Le livre de Judith

En plus de ce physique ingrat, la nature l’avait dotée d’un caractère qu’on disait difficile. Toute sa vie elle avait protesté au lieu de s’efforcer de plaire – ce qui,dans sa situation, aurait été ridicule. En plus, elle se fâchait souvent. Au conformisme qu’on héritait quand on venait au monde avec le « old money», Emily Ann avait opposé des idées bien à elle. Son penchant marqué pour l’égalitarisme – quand ce n’était pas pour le communisme – avait aussi contribué à faire fuir ses derniers prétendants, ceux qui auraient pu voir dans cette union une manière de grimper les échelons.

Elle aimait ce silence que meublait le crépitement du feu. Il permettait d’entendre le battement d’ailes d’un oiseau qui prenait son envol, effarouché par quelque prédateur qu’elle-même n’aurait pas senti approcher. La première étoile parut, près de l’horizon, pas très loin d’un mince croissant de lune.

Émilienne, qui n’avait jamais connu l’amour, avait eu le coup de foudre pour ce franciscain du Languedoc, sorte de Robin des Bois français, qui s’était opposé à l’Inquisition avec fougue et entêtement. Il avait défendu ceux qu’on opprimait en raison de leur foi. C’était pourtant un moine catholique! Il aurait pu se la couler douce dans son couvent au lieu de courir les chemins pour s’attaquer aux inquisiteurs. Quelle étrange foi l’avait animé? Pourquoi tant de bravoure?

En ce xxe siècle, dans une société au bord d’une deuxième grande guerre et où chacun se demandait de quoi demain serait fait, le renoncement de Bernard Délicieux aux plaisirs et au confort fascinait. Sa soif de justice, elle, forçait l’admiration.
Or, malgré sa passion, la richesse de ses théories et ses succès, Émilienne se trouvait sur une voie sans issue. En tant qu’étrangère, elle ne pouvait enseigner dans une université française.

En d’autres circonstances, la flatterie aurait exaspéré Virginie. Mais parce qu’aujourd’hui ces mots doux servaient à enrober des excuses, elle les accepta de bon gré.