Voici un roman marquant, poignant , poétique , puissant et dérangeant , un pavé déchirant jusqu'à la dernière page même si on assiste tout doucement à la renaissance d'un être ,à un changement de vie , grâce à la musique , un texte incroyablement beau à propos de l'enfance à l'aube du siècle dernier……
Je n'ai pas apprécié tous les livres de cette auteure ,mais celui - là comme
Bakhita m'a impressionnée !
Il nous met dès la première phrase dans les pas de Joseph Vasseur, né le 8 juillet 1919 à Paris juste après la grande guerre , une date dont il est fier, car Paris ce n'est pas seulement la ville , c'est la plus grande des villes , « belle de jour comme de nuit » , enviée dans le monde entier .
Lui , est un titi, sept ans , maigrelet mais robuste , très attaché à sa grand - mère Florentine , sa mère Colette , son instituteur qui lui a appris à lire , écrire et compter ,il aimait l'école ! .
Sa mère et sa grand - mère le surnomment « le roseau » , il siffle souvent , sa mère aux mains de plumassière , rouges et bleues , habiles et rugueuses ne se posent jamais, la vapeur de l'atelier où elle travaille décolle ses petites mèches entortillées .
Joseph n'a jamais connu son père, revenu de la guerre en « Gueule Cassée « , sans visage , et , comme s'il était allé au bout des ses forces est décédé, de la grippe espagnole dans une chambre d'hôpital.
Colette , sa mère , gaie comme un pinson rencontre Augustin , lors d'un bal , tous les dimanches rue de Lappes ——- un peu plus jeune qu'elle ——- elle meurt brutalement lors d'un avortement clandestin, considéré comme un crime monstrueux à cette époque.
La vie de Joseph bascule le jour où elle disparaît .
Il devient pupille de l'Etat , un État qui a soi- disant mis en place tout un système de « protection » des enfants pauvres , dont
les bonnes intentions n'ont d'égale que l'extrême cruauté , l'inhumanité criante , l'absurdité , la monstruosité au fil des jours au sein de cachots puants, grêlés , gluants , une seconde peau de malheur pour Joseph , qui ,dans sa nudité , aux jours sombres et sans repères , met la cagoule pour ne pas voir le gardien qui apporte la gamelle ….
Une cellule de cachot sous La Chapelle de Mettray , là où repose le coeur du fondateur de la colonie ….
On suit Joseph , orphelin de père puis de mère, de famille d'accueil en colonie pénitentiaire de Mettray , de sinistre mémoire , maison de redressement agricole
privée , au coeur de la Touraine ,que je viens d'évoquer, en passant par la prison de la Petite Roquette ( Paris ) et autres étapes …..
Joseph veut sa mère , qu'elle le touche et il n'a pas dix ans , ça hurle parfois dans les autres cachots .
Le voici arrivé parmi les « vicieux » de la République , le vivier de cette racaille , et il y a pris place , sous les coups de sifflet , sans montrer sa fatigue , faussement absent sous les coups , les crachats , les insultes , les railleries obscènes sur la longueur et la vigueur de son sexe , les viols répétés , la trique, le sang qui coule de sa bouche : garder le silence , rester debout ou le tenter, le regard fixe , le crâne rasé , les yeux éteints ….
Il traverse la nuit mais bientôt la musique , cette omniprésence invisible et le cornet à piston , celle qui vit dans ce qui est beau ,il jouera bientôt , un jour lointain , pour Aimé son ami mais je n'en dirai pas plus…..
Il a fait partie des Colons , qui obéissent au clairon , aux sifflets et à la trique , aux ordres militaires : de la race des obligés , des redressés , des rééduqués, des surveillés , des contrôlés , encadrés par des frères aînés , les surveillants , « les gaffes » alcooliques , violents, violeurs , incultes et inhumains ….
L'auteure fait parler son personnage , son intériorité à l'aide d'un choix narratif essentiel, lui donne un souffle , les enfants n'anticipant pas, toujours dans le présent , découvrant, en alerte permanente .
Elle adapte son histoire selon la condition sociale , l'âge et l'époque …semblable à un roman d'action, lui donnant de l'amplitude grâce à l'utilisation de la troisième personne et du présent .
On sent qu'elle a beaucoup travaillé et visité Mettray, lieu maudit fréquenté par
Jean Genet , qu'elle a épousé le regard de ce gamin ….
Une radiographie dérangeante, somme toute , réalisée avec un art consommé ….
Joseph jouera du cornet à piston dans la France du Front Populaire ….
Peut - être retrouvera t- il sa vie et sa joie? …..
Ce livre est aussi un miroir aux débats récurrents et récents sur les violences en famille d'accueil ou dans les foyers d'Aide sociale à l'enfance …
Le lecteur indigné , pétri d'émotions multiples, se fait violence, se jette dans ce livre révolté, révoltant à l'écriture intense , présente , résonnant dans nos coeurs comme un vertige ou une implosion , une langue littéraire entre retenue , amplitude , réalisme effrayant .
IL en ressort comme éreinté, abîmé, anesthésié, essoré , usé par tant de souffrances mais transporté par l'énergie de ce gamin courageux et tendre , fort et faible à la fois , ce qui lui permettra de traverser le pire ….
Un pavé déchirant , une radiographie sans complaisance , prenant aux tripes sur les bagnes pour enfants de l'entre - d'eux - guerres ..
Un très bel ouvrage qui peut rebuter ….
Mon libraire m'avait prévenue , vous allez souffrir ,mais je ne regrette ma lecture …..
Aujourd'hui Mettray abrite un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique .
Début novembre 1937 ,les derniers enfants quittent la Colonie Pénitentiaire.
En1974 , La Prison de la Petite Roquette ferme puis est démolie .
Sur son emplacement est aménagé le square de la Roquette .