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sur 338 notes
Voyez-vous, je digère depuis une dizaine de jours les quelques graines semées en moi par le Sillon, deuxième roman de Valérie Manteau publié au Tripode. C'est un roman sur lequel il est dur d'écrire. Je suis rassuré, d'une certaine manière, à la lecture des articles rédigés par des journalistes : je ne suis pas le seul à qui le livre, dans son originalité, échappe. Indiscutablement, le Sillon semble se dérober à tout discours.

Rappelons brièvement que Valérie Manteau a notamment fait partie de l'équipe de Charlie Hebdo de 2008 à 2013. Les funestes événements de 2015 servent de point de départ à la réflexion de la narratrice sous la forme de l'interrogation presque provocatrice : « Qu'est-ce qui fait que la France est encore un symbole si important que le monde entier s'est levé pour Charlie » (p.21).
Le ton est donné car la narratrice est à l'instar d'Istanbul qu'elle parcourt : à cheval sur le Bosphore, entre l'Europe et l'Orient.

Tout au long du récit, accompagné de l'écrivaine et de la narratrice, binôme indivisible, j'ai eu l'impression d'être immergé dans la ville, dans ses splendeurs comme dans ses misères. Un sentiment justifié par la nécessité de l'écrivaine à trouver le mot juste afin de peindre le plus explicitement possible l'Istanbul d'aujourd'hui et par là, la Turquie. Nous avons pour la plus part une vision assez floue de ce pays souvent limité dans notre imaginaire à la mosquée Sainte-Sophie, au génocide arménien et au régime de Recep Tayyip Erdoğan qui dérive dans un despotisme de plus en plus marqué. Abreuvés par les nouvelles qu'on nous donne, d'ailleurs souvent imprécises, nous nous construisons une image mentale faussée de l'actuelle Turquie. La force du Sillon, c'est de savoir mettre en exergue, par le prisme d'une histoire d'amour entre la narratrice et son amant turc à Istanbul, l'ambivalence de la Turquie, ses contradictions et l'impuissance de sa jeunesse face au verrouillage politique, notamment depuis le coup d'état de 2016. Cette histoire d'amour va servir d'approche et de confrontation entre deux cultures.

Le discours s'engage très vite sans oublier pour autant la construction autofictionnelle du récit. Cependant, l'ouvrage mêle aux péripéties de la narratrice, les souvenirs d'un personnage aux allures de fantômes : Hrant Dink, un journaliste turco-arménien assassiné en pleine rue par un jeune nationaliste turc en 2007 devant les bureaux de son journal, Agos (vieux mot turc et arménien qui signifie le « sillon ») dans l'indifférence presque générale. le récit s'applique alors à retracer, sous la forme d'une enquête journalistique, les moments clés de la vie de Dink et d'interroger sa mort. L'homme devient l'un des personnages clés et justifie à la fois les déambulations et les engagements de la narratrice. S'il s'agit d'un ouvrage en grande partie politique n'oublions pas pour autant le regard plein de dérision qui parcourt l'ouvrage. La narratrice relève ses propres failles : son incapacité à prononcer convenablement les mots et noms turcs, l'incongruité de certaines situations plutôt cocasses (je pense notamment à son errance dans le cimetière arménien alors qu'elle cherche la tombe de Dink) et ses mots acérés envers les occidentaux qui viennent en Turquie parce que les implants capillaires sont moins coûteux. N'oublions pas, non plus, les personnages hauts en couleur qui l'accompagnent et participent à son quotidien stambouliote.

