Quelle plus belle porte d'entrée à la littérature portugaise que celle de
Fernando Pessoa, de son Livro do Desassossego (Livre de l'Intranquillité) et sa poésie ? Auteur d'une oeuvre incontournable, grâce à lui, j'ai poursuivi ma déambulation comme on le ferait au travers des vieux quartiers d'une ville pleine d'histoire.
Ainsi, j'ai fait la connaissance de nombreux autres écrivains et poètes portugais mais aussi du fado, courant musical aux origines incertaines, très présent dans la culture lusitanienne (l'Unesco inscrit en 2011 le fado au registre du Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité).
Le fado (du latin fatum, le destin) avec ses nombreuses variantes est né dans les vieux quartiers de
Lisbonne et à Coimbra. le chant fadiste est empli d'un sentiment étrange et très particulier, qui ressemble à de la nostalgie et de la mélancolie mais que les Portugais définissent par un autre terme : la Saudade.
Dans mes lectures, dans mes écoutes musicales, j'ai longtemps chercher à comprendre ce qu'est la saudade, cet indéfinissable sentiment, cette tendre douleur qui habite l'âme d'un pays, l'oeuvre de nombre de ses poètes et le répertoire du fado. Un hasard heureux m'a mené jusqu'à l'essai d'
Eduardo Lourenço «
Mythologie de la Saudade, Essais sur la mélancolie portugaise ».
La terre et le pays lointain, l'amour perdu, le souvenir de l'être cher disparu, le passé sans retour, la nature immuable, la mer et son horizon inatteignable,… sont les thèmes récurrents qui nourrissent la saudade.
Eduardo Lourenço part à l'origine de ce sentiment en remontant l'histoire du Portugal. Au XVIème siècle, ce petit pays de 2 millions d'habitants est parti à la conquête de terres d'outre-mer en rêvant d'impérialisme (
Luís de Camões en fera le récit dans
Les Lusiades). La grandeur du Portugal sera pourtant éphémère, son rêve d'influence ne survivra pas face à
L Histoire et aux autres grandes puissances européennes. de la naîtra l'esprit de la Saudade, celle d'un pays à la recherche de sa grandeur perdue, entre mythe et récit.
Le Romantisme du XIXème siècle avec Teixeira de Pascoaes et
Almeida Garrett s'essaiera à rétablir le passé glorieux du Portugal. Plus tard encore le Salazarisme, avec les excès de courants littéraires affiliés, tenteront de bâtir une image mystico-nationale du Portugal. En vain.
De la Renaissance jusqu'au début du XIXème siècle, la saudade imprègne toute la conscience collective du pays. C'est au début des années 1900 que l'approche de l'âme saudosa va connaître un tournant sous l'influence d'un certain
Fernando Pessoa.
S'il ne fut pas le premier ni le seul écrivain à dépeindre la Saudade (avant lui, il y eut de grands noms de la littérature portugaise comme Dom Duarte,
Bernardim Ribeiro, Teixeira de Pascoaes,
Almeida Garrett ou encore Dom Francisco Manuel de Mello), il sera celui qui aura porté au plus loin l'âme saudosa.
Ainsi, tout en s'inspirant de l'histoire de son pays et de ses mythes,
Pessoa va déplacer l'esprit collectif de la Saudade vers une conscience plus individuelle, une perception plus personnelle. de ce mouvement naîtra une poésie sublime et intemporelle, une poésie tout à la mesure de l'esprit de la Saudade.
Au contraire de la tristesse qui est passagère, de la nostalgie qui retient le bonheur d'un temps passé et la mélancolie qui porte en elle la douleur, la Saudade est un sentiment permanent qui se nourrit invariablement d'émerveillement et de regrets, un état de l'âme qui afflige autant qu'il réconforte.
J'ai beaucoup aimé lire «
Mythologie de la Saudade, Essais sur la mélancolie portugaise ». le propos d'
Eduardo Lourenço est en tout point remarquable. La rigueur historique complète à merveille l'approche littéraire de la Saudade. J'ai été très sensible à l'évocation de l'histoire du Portugal, des écrivains qui ont témoigné de son passé pour mieux en révéler son présent, et de l'analyse de l'oeuvre poétique de
Fernando Pessoa.
Avant d'être une pensée, la Saudade a été chantée. Telle n'est pas mon habitude, mais pour clore mon billet, je veux partager un lien vers une chanson interprétée par la grande fadista Mariza.
Mis en musique, « Há uma Música do Povo » (Il y a une musique du peuple) est un poème de
Fernando Pessoa, extrait de ses Cancioneiro (oeuvre posthume).
La beauté du chant, de la mélodie autant que celle des paroles est un hymne à la Saudade :
https://youtu.be/ZQHQRmItG8U
le poème dit ceci :
« Il y a une musique du peuple,
Je ne sais pas : peut-être est-ce un fado -
En l'écoutant un rythme neuf s'élève
Au fond de l'être que j'ai conservé...
En l'écoutant je suis qui je serais
Si toutefois désirer c'était être...
C'est une simple mélodie, de celles
Qu'on apprend en vivant tout bonnement...
Je l'écoute en solitaire bercé
Et c'est cela même que j'ai voulu...
J'ai perdu et ma foi et mon chemin...
C'est qui je ne fus pas qui est heureux.
Mais elle console si fortement,
Cette vague, cette triste chanson...
Que mon âme déjà ne pleure plus
Et que moi-même je n'ai plus de coeur...
Et je suis une émotion étrangère,
L'erreur d'un rêve qui s'en est allé...
En tout cas, n'importe comment, je chante
Et j'en finis avec le sens ! »
(traduction tirée des
Oeuvres poétiques de
Fernando Pessoa,
Bibliothèque La Pléiade – Gallimard – 2001).
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