La vie de Joe Gould valait bien un roman ; bien qu'au départ ce fut un article paru dans le New Yorker, parmi les nombreux portraits de marginaux, petites mains et autres oubliés de New York auxquels l'auteur Joseph Mitchell a consacré toute sa carrière.
Pourquoi plus que tout autre ce vagabond sans le sou qui écumait les bars et trous à rats de Greenwich Village a retenu l'attention de l'auteur ?
Certainement parce qu'on a affaire à un personnage énigmatique, fantasque et pittoresque. Une relique des Temps anciens du mouvement bohème animée par la certitude d'une gloire posthume pour l'oeuvre qu'il s'évertue à rédiger fanatiquement chaque jour de sa vie. Plus qu'une simple oeuvre, une véritable odyssée littéraire : « il se peut que les gens lisent l'Histoire orale de Gould pour comprendre ce qui allait de travers chez nous, tout comme nous lisons l'Histoire de la décadence et de la chute de Gibbon pour comprendre ce qui allait de travers chez les Romains. » Une oeuvre donc colossale, voire légendaire personne n'ayant eu l'occasion de la feuilleter, pas même les cercles littéraires et artistiques de New York avec lesquels Joe Gould était familier.
C'est donc armé d'une patience prodigieuse et d'un sens aigu de l'observation que Joseph Mitchell a suivi pendant quinze ans ce curieux petit bonhomme qui étale orgueil et goût pour la mise en scène. Avec une sincérité remarquable, le journaliste américain a su mettre à nu un homme meurtri dans l'enfance qui n'a pas réussi à trouver à l'âge adulte d'autres défenses que la prétention, la désinvolture et la marginalité. Un homme en perpétuelle errance à laquelle seule l'obsession de l'écriture peut donner un sens.
Sur la base des conversations et de son intuition, Mitchell nous offre un portrait fouillé certes mais avant tout un portrait élégant, contrastant fortement avec la personnalité de Joe. Si ce dernier est arrogant et excentrique, Mitchell reflète l'image d'un homme discret, constant et serein. C'est peut-être cette dissemblance que l'on retrouve dans la tonalité de l'écriture qui m'a séduite, une tendresse distante par laquelle l'auteur accumule certains détails par endroit pour en écarter d'autres ailleurs. Cette faculté de se mettre à hauteur d'homme pour mieux écouter quelqu'un qui a choisi une forme de retrait au monde. Dans le texte cela se traduit par l'absence d'artifice, pas d'omniprésence du ressenti, le journaliste a su se tenir à bonne distance de toute forme d'impudeur. Simplement un style ferme et une certaine ténacité pour peu que l'on cherche à masquer la vérité ou que l'on joue les imposteurs.
Ce bouquin fut un réel plaisir de lecture, d'abord en raison de la personnalité fantasque de Joe Gould : il n'a rien du héros mais sa singularité attire la curiosité. Et au-delà du personnage, J. Mitchell a su mêler avec une étonnante aisance les observations d'un journaliste avec l'empathie créatrice d'un auteur de fiction. Il ne s'efforce pas de rendre plus romanesque une vie qui l'était déjà largement, il ne fait pas de ce clochard « sa créature ». Il a simplement une incroyable capacité à mettre en roman ses observations et citations, un style qui, attaquant le réel par la fiction, vient conforter l'idée que toute biographie est nécessairement une fiction au regard du rôle de l'écrivain dans la construction.
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J'ai toujours un petit faible pour les vieux fous errants. Croisés sur le bord de la route, les rides striant un visage à la peau tannée et souillée, scarifications laissées par le temps, une pour chaque décennie. le crane luisant ou arborant la coupe de savant fou avec une barbe masquant partiellement une bouche ou l'ivoire est en voie d'extinction.
Que font-ils à la rue, quelle est leur histoire, quels sont leurs secrets, leurs combines pour la débrouille, leur lien à la société, d'où puisent-ils la force de survivre à la street et à l'indifférence générale ?
