Eleni est sur le seuil de la maison, Elle agite ses bras levés. Comme le faisait la petite fille égayée du n° 16, au coron.
Lentement, ils marchent l'un vers l'autre. Ce n'est pas la surprise surjouée, la passion des retrouvailles, les violons. C'est la conscience se reprendre une attache authentique, de retourner une fois encore au métier à tisser ce lien affectif, qui s'est étoffé, discrètement, avec les années. Avec, cependant, une couleur nouvelle, un vibrato. Quelque chose de naissant.
Les volets de la maison s'entrebâillent sur un jardin en jachère, et sa friche enherbée. Le massif de gardénias, la pergola déglinguée, le large banc de pierre et ses fantômes. Dans celui d'Ekatérini, la grand-mère. Eleni raconte. Le chapeau de paille. La tête penchée sur ses mains noueuses, à l'écossage des fèves.
Thomas l'écoute, et déjà, le métier à tisser repart.
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La maison de famille, on le sait, fait couler beaucoup d'encre. Noire, bleue à l'âme ou joie claire, c'est selon.
On fait corps. Séparatrice des mondes. Bruits familiers. Odeurs marquantes. Berceau. Rempart. Dedans meublé de soi et d'entre-soi. Déchirure et couture. L'attribution des chambres. Les rôles imposés. Le dedans, plutôt pour les femmes. Le dehors, plutôt pour les hommes. Et puis aussi, les moments solaires. Les tablées festives sous la tonnelle, celle de la pâque orthodoxe. L'agneau à la broche, le son du bouzouki, les histoires à broder, les rires en cascades.
La maison de famille et son enveloppe.
L'architecture, son look, sa mode, son côté "air du temps". Vitrine de ce qu'on est. Reflet de ce qu'on a.
Un feuilleté de mémoire qui, couche après couche, nous rappelle ce goût d'intimité, pareille à nulle autre.
Quand le deuil n'est plus un poids mort, un boulet à tirer, qu'il devient un muscle battant à l'intérieur de notre corps, peut-être abordons-nous ce seuil, où le corps de l'être aimé reste à demeure, en nous, en paix, aussi longtemps qu'on pourra s'en souvenir. En attendant, Thomas ignore encore, ce que lui réserve son passé.