Tout d'abord un très grand merci aux éditions Akata pour leur confiance et leur accueil. J'aime énormément cette maison d'édition qui nous sort des titres aussi atypiques qu'engagés.
Le thème de ce manga m'intriguait évidemment énormément. L'humour qui ressort déjà du titre (avec les parenthèses qui entourent le mot « love »), un résumé qui décape, une couverture qui annonce aussitôt la couleur, le féminisme qui ressort de cette oeuvre, j'étais embarquée immédiatement !
La couverture est simple dans ses couleurs, mais l'illustration en est très jolie, le style de dessin est léger mais efficace, autant sur ce premier aperçu que dans la suite du manga. Une couverture que je trouve percutante, bien qu'elle ait un côté décalé avec la modernité du manga. Pour autant, ce côté décalé est fort bien vu et nous montre la place que vont avoir ces trois personnages, Futaba Kiryu, « Killer » et « le stratège » : une couverture qui se veut romantique, pour une histoire qui prend le contrepied du romantisme, justement. Très bien trouvée, moi je la trouve parfaite.
Comme je l'ai dit, les dessins, à l'intérieur du manga, sont plutôt simples, mais efficaces et très dynamiques. Ils posent une ambiance drôle et légère sans être non plus « trop légère », justement. Et ils sont très jolis. Certaines expressions sont magnifiques, et le monde intérieur de Futaba est très bien imagé, de manière à la fois humoristique et fouillée à l'aide de très bonnes métaphores.
J'ai été un peu dubitative de la manière dont cette histoire commence. En fait, au tout début, je me suis demandé ce qui se passait. Et puis j'ai vite compris que nous étions plongés dans un « manga dans le manga », à savoir dans « At love », le manga harem écrit par Futaba. Un manga complètement délirant, qui nous amuse et nous fait immédiatement nous placer du côté de Futaba : j'imagine la galère qu'elle vit à devoir écrire un manga harem… surtout sachant qu'elle-même ne comprend rien à l'amour.
Le thème principal de cette histoire est bien évidemment l'aromantisme, mais ce ne sera pas le seul thème abordé, comme on va le voir. La mangaka croise très rapidement l'aromantisme et l'asexualité, son héroïne n'ayant jamais ni connu l'amour, ni éprouvé la moindre attirance pour personne, ni homme ni femme. C'est très intéressant, parce qu'à ce niveau-là, on entre assez facilement dans un questionnement très LGBT, par cette double « problématique » croisée (pas si problématique, puisque l'héroïne le vit très bien, en tout cas, dans sa vie privée, même si évidemment, beaucoup de gens se permettent de donner leur avis et l'embêtent avec les questions d'amour, de mariage, d'enfants, etc…), mais également par le fait que Futaba ignore, au fond, si elle est hétéro, bi ou lesbienne. Comment savoir quand on a jamais été attiré par personne ?
Évidemment, c'est une question que se pose son entourage, ainsi que le lecteur, mais Futaba, elle n'en a rien à claquer. Ces questions-là ne l'intéressent pas du tout. Pas qu'elle soit répugnée par la sexualité, elle en parle avec ses amies (là aussi atypiques, Aki est bisexuelle, et Teddy est pro « amours virtuels », toutes les deux sont célibataires et très bien dans leur peau et dans leur vie), même si oui, l'amour lui passe au-dessus de la tête, elle ne le comprend pas, ne voit pas ce qui pousse les gens les uns vers les autres. Elle a ses amies, son travail, ses collègues, ça lui suffit pour être heureuse.
Sauf que projetée de mauvais gré dans l'univers du harem, et donc du manga romantique, elle se voit contrainte de tenter de comprendre les mécanismes amoureux, par souci professionnel. Perfectionniste, elle ne supporte pas l'idée de mal faire son travail. Alors puisque la voilà lancée dans l'aventure du romantisme et de l'amour, elle se décide à tenter d'en percer les mystères. Pas facile pour elle.
Elle se retrouve rapidement confrontée à l'équipe qui s'apprête à scénariser une version animée de « At love ». Ceux-ci ont leurs propres axes de travail, et ne comprennent pas, selon Futaba, l'essentiel. Par exemple, pourquoi veulent-ils absolument que Haru, transgenre, tombe amoureux de Kirika, une des filles qui poursuit le héros de « At love » de ses assiduités ? Parce que leur « amitié » est populaire, et que ce serait donc plus vendeur d'en faire un couple. Mais Futaba n'est pas d'accord qu'on piétine les valeurs LGBT de la sorte en brisant une part importante de la personnalité de l'un de ses personnages. « Haru est un transgenre ! Se travestir n'est pas juste un amusement pour lui ! C'est d'ailleurs très bien expliqué dans le manga ! » Oui, mais voilà, elle se confronte à un monde qui ne pense, ne vit, ne respire que par et pour l'amour : « ce gamin a beau se déguiser en nana… quand un homme et une femme sont aussi proches… ça tourne forcément à l'amour, je me trompe ? ».
C'est ce qui est assez fabuleux, dans ce manga, en fait. La manière dont la mangaka, à travers le personnage de Futaba, défend les minorités, défend la cause LGBT sans avoir froid aux yeux, sans s'arrêter à un thème, en poussant la réflexion, petit à petit, de plus en plus loin. D'abord léger et drôle, ce manga m'a surprise par sa très grande profondeur, je ne m'attendais pas à ce qu'autant de thèmes pointus et marginaux y soient abordés. C'est très certainement un très gros plus à cette histoire atypique et plus profonde qu'elle n'y parait de premier abord…
La simplicité du début laisse peu à peu la place à des réflexions aiguisées et sensées, qui m'ont vraiment portée tout du long du manga. Si l'on garde l'aspect humour, notamment avec la situation somme toute comique de Futaba, coincée entre deux hommes très différents qui lui font la cour de manière… eh bien, assez originale (big up pour Asakura, dit « Killeur » (surnom que lui a donné Futaba parce qu'elle trouve qu'il a une tête de psychopathe), qui est un personnage déstabilisant que j'ai énormément apprécié). On se demande vraiment où va nous mener la mangaka dans le prochain tome… que j'ai très hâte de découvrir !
Au passage, j'ai fortement apprécié l'effort des éditions Akata qui ne parlent pas « d'auteur » ou « d'auteure » pour définir Futaba et son travail de mangaka, mais le terme très féministe « d'autrice ». Je salue l'usage de ce terme encore peu usité, mais qui place les femmes à égalité avec les hommes dans cet univers qui, jusqu'à présent, était uniquement masculinisé.
Un manga à la fois léger et profond, tout public, qui ouvre l'esprit aux différentes questions de la cause LGBT. À découvrir, vous passerez un très bon moment, tout en lisant une oeuvre travaillée, fouillée, documentée et engagée.
Aurélie, pour le blog d'Amabooksaddict
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