Des gens traversent des continents pour aller en pèlerinage à quelque statue miraculeuse, -- moi, j'ai porté mes dévotions à la Vénus de Syracuse!
Dans l'album d'un voyageur, j'avais vu la photographie de cette sublime femelle de marbre; et je devins amoureux d'elle, comme on est amoureux d'une femme. Ce fut elle, peut-être, qui me décida à faire ce voyage; je parlais d'elle et je rêvais d'elle à tout instant, avant de l'avoir vue.
Ainsi les poètes, impuissants décrocheurs d'étoiles, ont toujours été tourmentés par la soif de l'amour mystique. L'exaltation naturelle d'une âme poétique, exaspérée par l'excitation artistique, pousse ces êtres d'élite à concevoir une sorte d'amour nuageux éperdument tendre, extatique, jamais rassasié, sensuel sans être charnel, tellement délicat qu'un rien le fait s'évanouir, irréalisable et surhumain.
Elle est grasse, avec la poitrine forte, la hanche puissante et la jambe un peu lourde, c'est une Vénus charnelle, qu'on rêve couchée en la voyant debout. Son bras tombé cachait ses seins; de la main qui lui reste elle soulève une draperie dont elle couvre, avec un geste adorable, les charmes les plus mystérieux. Tout le corps est fait, conçu, penché pour ce mouvement, toutes les lignes s'y concentrent, toute la pensée y va. Ce geste simple et naturel, plein de pudeur et d'impudicité, qui cache et montre, voile et révèle, attire et dérobe, semble définir toute l'attitude de la femme sur la terre.
En pénétrant dans le musée, je l'aperçus au fond d'une salle, et belle comme je l'avais devinée.
Elle n'a point de tête, un bras lui manque; mais jamais la forme humaine ne m'est apparue plus admirable et plus troublante.
Les reins, surtout, sont inexprimablement animés et beaux. Elle se déroule avec tout son charme, cette ligne onduleuse et grasse des dos féminins qui va de la nuque au talon, et qui montre, dans le contour des épaules, dans la rondeur décroissante des cuisses et dans la légère courbe du mollet aminci jusqu'aux chevilles, toutes les modulations de la grâce humaine.
Paul fournel Imagine Claudine - éditions P.O.L -Où Paul Fournel tente de dire de quoi et comment est composé "Imagine Claudine" son nouveau recueil de nouvelles et où il est question de Claudine et de Chamoison, De Maupassant et Jean-Noël Blanc, du plaisir d'écrire des nouvelles et de la page blanche, à l'occasion de la parution d'"Imagine Claudine" aux éditions P.O.L à Paris le 29 avril 2024
"Le temps passe, le village change. La ville se rapproche et Claudine devient riche.
En ville, être riche c'est aller au massage, se faire livrer à manger par de jeunes cyclistes, c'est faire les vitrines chaque jour, c'est porter une robe différente par semaine, c'est aller au restaurant quand ça vous chante, c'est arrêter un taxi d'un geste de la main.
Au village, être riche consiste à cacher son argent et à s'arranger pour donner des imaginations, des envies et des jalousies sournoises à tout le monde.
Entre les deux, Claudine hésite."
+ Lire la suite