C'était en 2007, donc. Dix ans après, Aslı Erdoğan, écrivaine devenue l'une des figures de l'opposition à cet Erdoğan antagoniste et qui était l'un des rares soutiens de Dink alors qu'il était persécuté, subit aujourd'hui l'exil après avoir supporté durant plusieurs mois les prisons et les procès turcs. Aslı Erdoğan, croisée au détour d'une rue, devient personnage de roman : fiction et réalité se mêlent ainsi intrinsèquement et confère de fait au roman la valeur du témoignage.
La narratrice assiste aux procès, se mêle à une jeunesse turque à la fois révoltée et démobilisée. Face à cette réalité, le souvenir de Hrant Dink la hante et la heurte comme pour interroger en écho le silence quasi général de la communauté internationale après le meurtre du journaliste. N'est-ce pas pourtant pour ces mêmes raisons que l'on s'est mobilisé après les attentats de Charlie Hebdo ou que l'on soutient aujourd'hui des écrivains comme Aslı Erdoğan ?

Agos ou le Sillon, c'est donc cette trace laissée à la surface d'un champ après le labour. Cela implique de remuer. Merci à ce livre d'avoir le courage poétique de remuer son lecteur, de le confronter à la Turquie complexe d'aujourd'hui, d'en rappeler la nature hybride tant orientale qu'occidentale qu'Istanbul plus que tout autre ville au monde représente. D'oser aussi sortir le lecteur de son confort et d'interroger les injustices et les contradictions silencieuses de notre temps.
Lien : https://lisezvoir.wordpress...
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Un roman politique qui dénonce, à travers la voix de l'auteur, la dérive du nationalisme turc à l'encontre des Arméniens, des Kurdes mais aussi des Turcs. C'est un récit haché dont nous sortons grandis, mais aussi pessimiste voire triste. Les civilisations se succèdent à coup d'injustices et de massacres et la narratrice ne peut rien y faire sauf à écrire ce roman avec ses multiples personnages qui, tous, se débattent comme ils peuvent. La littérature comme dernier rempart, ou comme une chimère, la dernière avant les ténèbres.
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Un gros coup de coeur pour l'excellent roman de Valérie Manteau , le Sillon, un très beau livre émouvant reflet du désespoir humain ...où l'auteure avec une écriture féminine, légère et fluide va nous entrainer dans le tourbillon, de son histoire d'amour autobiographique entremêlée d'une enquête sur le journaliste Hrant Dink assassiné en 2007 pour avoir rêvé la paix, devant les locaux de son hebdo «Agos» (le sillon, en français), par un nationaliste turc de 17 ans .
Un roman brillant, où la fiction s'abreuve de la réalité et où la réalité se nourrit de la fiction... Une auteure impartiale, qui dénonce la situation terrible d'un pays.
Un pays en proie à la dictature et à l'intégrisme, un pays où les droits de l'homme s'étiolent au fil du temps, un pays où la liberté d'expression n'existe quasiment plus
L'héroïne française quitte la France peu après les attentats de Charlie Hebdo et s'installe à Istanbul pour retrouver l' homme qu'elle pense aimer. Là, elle est envoutée par cette ville qui l'enveloppe , la fascine, l'angoisse, l'avale dans ses entrailles et lui transmet sa peur frénétique et ses folies.... Elle se met à arpenter les parcs, les rues et cumule les rencontres , L'histoire d'amour défile sous nos yeux mais les élans du coeurs et les mouvement des corps font corps avec le coeur de la Turquie, l'ombre de Hrant hante ses nuits prenant la place de son amant , Istanbul , objet de ses fantasmes, Istanbul la fascinante et la romanesque au brassage multiculturel se teinte d'un voile de danger
On ressent les émotions de l'auteure, ses doutes, ses questionnements, ses déchirements intérieurs, on serre les poings avec elle, on vibre, on se révolte et on trace des sillons à l'image de ces hommes et de ces femmes, le roman se fait journal intime, quête personnelle, sentimentale et se double de cette enquête minutieuse socio politico journalistique Humaine
.

A lire absolument ... Et si vous l'avez-vous lu, qu'en avez-vous pensé, j'attends vos avis.
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"Le sillon" n'est pas un livre facile à résumer. Se situant à mi-chemin entre le roman et l'essai, on peut le qualifier de "docufiction". L'auteure, ancienne journaliste à Charlie Hebdo, s'est inspirée d'une année passée à Istanbul pour se lancer dans l'écriture de cet ouvrage. Comme la narratrice du roman, la journaliste avait tout à découvrir de cette ville et ses habitants. Dès le début du roman, nous entrons en immersion dans la ville. Au fil des déambulations diurnes et nocturnes de la narratrice, nous découvrons la géographie d'Istambul, son histoire. Assez vite, nous sentons le climat de tension qui y règne et la violence perpétrée par l'état.

