Reliquat de snobisme ou refus de me soumettre aux diktats du buzz commercial des médias qui ont élevé au statut d'icône la romancière de L'
hygiène de l'assassin , toujours est-il que j'ai longtemps boudé les romans d'
Amélie Nothomb. Néanmoins, je viens d'achever la lecture d'
Acide sulfurique et j'ai apprécié d'y trouver une réflexion qui à défaut d'être exhaustive est nourrie sur la téléréalité et ses implications.
Il y a quelques années le Loft faisait une arrivée fracassante sur le paysage audiovisuel français et suscitait des débats houleux mais aujourd'hui les émissions de ce type ont fait florès et bien peu semblent s'en formaliser. Pire elles sont même devenues le mode de recrutement privilégié des animateurs ou des stars de demain, ce qui accélère la crétinisation progressive d'une télévision que certains n'hésitent plus à qualifier de poubelle. Comme si une résignation galopante avait saisi les téléspectateurs français à l'instar de cet électorat qui peine à imaginer que l'on puisse concevoir une société qui refuse le capitalisme qu'il vote à gauche ou à droite d'ailleurs.
Acide sulfurique propose un sorte de huis clos autour des plateaux de l'émission Concentration. Flattant le téléphage dans ce qu'il a de plus sordide, les promoteurs de ce rendez-vous télévisuel ignoble ont choisi de filmer au jour le jour des personnes retenues arbitairement dans un camp et les sévices quotidiens que leur assènent des kapos recrutés pour leur adéquation avec ce projet dément.
Tout comme dans
Mygale de
Thierry Jonquet ou dans
L'obsédé de
John Fowles on assiste à la déshumanisation progressive des individus privés de leur liberté. Elle commence par la suppression des prénoms remplacés comme dans le film THX 1138 de
Georges Lucas par des matricules et se prolonge dans l'abandon de toutes veillités de résistance sous les coups répétés de la schlague et l'exécution quotidienne de deux prisonniers désignés par les kapos.
Lorsque Pannonique à la beautée si éloignée des canons en vigueur démontre son refus de se soumettre en refusant de parler à la Kapo Zdena et à ses comparses et en vouvoyant les autres prisonniers pour restaurer l'estime de soi et de l'autre, elle suscite un élan de sympathie dans le public et dans le camp. Afin d'obtenir quelques plaques de chocolat pour son unité puis de sauver l'une des détenues, la jeune étudiante en paléontogie va retrouver peu à peu le pouvoir des mots.
Mais son statut d'égérie ne sera pas sans retour de bâton car ses prises de parole devant la caméra pour interpeller les spectateurs sur l'inhumanité de Concentration alimentent sans qu'elle s'en rende compte l'intérêt pour l'émission ce qui réjouit les producteurs qui constatent avec joie la montée de l'audimat.
Amélie Nothomb restitue très bien l'hypocrisie et la tartufferie de la presse comme des particuliers devant la téléréalité et isole bon nombre des termes de la dialectique entre la fascination et l'horreur suscitée par ce spectacle d'une rare violence qui permet aux tenants du système de le faire perdurer et aux téléspectateurs d'en oublier le poids.
Lorsque les organisateurs décident que cela sera désormais le public qui désignera les deux victimes du jour et non plus les kapos afin de relancer l'audience, la tension au sein du camp n'en sera que plus forte et il faudra à Pannonique savoir tourner sa langue sept fois dans sa bouche pour savoir comment persuader Zdena visiblement attirée par elle d'organiser une évasion. Ce qui sera d'autant moins facile que les autres prisonniers font pression sur elle pour qu'elle lui cède et qu'elle a fait l'amer expérience des limites du pouvoir de la parole.
La conclusion du livre m'a laissé quelque peu perplexe car si elle remet fortement en cause la téléréalité et questionne au travers elle bon nombre de tendances lourdes de l'humain
Amélie Nothomb raisonne apparemment avec un maintien du statu quo politique actuel.
Pour autant
Acide sulfurique présente à mes yeux avec des films comme Truman Show une manière efficace de réfléchir au pouvoir de l'image sur les foules.
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