Une collègue de travail croisée dans la cour, me dit : « je viens d'achever un bouquin, c'est mon plus grand coup de coeur de l'année, je te le prête ! ». Me voilà partie avec
Les gens dans l'enveloppe, objet littéraire étrange dont je n'avais jamais entendu parler, à la fois roman et enquête, musique et chansons.
L'auteur,
Isabelle Monnin, achète sur internet un lot de photos et reçoit quelques jours plus tard une enveloppe avec plus de 250 photos d'inconnus. On trouve, au milieu du livre, quelques-unes de ces photos de famille, celles qui ont inspiré l'auteur, Polaroïds jaunis des années 70 qui rappellent à tous les gens de ma génération des souvenirs d'enfance : les scènes ordinaires d'une vie de famille, un petit pull tricoté mains à rayures porté par une fillette souvent photographiée entre ses grands-parents, des prés, des animaux domestiques... Des adultes entourent l'enfant, mais jamais trace d'une femme assez jeune pour être sa mère. Ces clichés vont inspirer l'auteur qui élabore un récit dont trois femmes vont constituer le centre, dont les voix vont se succéder pour évoquer l'absence, l'abandon, la séparation.
Laurence d'abord, la fillette, est narratrice. Elle raconte le départ soudain, violent de sa mère qui sans un mot est partie, loin, en Amérique du Sud et qui plus jamais ne donnera signe de vie – laissant un vide, un trou béant, un gouffre dans le coeur de l'enfant et de son père. Laurence attend son retour, espère que la sonnerie du téléphone résonne, va jusqu'à choisir comme cadeau un répondeur, tant elle craint de louper son appel. Toute vie suspendue, interrompue, mise entre parenthèse, Laurence est une fillette solitaire, abîmée par l'abandon. Ni l'affection de mamie Poulet, ni les longues promenades dans la forêt ne panseront cette plaie.
Puis, c'est Michelle dont nous suivons les pas, la maman de Laurence. La jeune femme pense trouver en la personne de Serge, un sauveur, celui qui l'extraira de son quotidien étriqué, elle espère la lumière, un avenir prometteur. Las, Serge lui propose l'usine, les weekends à la ferme des beaux-parents, les promenades toujours les mêmes, les vacances au camping … Elle s'étiole, asphyxiée par la routine et l'absence de possibles. Alors, elle enfourche la vieille mobylette de son père et conduit à contresens, coupe les virages, espère dans le danger se sentir vivante. Aussi, quand Horacio intègre l'usine, qu'elle croise son regard et ses promesses, elle va résister un peu mais pas trop.
Enfin, il y a mamie Poulet que l'on accompagne dans son déclin, dont on découvre aussi les béances, les blessures de l'amour contrarié, des abandons vécus et refoulés qui reviennent au galop en fin de vie…
Je suis sortie étrillée de cette première partie, disons-le ! le style poétique, évocateur, tout en finesse magnifie ces histoires d'une tristesse infinie. le coeur noué, j'ai eu l'impression qu'
Isabelle Monnin chuchotait à mon oreille combien le sentiment de solitude pouvait s'insinuer au plus profond de chacun mais qu'aussi elle me rappelait combien peut être douloureuse notre propre finitude.
Puis, j'ai attaqué la seconde partie, celle où l'auteur part à la recherche des lieux et des personnages de son roman. Rassérénée, je pensais sortir de l'émotion, plonger dans une enquête de type ethno et visiter le Doubs des années 70, le tout agrémenté d'épisodes d'une famille française moyenne, ordinaire (rien de connoté négativement ici), comme la mienne. Mais, dès qu'Isabelle, venue visiter incognito la maison de Clerval où les photos ont été prises, se retrouve face à Michel (Serge), l'émotion nous rattrape et à nouveau j'ai la gorge qui se serre. le travail mené ensuite avec les véritables protagonistes, l'intrusion du réel, la confrontation avec l'histoire imaginée par l'auteur est également remarquable d'intelligence, d'humanité et de pudeur. Chacun se dévoile, mais pas complètement, réapprivoise sa vie et ses souvenirs, exprime ses regrets et souffrances mais pas seulement.
Les gens dans l'enveloppe, c'est aussi une réflexion profonde sur les ressorts de la création, sur les processus d'écriture et l'inspiration, les rapports d'un auteur avec ses personnages. Magnifiques histoires, démarche littéraire innovante, style impeccable. Il ne faut pas rater ce très beau livre.