La plante fleurissait aux moments les plus inattendus. Ce n'était pas de grandes fleurs voyantes, loin de là, mais plutôt de petites clochettes discrètes auxquelles le nom de "larmes de princesse" convenait à merveille. Peut-être était-ce le suc accumulé dans leurs calices qui répandait ce parfum entêtant.
Sans qu'elle sût elle-même pourquoi, chaque fois qu'elle avait une conversation avec le professeur Qiû , Keiko parlait d'un ton neutre, comme si elle traduisait, au lieu d'employer ce ton féminin principalement destiné à exprimer des émotions surannées, qu'elle prenait avec Utako par exemple. Et puis, elle avait beau parler japonais avec le professeur chinois, elle ressentait une sorte de facilité, de légèreté à discuter avec lui, qui la faisait penser aux conservations qu'elle pouvait avoir avec les Américains. Peut-être était-ce parce que, partant du principe que chacun ignorait tout de la culture de l'autre, la conversation pouvait se dérouler sans prendre la peine d'échafauder diverses suppositions, comme entre Japonais.
Keiko n'aurais su dire exactement pourquoi, mais ses compatriotes la fatiguaient. Cette obligation toute japonaise de réfléchir en permanence à ce que pensait réellement l'interlocuteur, jointe à l'impossibilité de l'interroger pour avoir des éclaircissements, l'impatientait au plus haut point.
Il ne faut pas s'approcher d'un mère qui a un enfant en bas âge ; ce sont les plus dangereuses, les plus effrayantes, on ne sait pas de quoi elle sont capables. Une mère, c'est synonyme de stupidité. Si l'on veut voir ce qu'est la stupidité, il suffit de regarder une mère. Mais une fois que l'entourage a compris la vraie nature de cette stupidité, il n'a plus qu'une chose à faire : se retirer, tête baisse. Car la stupidité d'une mère est une chose effrayante. elle est pareille à celle du corbeau qui s'attaque aux êtres humains, alors qu'il n'est qu'un oiseau.
Keiko se dit qu'elle ressemblait à la vieille de la montagne dans les contes de fées, celle qui lit dans l'esprit des gens et s'écrie en vous regardant :"Tu viens de penser ça hein, je ne me trompe pas?"
Cette sorcière qui vit dans la ontagne et dévore les voyageurs égarés qui s'approchent de son antre...