dans ce pays où la différence raciale, quand elle n'est pas dite, crée une distorsion permanente du regard, les femmes Noires ont été d'une part toujours extrêmement visibles, d’autre part rendues invisibles par l'effet de dépersonnalisation inhérente au racisme. Même au sein du mouvement des femmes, nous avons dû, et devons encore, nous battre pour cette visibilité de notre Négritude, ce qui nous rend d'ailleurs extrêmement vulnérables. Car pour survivre dans la bouche de ce dragon appelé amérique, nous avons dû apprendre cette première et vitale leçon : nous n'étions pas censées survivre. Pas en tant qu’êtres humains. Et la plupart d'entre vous non plus, Que vous soyez Noires ou non. Or, cette visibilité, qui nous rend tellement vulnérables, est la source de notre plus grande force. Car le système essaiera de vous réduire en poussière de toute façon, que vous pariiez ou non. Nous pouvons nous asseoir dans notre coin, muettes comme des tombes, pendant qu'on nous massacre, nous et nos sœurs, pendant qu’on défigure et qu'on détruit nos enfants, qu’on empoisonne notre terre; nous pouvons nous terrer dans nos abris, muettes comme des carpes, mais nous n'en aurons pas moins peur.
Chez moi, cette année, nous célébrons Kwanza, fête afro-américaine des moissons qui commence le lendemain de Noël et dure sept jours. Il y a sept principes dans Kwanza, un pour chaque jour. Le premier principe, c’est Umoja, qui signifie unité, la volonté d'atteindre et de maintenir l’unité en soi et dans sa communauté. Le principe pour hier, 1e deuxième jour, c’est Kujichagulia - autodétermination -, la volonté de nous définir, de nous nommer, de parier en notre nom, et pas que les autres nous définissent et parlent à notre place. Aujourd'hui, c'est le troisième jour de Kwanza, et le principe pour aujourd,hui est ujima - travail et responsabilité collectives -, la volonté de construire et de maintenir nos communautés ensemble, d'identifier et de résoudre nos problèmes collectivement.
Si nous sommes toutes 1à aujourd'hui, c'est parce que, d'une façon ou d'une autre, nous partageons un même engagement envers le langage et le pouvoir des mots, c’est parce que nous sommes décidées à régénérer cette langue instrumentalisée comme nous. Pour transformer le silence en paroles et en actes, il est fondamental que chacune de nous établisse et analyse sa place dans cette transformation, et reconnaisse le rôle vital qu'elle joue
Pour celles qui écrivent, il est nécessaire d'examiner minutieusement, non seulement la véracité de ce que nous disons, mais encore la véracité du langage que nous utilisons. Pour d'autres, i1 s'agira de partager, et aussi de transmettre, ces paroles qui font sens pour nous. Mais plus que tout, il est primordial, pour nous toutes, de montrer l'exemple en vivant et en nommant ces vérités auxquelles nous croyons, et que nous détenons au-delà de notre entendement. C’est seulement ainsi que nous pourrons survivre, en prenant part à ce processus vital, créatif et continu, et qui s'appelle grandir.
Et cela ne se fait jamais sans peur - peur de la visibilité, de la lumière implacable de l'examen, peut-être peur d'être jugée, peur de la souffrance, peur de la mort. Mais nous avons déjà traversé tout cela, en silence, excepté la mort. Maintenant, je me répète sans cesse que si j'étais née muette, ou si j'avais fait vœu de silence ma vie entière pour assurer ma sécurité, ça ne m'aurait pas empêchée de souffrir pour autant, je n'échapperais pas à la mort de toute façon. Ce qui est très bien pour relativiser les choses.