Pour en avoir côtoyé quelques-uns lorsque la curiosité insatiable de l'adolescence pousse à en savoir toujours plus, j'ai retrouvé en ce bouquin étonnant des échos d'adolescence à partager de la bière tiède et bon marché en échanges de sornettes, morceaux de vie, prophéties séniles, traits philosophiques ou anecdotes d'un autre temps en compagnie de ces clochards célestes.
Si j'avais vécu du temps de Joe Gould, je n'aurais pas hésité à approcher l'bonhomme au costard trop large, puant l'tabac froid, le gin et la malice, écrivant avec célerité et obstination. Quoi de plus pour éveiller la curiosité, franchement ?
Affublé d'un cartable en cuir souillé par la vie urbaine de ceux qui ont pour plafond la voie lactée, le petit homme passe sa vie à écumer les rades de Greenwich Village, et la menue monnaie de ses connaissances pour lutter contre ses « trois tourments constants : pas de toit, rien à se mettre sous la dent et des gueules de bois à répétitions. » Notre Joe Gould en plus d'exceller dans l'art de la répartie et l'imitation de la mouette noircit des kilomètres carrés de cahiers de brouillons bons marché, couchant avec un acharnement inouï l'Histoire Orale, oeuvre de sa vie, décrivant la société à travers les pans de vies qu'il a collecté en 25 ans de pérégrination bohème.
Je ne peux que vous implorer à plonger dans la vie insolite farci de rouerie, de cet allumé crassou, de ce scribouillard excentrique qui décide de vivre à la rue après avoir été diplômé d'Harvard, dont la quête d'une oeuvre sans précédent va devenir le fil rouge d'une vie de mendiant et d'une renommée locale retentissante, et dont je partage désormais le plus grand secret.
Joseph Mitchell nous apporte ici un témoignage précieux, fruit d'une rencontre bouleversante et d'une quête éreintante en sauvant de l'oubli un personnage dont l'éclat et le génie est à la hauteur de son oeuvre.
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Une rencontre que je ne suis pas près d'oublier avec ce personnage vertigineux qu'est Joe Gould. L'auteur, Joseph Mitchell s'intéresse pour un article de presse à un marginal local, relique d'une autre époque, sur qui tout le monde a une anecdote plus ou moins sympathique à raconter. Ainsi, sur le squelette de cette simple première impression, prendra chair au fur et à mesure des pages et des conversations, un homme aussi attachant qu'insupportable, insaisissable, agaçant, émouvant.
J'ai été touché par la thématique du « rôle » que chacun joue dans la vie. Les masques que l'on enfile afin d'exister ou même simplement survivre, afin de correspondre à ce qu'on attend de nous lorsque l'on manque de confiance en soi, jusqu'à parfois oublier d'enlever ce masque et devenir ce personnage pendant quelque temps, puis affronter le vertige d'être démasqué…
Ce livre est donc un hommage à la vie dirais-je pour être positif, qui nous démontre à travers Joe Gould qu'elle trouve toujours un moyen plus ou moins conventionnel pour exister, même lorsque les conditions sont hostiles.
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Salman Rushdie voit le Secret de Joe Gould comme «une merveille, à classer au même rang que les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature» [...]. Malgré son humour, le livre se déroule dans une atmosphère d’une grande tristesse.
Lire la critique sur le site : Liberation
"J'ai perdu depuis longtemps le goût pour le bon café. Je préfère de loin le genre de café dont la consommation régulière fait que les mains se mettent tôt ou tard à trembler tandis que le blanc des yeux vire au jaune."
En hiver, je suis bouddhiste, et en été, je suis nudiste.
Joe Gould.
L'émission "Le coup de coeur des libraires est diffusée sur les Ondes de Sud Radio, chaque vendredi matin à 10h45. Valérie Expert vous donne rendez-vous avec votre libraire Gérard Collard pour vous faire découvrir leurs passions du moment !
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