Après les manchots de
la Fonte des glaces, les grands prédateurs de ce Zoo des Absents… Où l'on retrouve avec plaisir la veine satirique de
Joël Baqué, sans doute la tonalité qui convient le mieux à son écriture. Certes, le récit est hanté comme la plupart des textes de l'auteur par le thème de la solitude, une solitude qui appartient sans doute à l'expérience personnelle de l'écrivain, une solitude génératrice de mélancolie, une condition qui handicape parfois fortement la vie du protagoniste et le pousse alors à préférer, comme le Louis de
la Fonte des glaces, la compagnie des bêtes à celle des humains. Mais si ce thème était central dans
L'Arbre d'obéissance, avec son héros à la vie particulièrement ascétique au milieu d'un paysage de désert, il passe ici au second plan, l'intrigue s'attachant à explorer les modalités de notre relation aux animaux, dénonçant avec une vraie joie malicieuse les ridicules des excès militants de certains antispécistes, tout en célébrant quelquefois, au détour d'une caresse, la tendresse qui peut occasionnellement nous lier aux bêtes, comme lorsque René, qui « ignorait que les rats ronflassent » (jolie concordance des temps allitérative, le genre de formule qui vous fait adorer le style espiègle de Baqué !), est frappé d'un coup de foudre pour le rat Romulus, découvrant qu'il ronronnerait presque comme un chat…
René est un comptable (ayant fait carrière dans une charcuterie industrielle, un passé qui ne passera pas complètement dans l'histoire…) à la retraite, un homme d'ordre et de principes, plutôt chiffres que lettres, sudokus que mots croisés. Plusieurs fois divorcé, un brin « coincé », il mène à Béziers une vie de grand solitaire, jusqu'à sa rencontre à la caisse d'un supermarché avec Stella, une jeune caissière qui l'embarque dans une discussion autour du veganisme, puis l'invite à assister le soir-même à une conférence sur l'antispécisme. D'abord réticent, René s'y rend, se prend d'amitié pour Lison, une militante antispéciste, professeure de philosophie morale et spécialiste du bien-être animal, qui le fascine, découvre les débats qui opposent simples sympathisants de la cause animale, végans et antispécistes, radicaux du mouvement L214. Dès le lendemain, sa vie s'organise autour de ces questions, si nouvelles pour lui, et brusquement, parce qu'elles sont aussi au centre des discussions avec ses nouvelles amies, Lison et Stella, si essentielles. Son destin de paisible retraité bifurque, empruntant les voies d'une aventure qui le mènera jusqu'en Suisse et à la création d'un improbable zoo…
Dès les premières pages, le lecteur tombe sous le charme de cette comédie, conquis par le regard faussement candide de René, son appréciation ironique des travers de tous ces fous de la cause animale, ses rêves rocambolesques (rien à voir, pour le coup, avec les rêves sans saveur ni logique émaillant le dernier
Houellebecq !) tirant la leçon de ses rencontres quotidiennes avec le monde des bêtes. Mais au-delà du plaisir comique qu'il propose, le roman est aussi le lieu d'un questionnement sur notre rapport aux autres êtres vivants, sur les limites de la prédation, et si
Joël Baqué se garde de tirer morale de l'aventure, il ouvre de larges horizons à notre réflexion. Une petite fable mêlant le rire à la sagesse, quoi de mieux pour commencer 2022 ?