Dans ce livre, publié en 1983,
Claude Olievenstein reprend la plume exactement là où il l'a posée avec :
Il n'y a pas de drogués heureux. Cette autobiographie lui a apporté beaucoup de notoriété et tout autant d'ennemis, parmi les confrères, les pouvoirs publics et certains drogués. Marmottan est en train de traverser une crise d'identité profonde (que l'auteur définira : « une crise de croissance ») ; le profil des toxicomanes a changé considérablement : des doux rêveurs hippies, auxquels les soignants pouvaient s'identifier ou se projeter même intellectuellement et politiquement, aux punks et autres skinheads néonazis imbibés de violence et d'héroïne ; l'auteur vieillit... et il décide de partir faire le tour du monde, au plutôt la « Route » des anciens drogués hippies. Ce voyage a trois buts : l'un « banalement touristique », l'autre professionnel, d'exploration du devenir des lieux et des personnages des « routards » des années 60, liés (les uns comme les autres) aux stupéfiants, le dernier intime, de faire l'expérience, « dans la mesure du possible », de la mystique indienne, à l'instar desdits « routards »...
Ce nouveau volet autobiographique se divise donc en deux parties : le journal de voyage intitulé « Adieu aux "Sixties" (octobre 1977-janvier 1978) » comportant l'itinéraire New York, San Francisco, New Delhi, Bénarès, Katmandou, Calcutta, Madras, Goa ; et, sous le titre de « Marmottan réinventé », le récit des métamorphoses de l'Institution sous l'impulsion de son fondateur et comportant le remplacement de plus de la moitié des collaborateurs, de celles des jeunes drogués et enfin les évolutions réflexives de l'auteur, par rapport au nouveau contexte qui se présente à lui : sa prise de position contre le virage répressif qui durcit la prohibition du cannabis, sa polémique contre les prises en charge comportementalistes des toxicomanes, contre la primauté des produits et l'indifférenciation entre ceux qu'il définit les « vrais toxicomanes » et les usagers « récréatifs » et occasionnels de drogues. le point d'orgue de cette réflexion théorique revue et approfondie (par rapport à l'ouvrage précédent) consiste dans une conceptualisation de nature psychanalytique des origines et des raisons de la toxicomanie, dont découle une théorisation tout aussi profonde de la pratique psychothérapique spécifique aux toxicomanes, en trois étapes, toujours fondée sur les grands principes de liberté de Marmottan, mais structurée de manière beaucoup plus « professionnelle » et mûrie par l'accumulation des expériences. Mes citations sont très majoritairement tirées de cette théorisation qui occupe les dernières pages.
En effet, le journal de voyage, dans son honnêteté habituelle, révèle d'abord les a priori de l'auteur, dans le sens d'un théorème démontré d'avance : la nostalgie pour le mouvement hippie et la décrépitude de ses héritiers et de ses lieux ; l'incapacité du voyageur de pénétrer la logique profonde d'un sous-continent indien qu'il méconnaît, qui est objectivement assez obscur au profane occidental, sa difficulté à outrepasser les réactions épidermique de rejet de la pauvreté et de l'inégalité sociale ; la partialité de son regard, due à ses intérêts et à ses préférences pour les milieux pervers, interlopes, dangereux, notamment aux États-Unis. le chapitre sur Marmottan requiert sans doute une connaissance de l'institution de l'intérieur qui ne pouvait faire l'objet de ce livre : il donne l'impression d'un certain autoritarisme. Les polémiques contre les discours de l'actualité de l'époque, tout en révélant des clivages encore assez actuels, ont nécessairement vieilli. Par contre les théorisations gardent évidemment toute leur valeur et leur originalité.
De plus, elles m'ont invité à commencer à réfléchir de mon côté sur une historisation un phénomène des drogues qui a évidemment encore changé depuis le début des années 1980. Peut-on aujourd'hui affirmer que la prise de stupéfiants constitue une déviance, plutôt qu'une suggestion perverse de la société de consommation ? S'il existe encore sans doute une part de transgression liée à l'entrée dans l'âge adulte (sans rites d'initiation) de la majorité des consommateurs problématiques, comment la conjuguer avec une possible marginalité sinon éventuellement par une exclusion sociale que certains subissent plus qu'ils ne la choisissent par contestation – les derniers contestataires ayant été sans doute les punk ? Si la ligne de partage était déjà arbitraire, de l'aveu de l'auteur, entre « vrais toxicos » et usagers occasionnels, d'autant plus selon l'explication psychanalytique du manque, et à l'heure où l'on parle d'addictions avec et sans substances, est-il encore sensé de parler d'usages « récréatifs » ? J'attends un ultérieur aggiornamento dans l'ouvrage successif d'
Olievenstein : La drogue, 30 ans après, qui date de 2000.