Et quand les paroles des femmes crient pour être entendues, nous devons, chacune, prendre la responsabilité de chercher ces paroles, de les lire, de les partager et d'en saisir la pertinence pour nos vies. Nous ne devons pas nous cacher derrière les simulacres de division qu'on nous a imposés, et que nous faisons si souvent nôtres. Du genre: «Je ne peux vraiment pas enseigner la littérature des femmes Noires, leur expérience est si éloignée de la mienne.» Pourtant, depuis combien d'années enseignez-vous Platon, Shakespeare et Proust? Ou bien: «C'est une femme blanche, que peut-elle vraiment avoir à me dire?» Ou: «C'est une lesbienne, que va en penser mon mari, ou mon patron ?» Ou encore: «Cette femme parle de ses fils et je n'ai pas d'enfant » Et toutes les multiples façons que nous avons de nous priver de nous-mêmes et des autres.
Nous pouvons apprendre à travailler, à parler, malgré la peur, de la même façon que nous avons appris à travailler, à parler, malgré 1a fatigue. Car nous avons été socialisées pour respecter la peur bien plus que nos propres besoins je parole et de définition; et à force d'attendre en silence le moment privilégié où la peur ne serait plus, le poids de ce silence finira par nous écraser.
Le fait que nous soyons ici ensemble, et que je prononce ces paroles, est une tentative de briser ce silence, et de construire des ponts entre nos différences, car ce ne sont pas nos différences qui nous immobilisent, c'est le silence. Et tant de silences doivent être brisés !
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Ces espaces du possible enfouis en nous sont obscurs parce que anciens et cachés; ils ont survécu et se sont renforcés grâce à cette obscurité. Au cœur de ces profondeurs, chacune d'entre nous tient entre ses mains une réserve époustouflante de créativité et de puissance, d'émotions et de sensations vierges et inexplorées. Le lieu de la puissance féminine, en chacune de nous, n'est ni blanc ni superficiel; il est sombre, il est ancien, et il est profond.
Lorsque nous considérons, avec des yeux européens, le fait de vivre exclusivement comme un problème à résoudre, nous ne comptons que sur nos idées pour nous libérer. Car les pères blancs nous ont enseigné que c'était ce qui était le plus précieux.
Mais au fur et à mesure que nous entrons en contact avec notre propre conscience ensevelie, conscience non européenne qui envisage l'existence comme une expérience à vivre. Nous apprenons à chérir de plus en plus nos émotions, à respecter ces sources cachées de pouvoir d'où jaillit la connaissance véritable, celle qui donne naissance à des actions durables.
À ce stade de mon existence, je crois que les femmes portent en elles la possibilité de faire fusionner ces deux approches si nécessaires à notre survie, et nous touchons au plus près cette synthèse dans notre poésie. Je parle ici de la poésie en tant que sublimation révélatrice de l'expérience, et non de ce jeu de mots stérile au nom duquel, trop souvent, les pères blancs ont galvaudé le mot poésie - pour dissimuler leur aspiration manifeste vers une imagination sans profondeurs. Pour les femmes, cependant, la poésie n'est pas un luxe. C'est une nécessité vitale. Elle génère la qualité de la lumière qui éclaire nos espoirs ainsi que nos rêves de survie et de changement, espoirs et rêves d'abord mis en mots, puis en idées, et enfin transformés en actions plus tangibles. La poésie est le chemin qui nous aide à formuler ce qui est sans nom, le rendant ainsi envisageable. Les horizons les plus lointains de nos espoirs et de nos peurs sont pavés de nos poèmes, taillés dans le roc des expériences de nos vies quotidiennes. À mesure que nous apprenons à les connaître et à les accepter, nos émotions ainsi explorées deviennent des terres sacrées et fertiles pour les idées les plus radicales et les plus audacieuses. Elles abritent dès lors cette différence si nécessaire au changement et à l'élaboration de toute action sensée.
Je pourrais énumérer sur-le-champ au moins dix idées qui, si elles n'étaient pas nées de rêves et de poèmes, m'auraient semblées intolérables ou incompréhensibles et effrayantes. Il ne s'agit pas là d'un songe creux, mais d'une attention soutenue prêtée au véritable sens de «cela est bien pour moi ».