La narratrice s'intéresse au journaliste arménien Hrant Dink, qui a été assassiné en 2007 par un jeune adolescent turque, qui n'a sans doute pas agit seul. le journaliste était menacé, son idéal de paix dérangeait l'état. Sans mener à proprement parler d'enquête, la jeune femme échange avec les turques, se rend sur la tombe du journaliste, lit ses textes. Elle s'intéresse à la cause des arméniens et à celle des opposants du régime en place.

J'ai lu "Le sillon" avec quelques difficultés, manquant de références géo-politiques pour tout comprendre. Je suis toutefois ressortie de ma lecture moins ignorante qu'en y entrant (c'est déjà cela). La narratrice exprime le regret que la France, trop nombriliste, ne s'intéresse pas beaucoup à la Turquie . En ce qui me concerne, il est certain que je serai désormais plus attentive à ce qui s'y passe. Je dois dire par ailleurs que Valérie Manteau m'a donné envie de visiter un jour cette ville, qui me paraît aussi belle qu'attachante.

Une lecture assez exigeante.
Lien : http://www.sylire.com/2018/0..
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brouillon ennuyeux où l'on vit de tristes histoires en Turquie où la politique fait peur.
abandonné !
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Le sillon, c'est celui qui recueille le "sang impur" évoqué dans "La Marseillaise" (l'auteure vit entre Marseille et Istanbul !), mais c'est aussi la traduction de "Agos", le nom du journal fondé par Hrant Dink, écrivain turc d'origine arménienne aux positions pacifistes assassiné en pleine rue par des nationalistes.
C'est ce destin-là que la narratrice-auteure, Française installée à Istanbul, tente de saisir en déambulant dans une ville coupée en deux par le Bosphore, tiraillée entre ses deux identités, européenne et asiatique, en multipliant les mises en abîme...
De cette Constantinople déchue où plane comme une ombre menaçante le génocide dont on ne doit pas prononcer le nom, où l'on tait ses origines par peur de se retrouver en prison, où la moindre publication peut vous valoir un procès, la narratrice fait le tour, avec un ton ironique et précis, suivant les écrivains au tribunal, portant haut les contradictions d'un pays étouffé par la censure et écartelé par ses minorités opprimées. Elle passe ses journées au café pour écrire, passant d'une rive à l'autre, interrogeant ses connaissances et amis aussi bien que les garçons de café, rendus mutiques par la peur et la paranoïa.
"Le Sillon" c'est le roman vrai des grands auteurs turcs persécutés, tels Elif Shafak (La Bâtarde d'Istanbul), Orhan Pamuk ou encore Asli Erdogan, des objecteurs de conscience, des journalistes et dessinateurs de "Charlie Hebdo" morts pour la liberté, de tous ces héros qui se battent contre la censure et les extrémismes religieux avec leur plume.
Sur ce, je m'en vais de ce pas lire La Bâtarde d'Istanbul !
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Le Sillon, c'est le nom du journal, Agos, fondé par le journaliste Turco-Arménien Hrant Dink, assassiné en 2007.

Le sillon, c'est celui que trace Valérie Manteau, celui de la résistance et de la liberté.

Dans Istanbul, où elle rejoint l'homme qu'elle aime, la narratrice, double romanesque de l'auteure, croise les figures de la résistance, ses hommes et ses femmes de culture, opposant(e)s au régime ubuesque d'Erdogan.

C'est touchant et révoltant à la fois. Touchant par la sincérité de la narratrice dans ses relations avec la ville et ses habitants. Révoltant par l'inertie générale qui conduit le pays dans les mains d'un mégalomane fou furieux.

