Avec ces
Pierres d'attente,
Martine Morillon-Carreau affirme la minéralité de son écriture poétique sous le patronage d'
Héraclite ("La foudre gouverne toutes choses", en exergue du recueil).
La première partie explore une énigme : l'humain jeté dans l'univers, le transitoire et le précaire au sein de la permanence :
" La dureté pérennité
des pierres
pour rassurer
peut-être
nos pas
sans permanence "
Le sentiment cosmique fait progressivement place à une recherche plus proche de nous, celle d'enfants en bord de mer : la rencontre innocente du premier matin et l'étonnement qu'inspire au jeune vivant la pétrification du temps.
Ce monde passager transformé en pierre, quel matériau plus étonnant que les paesine le représenterait ? La poétesse se souvient d'avoir découvert à Paris ces marbres toscans où le hasard géologique ne révèle qu'au polissage l'organisation du monde en paysages qui semblent se jouer de notre naïve recherche d'une logique de la contingence. Puis, dans un second volet, elle cherche la parenté indéfinissable du visage et de certains galets.
Les vers ciselés, taillés court et ferme, y alternent encore avec des photographies où les creux des galets revêtent un aspect tantôt inquiétant, tantôt résigné. La neutralité des pierres prendrait-elle sens ? Dans l'impersonnel, se trouve-t-il une intention ? Ou bien de telles questions ne se poseraient-elles qu'aux hommes et aux femmes en mal de signes, projetant sans cesse sur le vide leur soif aberrante de significations ?
De telles interrogations archaïques conduisent les poèmes à charrier la mémoire de l'érosion, à invoquer l'histoire en quelques échos ancestraux :
" on se demande
par quels anciens rites
et très lointains
leurs déformations
patientes "
Ces poèmes semblent le reflet verbal de la pierre. Non descriptifs, mais comme transcrits du minéral, à l'instar d'un
Francis Ponge choisissant ses termes au plus près et pour ainsi dire à même le sujet, afin d'écarter
le parti pris des choses.
Martine Morillon-Carreau donnerait, en quelque sorte, une existence dans la langue à ce qui, en soi, lui reste à jamais inaccessible : au sein de l'être, le règne minéral n'apparaît-il pas le plus compact, le moins susceptible d'acquérir la légèreté fugace des mots ?
" Son éternité perdue
Aux érosions du hasard "
Dans le mouvement essentiel de la poésie,
Pierres d'attente va de l'éternel et de l'immense vers le proche et le maîtrisable. L'homme est la mesure de toutes choses.
" Au commencement
Jaillis du combat des pierres
L'instant l'étincelle "
La démesure de l'ici se résout à la fin dans la modestie du sentiment enfantin :
"L'enfant garde en poche
Un galet tête de cri
deux fleurs d'immortelle "
L'infini dans la finitude. Ô, sagesse du poète !