Nous pouvons nous entraîner à respecter nos émotions et à les mettre en mots afin de les partager. Et là où la parole n'émerge pas encore, c'est notre poésie qui nous aide à la façonner. La poésie n'est pas que rêve et vision; elle est la colonne vertébrale de nos existences’ Elle pose les fondations des changements futurs, elle jette un pont par-dessus notre peur de f inconnu.
Le domaine du possible n'appartient ni à l'éternité ni à f instant. Croire en son efficacité n'est pas chose facile. Quelquefois, nous travaillons d'arrache-pied afin de faire front aux morts qui encerclent nos vies, pour finalement voir nos efforts sapés par ces rumeurs qu'on nous a appris à craindre, ou par la perte de ces approbations qu'on nous a conseillé de rechercher pour notre sécurité. Femmes, nous nous sentons diminuées ou affaiblies par ces accusations, faussement bénignes, d'enfantillages, de particularismes, de versatilité, de lascivité. Mais qui se demande est-ce que je porte atteinte à votre intégrité, à vos idées, à vos rêves, ou est-ce que je vous pousse purement et simplement à une action sporadique et défensive ? Et même si cette dernière n'est pas une mince affaire, elle doit être comprise dans un contexte [d'hostilité] visant à transformer les fondements mêmes de nos existences.
Les pères blancs nous ont inculqués : je pense, donc je suis. La mère Noire, en chacune de nous - la poète - vient murmurer dans nos rêves: «Je ressens, donc je peux être libre.» La poésie cisèle la parole pour qu'elle exprime et guide cette exigence révolutionnaire, l'accomplissement de cette liberté.
Cependant, l'expérience nous a appris qu'il est nécessaire d'agir ici et maintenant, toujours. Nos enfants ne peuvent pas rêver s'ils ne vivent pas, ils ne peuvent pas vivre s'ils ne sont pas nourris, et qui d'autre leur donnera cette précieuse nourriture sans laquelle leurs rêves ressembleront aux nôtres. « Si vous voulez qu'un jour nous changions le monde, il faudrait au moins que nous vivions suffisamment longtemps pour devenir adulte !» hurlent nos enfants.
Parfois nous nous enivrons de chimériques idées nouvelles. Notre mental va nous sauver. Notre seule intelligence va nous libérer. Mais aucune idée nouvelle de derrière les fagots ne va nous sauver en tant que femmes, en tant qu'êtres humains. Ce ne sont que de vieilles idées enfouies que nous recombinons, extrapolons et reconnaissons - et que nous remettons en pratique avec un courage renouvelé. Et nous devons continuellement nous encourager, et encourager toutes les autres, à entreprendre les actions hérétiques que nous inspirent nos rêves et nos vieilles idées dépréciées. Compagne de nos premiers pas pour changer le monde, seule la poésie nous laisse entendre que le possible peut devenir réalité. Nos poèmes expriment notre implication, ce que nous ressentons au fond de nous et n'osons accomplir (ou les actions menées en accord avec ce que nous ressentons), nos peurs, nos espoirs. et nos terreurs les plus folles. Parce que nous vivons au sein de structures façonnées par le profit, le pouvoir vertical, la déshumanisation institutionnalisée, nos émotions n'étaient pas censées survivre. On attendait des émotions, mises à l'écart tels d'incontournables accessoires ou d'agréables passe-temps, qu’elles s'agenouillent devant la pensée de la même façon que les femmes s'agenouillent devant les hommes. Mais les femmes ont survécu. En poètes. Et il n'y a pas de nouvelles souffrances. Nous les avons déjà toutes endurées. Nous avons enterré cette vérité à l'endroit même où nous avons enterré notre puissance. Elles refont surface dans nos rêves, et ce sont nos rêves qui nous indiquent le chemin de la liberté. Ces rêves deviennent possibles grâce à nos poèmes qui nous donnent la force et le courage de voir, de ressentir, de parler et d'oser. Et si nous considérons comme un luxe notre besoin de rêver, notre désir d'amener nos esprits au plus profond de notre foi, alors nous renonçons à la source de notre puissance, de notre féminité: nous renonçons aux mondes futurs auxquels nous aspirons.