La narratrice s'attache donc à la figure de Hrant Dink dont elle veut raconter l'histoire, celle de son engagement pour la paix.

Nous la suivons et découvrons Istanbul dans une joie chaotique et survoltée, avant que le pays chavire. Cette charnière dramatique accompagne sa relation amoureuse qui se délite au rythme de l'effrayant basculement de la Turquie vers le régime dictatorial qui entend faire taire tous ceux et toutes celles qui voudraient lui résister. Procès, exil, mort.

L'écriture de Valérie Manteau est fluide, nous dit l'urgence et l'engagement.

Elle dit aussi la colère et la révolte.

Profondément touchant, ce livre nous conte notre époque. Il fait écho, en cette rentrée littéraire, au recueil de nouvelles paraissant chez Emmanuelle Collas, écrit par Salahattin Demirtas, opposant à Erdogan, actuellement emprisonné.

Le Sillon est un magnifique hommage aux esprits libres, de Turquie et d'ailleurs, et l'un de mes gros coup de coeur de la rentrée.
Lien : https://bonnesfeuillesetmauv..
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La Turquie sous la coupe d'Erdogan par les yeux d'une française amoureuse d'Istanbul. Hommage à ceux qui se battent contre l'arbitraire et y laissent leur vie, comme Hrant Dunk, créateur d'"Agos" (le sillon) 1er journal bilingue turc-arménien, assassiné par un nationaliste en pleine rue à Istanbul en 2007.
Une écriture comme une errance à la recherche de la liberté, avec une sacré force derrière la finesse de la suggestion.
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La 4ème de couverture ne rend clairement pas hommage aux qualités de ce livre. On est loin d un roman qui se focaliserait sur la relation d'une femme et de son amant turc. Ce roman nous plonge dans la Turquie contemporaine, celle des démocrates, des intellectuels, des artistes mais aussi celle de la violence, de la corruption et des assassinats politiques impunis. La narratrice a pour projet d écrire un livre sur Hrant Dink, journaliste et écrivain assassiné en 2007. Ce qui frappe dans tous les témoignages qu'elle recueille pour son ouvrage, c est l'amour de ces personnes pour leur pays et pour la ville d'Istanbul. On a l impression qu'ils aiment plus leur pays que lui-même ne les aime. Ils vivent une souffrance physique, sociale et morale quotidienne mais ne se résolvent pas á le quitter, sauf pour certains dont le désespoir a fini par atteindre leurs limites. En conclusion, un très beau livre, touchant et érudit dont on sort avec une furieuse envie de voyage en Turquie...malgré tout !
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Une jeune femme un peu paumée vient vivre à Istanbul afin de poursuivre une liaison plutôt improbable avec son amant turc. Mais au fil de son errance dans la ville, elle se glisse peu à peu dans les pas de Hrant Dink, journaliste turc d'origine arménienne, abattu en 2007 par un nationaliste turc de 17 ans.
Fondateur du premier journal bilingue turc-arménien "Agos", Hrant Dink fut le porte-parole le plus emblématique de la cause arménienne en Turquie, un profond humaniste, défenseur actif de la liberté d'expression.
Le roman revient sur son histoire jusqu'à prendre par moments des allures de documentaires. La narratrice mène son enquête, décrit les événements chaotiques qui ont marqué ces dernières décennies dans ce pays décomposé, qu'elle essaie de comprendre. Attentats, parodies de procès, manipulation et duplicité de l'état turc et puis surtout cette peur constante… le dernier éditorial de Hrant Dink avant de mourir s'appelait "le coeur inquiet des colombes". Et l'auteur que je cite de rappeler que : "les contes turcs commencent par la formule 'il fut, il ne fut pas', ça donne une idée du bouillon d'insécurité dans lequel baignent les rêves dans ce pays."
J'ai adoré cette plume tranchante et pertinente. D'autres passages sont tout simplement bouleversants de grâce et de poésie. Et au coeur du tragique toujours, des touches d'humour lumineuses.
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