« A chaque fois que je referme un livre en me disant que ce qui se passe au-delà des frontières de mon petit pays, ce sont des histoires exotiques de barbares, je prends partie pour le camp des bourreaux.
L'indécence commence là.
(…)
Si tu peux te coucher, ce soir, en te disant qu'il faut passer à autre chose, c'est avouer que chacune de ces morts n'a rien de politique.
Ne me demande pas alors de passer à autre chose.»
Les relents de la mort vont et viennent, incessants. Ils ricochent, ils tachent, ils imprègnent irrémédiablement les synapses, ils obnubilent ; enfin ils aliènent. Comment revenir d'entre les morts ? Quel pouvoir a l'image face à l'horreur que l'on refuse de voir ? Peut-on, doit-on faire sauter la chape de plomb qui nous écrase les paupières ? Toutes ces questions nous éclaboussent à la lecture de
Shell Shock, elles nous sautent à la gorge avec la même violence que les mots qui nous mettent à terre.
Magali Mougel écrit pour le théâtre, pour la scène. Pour dire, pour mettre en voix ce que l'on voudrait taire, pour que prenne corps l'indicible.
Rebecca est revenue d'outre-tombe. Depuis qu'elle a bouclé son reportage en Irak, depuis les cadavres et l'horreur, depuis l'insoutenable, elle tente de surnager. de préparer l'anniversaire de sa fille, d'organiser son quotidien comme si tout allait bien, tout en étant incapable de fermer les yeux. Les rétines imprégnées du visage de Hayat, cette fillette restée là-bas, tombée là-bas, elle devient sourde aux relances de son rédacteur, elle est assaillie par les fantômes de Bagdad, rongée par l'injustice et le silence.
Shell Shock est un texte polymorphe, tantôt monologue lancinant, tantôt mélopée polyphonique. La structure est abstraite, sèche et virulente.
Magali Mougel a le verbe martelé, le rythme au bout de la plume. Ecrite pour la scène, cette oeuvre est intrinsèquement vivante ; elle est aussi dure que juste. Elle prend au corps, frappe en plein coeur.
Ouvrage reçu dans le cadre d'une masse critique Babelio, que je remercie du fond du coeur, ainsi que les éditions Espace 34, qui ne cessent de m'impressionner par la pertinence et la force de leurs choix éditoriaux.