L'eau, le feu. La première s'écoule, rafraîchissante et salvatrice, tout au long du récit, jaillissant inexplicablement d'une source invisible située au premier étage d'un immeuble délabré de Luanda, Angola. Le second ouvre et clôt ce même récit, de sorte qu'on pressent dès le début que celui-ci se terminera dans un feu d'artifice d'apocalypse.
Entre les deux (le début et la fin, l'eau et le feu), il y a le quotidien des habitants et des familiers de cet immeuble de sept étages du centre-ville, dans un quartier où l'électricité et l'eau sont aléatoires, ne serait-ce cette fuite intarissable du premier étage. Au détour d'un escalier aux marches branlantes (l'ascenseur est en panne, bien sûr), on y croise des hommes, des femmes, en couple ou célibataires, jeunes ou anciens, qui font bouillir leur marmite tant bien que mal, honnêtement à la sueur de leur front ou à coup de magouilles plus ou moins illégales. Des vendeuses de poisson grillé, un Facteur, un journaliste, un scientifique, un MarchandDeCoquillages, un Aveugle et un orphelin, une jeune fille et une GrandMère, un « entrepreneur culturel » qui lance sur le toit de l'immeuble un cinéma en plein air, ce qui ne manquera pas d'attiser la convoitise de deux « contrôleurs » très corruptibles, et même la curiosité d'une journaliste de la BBC. Tout ce petit monde, pour qui la solidarité n'est pas un vain mot, vivote dans ce quartier pauvre de Luanda, ville en pleine mutation, capitale d'un pays dévasté par 25 ans de guerre civile, et qui, après des années de marxisme à l'africaine, fonce tête baissée dans les tentacules de la pieuvre Capitalisme.
La découverte de pétrole dans le sous-sol de Luanda ouvre les appétits des dirigeants locaux, soudainement atteints de folie des grandeurs et de « dollarite » aiguë. La ville n'est désormais plus qu'un fouillis de chantiers encombrés d'excavatrices, de galeries et de tranchées creusées au mépris du sommeil des habitants et de la stabilité des immeubles des quartiers déshérités. Mais Luanda prépare sa vengeance...
Les habitants de l'immeuble de la Maianga observent ce cirque du libéralisme à tout crin et de la corruption à tous les étages avec un sentiment de fatalité et d'impuissance, plus rarement de révolte – le journaliste – ou de nostalgie – Odonato. Ce dernier, regrettant les temps pas si anciens où on manquait de tout sauf du bonheur d'être en famille au bord de l'océan ou entre amis autour d'un repas de fête, devient – littéralement – de plus en plus transparent et léger au fil du récit, finissant par s'envoler, à l'image d'un passé définitivement révolu, qui laisserait la place à un présent dans lequel les jeunes n'auraient d'autre avenir que des balles plus ou moins perdues dans leurs dos.
Ma chronique est la première de ce livre sur Babelio, et j'espère de tout coeur qu'elle donnera envie à d'autres de découvrir cette oeuvre et cet auteur.
Ce livre, teinté de réalisme magique, est une perle de cocasserie et d'émotions, de poésie et d'ironie, une source intarissable de tendresse envers ses personnages pauvres – les transparents (« nous ne sommes pas transparents parce que nous ne mangeons pas... nous sommes transparents parce que nous sommes pauvres. ») et un puits (de pétrole) de critique acerbe des politiciens et des autorités, corrompus à tous les échelons de la hiérarchie. Dans une langue imaginative (chapeau bas à la traductrice) et drôle, se jouant de la ponctuation, l'auteur dépeint l'Angola actuel, pays en transition, où les souvenirs de la guerre sont encore à fleur de mémoire.
Un tout grand merci à Masse Critique de Babelio et aux éditions Métailié pour cette épatante découverte !
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