Filles du ciel

Filles du ciel de Michel Moutot, encore un excellent roman de cet auteur. Il y en a que deux que je n'ai pas lu : Séquoias et Aventurier des glaces, je rattraperai rapidement ce retard. J'aime beaucoup son écriture, que j'ai découvert avec Ciel d'acier, très marquant.

Janvier 1885, Philibert Boucher, travaille seul, personne ne veut faire équipe avec lui, irascible et taiseux. Lui et ses compagnons démontent, la plus grande statue du monde, à Paris. Premier monument en kit de l'histoire, ses trois-cent cinquante pièces de cuivre vont être mises en caisses puis embarquées à Rouen sur une frégate de la marine. "La liberté éclairant le monde", sculpté par Auguste Bartholdi, va être offerte par le peuple français au peuple américain avec dix ans de retard, par rapport à la date prévue.

Pour la remonter à New York sur le minuscule îlot de Bedloe, face à Manhattan, un membre du comité de l'Union franco-américaine, propose à douze volontaires d'accompagner en Amérique "Miss Liberty" et de travailler à son assemblage, aux côtés des ouvriers américains.

Philibert, 1m92, regard de tueur, qui cogne sans prévenir, a le vin mauvais, violent, balayant tout sur son passage, sera dans les premiers volontaires. A trente ans, il vit toujours avec sa mère impotente dans une roulotte décatie, sans roues, ni chauffage, dans la zone au Pré-Saint-Gervais. Une bande de terre inconstructible où se dressent, un amas de de cabanes et de cahutes flottant sur un océan de boue qui ne sèche jamais, même en été, c'est le plus grand bidonville de France. "S'y entassent miséreux, déclassés, vieux sans ressources, immigrants, lépreux, enfants perdus, tziganes, mendiants, infirmes, ouvriers chassés par la spéculation immobilière et les travaux du baron Haussmann, paysans sans terre attirés par le mirage de la grande ville, communards en cavale, déserteurs, chiffonniers, propres à rien, Apaches, voleurs malfrats, et réprouvés."

Arrivés à New York, ils attendront un an pour pouvoir remonter cette immense dame et son flambeau, le socle n'était pas prêt. Certains firent le chemin inverse et d'autres comme Philibert, qui espéraient toucher le jackpot, dans cet immense pays où beaucoup vantaient la facilité de devenir riche, devaient se trouver un autre boulot, vu son gabarit, docker, lui allait super bien.

Par hasard, Philibert et Tëme font connaissance, le premier cherche un logement, le second veut travailler à la reconstruction de la statue, un échange sera trouvé.

Tori, la nièce de Tëme, née dans l'Oklahoma, fait partie du clan du loup. Pour ses vingt-deux ans, selon une tradition secrète passée de mère en fille, elle est retournée en voyage initiatique sur les terres ancestrales, cette baie de New York où depuis un siècle toute trace de la tribu a disparu. "A rebours de l'exode, demi-tour sur la piste des larmes. Accompagnée de son oncle maternel Tëme, qui signifie " loup" en lenape mais que les Américains connaissent sous le nom de Tom, la fille du Ciel va passer trois ans entre Brooklyn, Manhattan et les îles de la baie, pour découvrir, s'imprégner de la terre des Anciens et pouvoir la conter aux prochaines générations, à sa fille en particulier, appelée à lui succéder à la tête du clan. Comme sa mère avant elle, elle a choisi Red Hook, ce quartier de Brooklyn à l'embouchure de l'East River que les Lenapes appelaient Ihepetonga (la langue de sable). C'était là que se brassaient les eaux de l'océan et de la rivière, une grève poissonneuse, giboyeuse, où il faisait bon bivouaquer, l'été, autour du feu de camp et raconter sous les étoiles les mythes et légendes de la création du monde ; l'histoire de la mère originelle, tombée du ciel pour enfanter des jumeaux."

Depuis les choses ont bien changé. Il ne fait pas bon pour la princesse indienne de sortir seule la nuit sans son oncle et protecteur, chef de guerre de la tribu des Lenape. Elle sera ouvrière dans une fabrique de sacs de toile de jute, lui docker sur les quais de Red Hook.

Avril 1886, enfin la statue peu être remonter. En octobre de la même année, deux mille convives seront conviés à l'inauguration, mais seulement deux femmes auront le droit d'y assister, deux françaises : la petite-fille de Ferdinand de Lesseps et Jeanne-Emilie, la femme du sculpteur Bartholdi. " Ils incarnent la liberté universelle par une statue de femme et le public de son inauguration, sur cette île que la presse a déjà baptisée "Liberty Island", sera exclusivement masculin ? Cela ne se passera pas comme ça !"

Le destin de Tori, s'arrêtera à Red Hook, la fille du ciel va mourir. Après avoir ramené le corps à sa soeur, Tëme partira pour Paris où va se construire la fameuse tour de trois cents mètres de Gustave Eiffel. Elle doit être terminée pour l'Exposition universelle du centenaire de la Révolution.

Trois destins qui vont se croiser pour le meilleur et pour le pire, entre 1885 et 1889. Un hymne à Toutes les constructions de Gustave Eiffel, surnommé le "magicien de fer". J'ai plus aimé la première partie en Amérique, ce que je reproche à la deuxième, beaucoup de détails sur toute la structure de la tour Eiffel, des rivets aux poutres, aux barres de fer, mais ce n'est que mon ressenti. J'ai aimé cette lecture, le mélange de toutes ces nationalités. Un auteur qui aime les constructions imposantes. Chapeau bas à tous ces ingénieurs et ouvriers pour ces prouesses techniques et industriels.

"Les reflets de cuivre de Lady Liberty, les feux d'artifice de son inauguration, les étincelles des braseros chauffant au rouge les rivets de la Tour illuminent cette histoire d'amour, de fer et de vengeance qui illustre, de Brooklyn au Champ-de-Mars, l'avènement d'un monde nouveau."

Fin 19e siècle à New York.
Michel Mouton continue à tracer sa route aux États Unis, avec la construction de cette statue de "liberté" que tant d'émigrés européens vont découvrir à l'issue d'une traversée. Ce voyage narratif outre-Atlantique effectue ensuite un retour, sur la trace d'un ouvrier/tueur de jeune indienne. Direction Paris où se préparent l'exposition universelle de 1889 et le défi industriel de Gustave Eiffel.

L'auteur a toujours cette capacité à détailler le contexte, expliquer les faits, qu'ils soient sociaux ou techniques, à fournir des petites anecdotes, à mêler les figures historiques à ses propres personnages. C'est là que réside son talent de conteur, bien plus que dans l'intérêt au demeurant sympathique d'une fiction de meurtre et de vengeance.

L'ensemble du récit a valeur documentaire et contribue nous faire changer d'époque. L'histoire de la construction de notre Dame de fer est connue mais jamais racontée avec une telle précision sur le travail des hommes et les techniques d'ingénierie d'un chantier titanesque.

Belle histoire de la Belle Époque !