Ah, sacré
Lovecraft!
Rares auront été ces auteurs que j'aurai autant eu l'impression de connaître en en ayant lu si peu. C'est très probablement une illusion, "une fièvre cérébrale" comme dirait l'ermite de Providence, puisque lorsque je lis les analyses de certains passionnés, je me rends bien compte que je suis loin, très loin d'en percevoir tous les enjeux. Cela n'empêche: Cthulhu et ses copains aux angles inconcevables, les invocations barbares dissonantes, les ténèbres infinies dans lesquels tout plonge, cette tension du récit, ces esprits à deux doigts de se briser... J'ai l'impression d'y avoir puisé déjà énormément.
J'avais lu il y a bien des années, et bien trop jeune, 4 recueils de nouvelles gravitant autour des écrits de
Lovecraft. Je dis bien "gravitant autour des écrits de
Lovecraft", puisqu'il n'y avait, dans chacun de ces recueils, qu'un écrit du "maître". le reste était d'une qualité très fluctuante, et composé de textes d'auteurs inspirés, un peu pastiches, parfois s'écartant de la substantifique moelle... le tout orchestré par
August Derleth, une des rares personnes, je crois, à avoir côtoyé (du moins de façon épistolaire) notre auteur, plutôt reclus dans le genre.
Il en reste que je ne m'afficherai, dans cette critique et dans celles à venir, jamais comme une référence vis-à-vis de cet auteur; et étant donné qu'il suscite parfois beaucoup d'ardeur auprès de ses "grands" fans, je préfère être honnête: je risque d'avoir loupé beaucoup de choses, et j'essaierai de ne rendre, finalement, que ma simple impression de lecteur. Rien de plus.
"
Le Monstre sur le seuil", donc. Dans le cas où vous hésiteriez à vous plonger dans cette nouvelle, un conseil: lisez donc la première phrase et venez m'en dire des nouvelles. On y retrouve tout le mystère et toute l'ambiance qui se déploiera dans chacun des récits de
Lovecraft. Un chef-d'oeuvre d'incipit.
On va donc assister, par l'intermédiaire d'un narrateur externe plutôt dévoué à son ami, à la décadence d'Edward Derby, jeune homme très curieux avec un penchant un peu trop marqué pour l'ésotérisme qui aura le malheur de tomber amoureux d'une jeune femme extrêmement mystérieuse, Asenath Waite. Relation malsaine et destructrice, terreau fertile au déploiement terrifiant de l'imagination de
Lovecraft: vous ne serez pas prêts d'oublier ces personnages.
Que vous dire? Nous assistons ici à un récit extrêmement maîtrisé, qui malgré les années qui le sépare de ma lecture, fait preuve d'une originalité passionnante. Si les ressorts de l'intrigue m'ont parfois semblé un peu grossier (avouons-le, il y a un certain nombre d'éléments de l'intrigue que l'on renifle bien des pages avant qu'ils surviennent), il n'empêche que le texte est extrêmement rythmé et continuellement surprenant.
Rajoutons à ceci cette ambiance si particulière, véritablement unique, que
Lovecraft parvient à installer, et on conclut à une nouvelle d'une grande qualité. Ces descriptions fantastiques, qu'elles concernent des livres maudits, un esprit sur le point de s'effondrer ou des lieux sinistres, font toujours mouche. Et, je l'ai découvert par la suite, avec d'autres récits:
Lovecraft est sacrément impressionnant pour décrire
l'indicible. Ce n'est tout de même pas évident d'écrire sur des choses inconcevables, des choses que l'intellect ne peut que caresser. Il faut savoir renouveler son lexique, le rendre toujours accrocheur: et
Lovecraft le fait parfaitement bien.
"
Le Monstre sur le seuil" est donc une très bonne nouvelle, extrêmement agréable à lire. D'une limpidité exemplaire, on arrive à satisfaction avec une vitesse affolante. Et bien sûr, l'envie de continuer sur d'autre texte de
Lovecraft est ardente. C'est donc ce que j'ai fait.