TERRES DECLIVES,
FLEUR DE FUMEE
Hommage au dictionnaire
Le dictionnaire est notre voie lactée,
chemin de saint Jacques à portée de la main,
poudre des mots mesureurs de destins,
quelquefois mercenaires,
stèles alignées sur la chaussée des nains
pour enjamber les isthmes
et passer à pied sec ;
mottes retournées d’une terre en labour
en attendant que notre offrande hiverne.
Inexhaustible contenance de l’l’Alpha
et l’Oméga couronne
jusqu’à l’épuisement,
la totalité des consonnes.
Nulle voyelle ne se perdra,
ni le moindre apex, le moindre iota,
la moindre étincelle.
Sous le grand Réverbère
où le soleil lui-même s’accroche et périra,
l’Allumeur les râtelle.
Tout l’alphabet est sa gloire isocèle
p.70
TERRES DECLIVES,
FLEUR DE FUMEE
La rose
Le printemps me propose une rose inédite,
C’est la munition de l’infini voyage…
L’adjectif est de trop. Est-il besoin
de dire ce qui n’a pas de mot ?
La rose dit l’éternité
quand elle se fane
et restitue le temps profane
qui fit l’éclat de sa beauté
Bref sillon pour Angelus Silesius
p.72
TERRES DECLIVES,
FLEUR DE FUMEE
Martinet sous l’orage
Dans le vif format du cri
l’éclair ébauche comme une aile,
sourire de feu cousant l’espace
la fleur cuisante de ses lèvres.
Un bref éclat détache
jusqu’à nous
un moellon d’éther, un brûlot.
À l’envers des nuages
il est brutalement minuit.
Par une déchirure fugace,
la trouée du bleu,
l’oiseau rejoint son cri,
s’efface
dans le feu.
Puis le jour remonte en lumière
et la forêt gravide
appuie sur la clairière
son ventre de feuilles et de mots.
p.62
TERRES DECLIVES,
FLEUR DE FUMEE
Peregrinans
IV
Je simule un poème,
le baptise d’un nom latin
comme la fleur qu’on apprivoise
espérant de l’herbier
un bouquet – pour demain…
Je tire du cocon du temps
un fil de soie
vers la troisième rive
et les quatre saisons
souhaitant que le verbe
reverdisse et revive
mais le chant du pinson dans le champ d’à côté,
dans le coton du temps,
dans sa brume légère
est si plénière offrande
que je suspens mon geste
au bord de la glaisière.
p.68
TERRES DECLIVES,
FLEUR DE FUMEE
Peregrinans
III
Par souci de l’usage, par abus de langage,
un poème convoque
l’œil, l’astre et le fruit,
la braise incandescente,
la flamme sous l’averse,
le chardon refroidi
et la chair de novembre.
Quand l’arche a trouvé son appui
on croit saisir un bonheur stable
comme au temps de l’été
où le plaisir s’attable,
où chacun cherche à reconduire
ce moment que la mort ensemence
pour que la vie se remette à luire
p.67