Existe-t-il un art de faire la sieste ? Sans doute pas. Il existe cependant une manière de témoigner, de parler de ce moment si particulier et si personnel. C'est l'objet de ce ce recueil l'Art de la sieste, très belle anthologie de poésie chinoise.
En Chine, la sieste est dans la tradition et la culture du pays un moment recherché, particulièrement apprécié. Dans la continuité du taoïsme, la poésie célèbre la sieste, ce moment privilégié où l'être se retire des affaires du monde pour se reposer et retrouver l'unité entre le corps et l'esprit.
Parler de la sieste, c'est évoquer le temps qui la précède, le moment de la journée et le sentiment de fatigue qui la rendent propice (l'ivresse due au vin sont de ceux-là) mais aussi un certain regard posé sur soi, sur la nature environnante, une secrète symbiose avec le tout qui enveloppe celui qui est près à s'endormir.
La sieste, c'est aussi le temps du réveil, le souvenir d'un rêve, le retour au monde intelligible et ordonné dans lequel il nous faut reprendre place.
Dans ce recueil, divers textes de nombreux auteurs du 8ème siècle (
Po Chu-Yi,
Chia Tao, Pei Tu) jusqu'au 18ème siècle (
Yuan Mei) sont présentés qui dépeignent avec subtilité et ravissement le moment qui prélude au repos, à l'endormissement mais aussi à l'éveil, au retour de la conscience aux choses.
" Dans la petite cour le vent est frais,
les fleurs des orangers exhalent leur parfum
l'ombre du mur a légèrement tourné, le soleil décline
de la sieste je viens de me réveiller, les livres
me sont sans saveur
accoudé tranquillement à la balustrade,
je sirote du thé amer."*
Le temps qui passe est, avec celui de l'appartenance à la nature et au monde, le thème récurrent de ces poèmes ; les saisons qui se succèdent, la nuit qui approche ou le nouveau jour qui advient, la vieillesse, les souvenirs qui viennent,… Ces poèmes sont composés dans la forme, comme des estampes emplies de sens et d'esprit mais qui révèlent au fond d'eux une sérénité, une nostalgie, une certaine inquiétude aussi.
" L'auvent est à l'ombre, le soleil a tourné
sur le lit une très légère brise
quelques restes frivoles de mon rêve de sieste
accompagnent le chant mélodieux d'un loriot jaune." **
Une mention spéciale aux très belles Éditions Moundarren pour le travail de conception du présent recueil qui en fait un très bel objet en soi mais aussi sur la richesse de leur catalogue spécialisé dans la poésie ainsi que sur la philosophie et la peinture chinoise et japonaise.
(*) Wen Cheng-Ming (1470-1559).
(**) Wang An-Shi (1021-1086)