Les idées nouvelles n'existent pas. II n'y a que de nouvelles façons de les ressentir - et d'analyser ce que valent ces idées, le dimanche à sept heures du matin, après le brunch, en faisant fiévreusement l'amour, en faisant la guerre, en accouchant, en pleurant nos morts - pendant que nos vieilles aspirations nous tourmentent, que nous combattons cette peur archaïque de rester muette, impuissante et seule, pendant que nous découvrons de nouvelles possibilités et de nouvelles forces.
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Bien qu’il soit préférable de ne pas avoir peur, savoir relativiser la peur me donne une très grande force. J’allais mourir, tôt ou tard, que j’aie pris la parole ou non. Mes silences ne m’avaient pas protégée. Votre silence ne vous protégera pas non plus. Mais à chaque vraie parole exprimée, à chacune de mes tentatives pour dire ces vérités que je ne cesse de poursuivre, je suis entrée en contact avec d’autres femmes, et, ensemble nous avons recherché des paroles s’accordant au monde auquel nous croyons toutes, construisant un pont entre nos différences. Et ce sont l’intérêt et le soutien de toutes ces femmes qui m’ont donné de la fore, et permis de questionner les fondements mêmes de ma vie. (p. 40)
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Vidéo de Audre Lorde
Lecture par Nanténé Traoré & Marie-Sohna Condé Rencontre avec Lucie Lamy & Jean-Philippe Rossignol & les éditrices de L'Arche et d'Ypsilon, animée par Christelle Murhula
À l'occasion de la publication de Nouveau départ de May Ayim et de Charbon d'Audre Lorde, les éditions Ypsilon et L'Arche vous invitent à traverser l'oeuvre de ces deux poétesses, essayistes et militantes par une soirée de lectures et de discussion. Pour Ayim comme pour Lorde, il aura fallu attendre plus de vingt ans pour voir traduire leur poésie en français. Reconnues dans leurs pays comme des figures essentielles de la lutte contre le racisme et le sexisme, les écrits de ces deux grandes personnalités de l'afroféminisme sont enfin disponibles en France, apportant une nouvelle pierre à l'histoire internationale du mouvement. Ayim et Lorde se sont rencontrées à Berlin au cours des années 1980, alors que les liens transatlantiques du mouvement se renforçaient, les mots et les idées circulant entre l'Allemagne et les États-Unis. Ayim fut l'une des premières à revendiquer le terme d'afro-allemande, et Lorde une pionnière dans l'affirmation d'identités multiples et mouvantes (« poète, noire, féministe, lesbienne, mère, guerrière, professeure et survivante du cancer » comme elle se décrivait elle-même). Toutes deux ont écrit des essais et des recueils de poésie, démontrant par leur travail que théorie, pratique, militantisme et poésie peuvent fonctionner ensemble pour changer le monde. Marie-Sohna Condé et Nanténé Traoré porteront les voix des poétesses, puis une discussion autour de la traduction sera proposée avec Lucie Lamy et Jean-Philippe Rossignol, traducteur et traductrice de May Ayim, et les éditrices d'Ypsilon et de L'Arche.
À lire – Audre Lorde, Charbon, trad. de l'anglais (États-Unis) par le collectif Cételle, éd. de l'Arche, 2023 – May Ayim, Nouveau départ, trad. de l'allemand par Lucie Lamy et J.-P. Rossignol, éd. Ypsilon, 2023.
Son : Axel Bigot Lumière : Iris Feix, assistée de Hannah Droulin Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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