Charles Palissot de Montenoy est à juste titre un personnage bien oublié aujourd'hui. Homme de lettres de troisième ordre, visiblement prêt à tout ou presque pour réussir, il commet cette pièce, sans doute sur une commande du duc de Choiseul (ministre de Louis XV). Elle est reçue à la
Comédie Française probablement sur ordre en 1760 et jouée la même année avec un indéniable succès. Il faut rappeler qu'en 1759
l'Encyclopédie se voit retirer son privilège et elle est condamnée par Rome, d'autres chicanes surgissent. C'est donc un moment particulièrement difficile pour le parti philosophique, et
Diderot tout particulièrement.
La pièce parodie
les philosophes dans leur ensemble, mais des allusions aux
oeuvres de quatre d'entre eux sont identifiables : Duclos, Grimm,
Diderot et Rousseau. C'est sur ces deux derniers que porte l'essentiel de la satire. La pièce suit une intrigue très banale, inspirée quelque peu des Femmes savantes de
Molière. Cydalise se pique de devenir philosophe et écrit un livre, encouragée par un philosophe, Valère, qui se moque d'elle et la manipule, et qui veut épouser sa fille Rosalie, pour sa fortune. Cydalise y consent, et renvoie le fiancé de Rosalie, Damis. Crispin et Marton, valet et servante, décident d'aider les deux jeunes gens et de détromper Cydalise. Ce qui sera chose faite grâce à une lettre interceptée. Entre temps,
les philosophes de la pièce auront donné un triste spectacle, hypocrites, intéressés, manipulant l'opinion, discréditant leurs adversaires grâce à un verbiage vide de sens, se posant en victime dès la moindre attaque, formant un parti se soutenant mutuellement même s'ils se détestent entre eux. Les idées même à la base de
l'Encyclopédie sont attaquées :
les philosophes sont présentés comme les destructeurs des valeurs traditionnelles, comme la morale, la religion, la famille et la patrie. Par exemple, Valère explique ses principes à son ancien valet, et cela pousse ce dernier à essayer de faire les poches de son ancien maître (« l'intérêt personnel … qui nous inspire »).
La pièce n'a pas grand intérêt par elle-même, l'intrigue est mal ficelée ( la solution étant trouvée très rapidement et sans suspens par une lettre compromettante trouvée), et le schéma dramatique n'a rien d'original. Les attaques contre
les philosophes ne sont guère étayés, il s'agit de faire rire à n'importe quel prix (le morceau qui eut le plus de succès était l'entrée d'un comédien à quatre pattes, qui imitait un chien). Cela illustre juste le type d'attaques auxquels ont dû faire face
les philosophes à l'époque.
Palissot était un homme de circonstances, pas de conviction, et encore moins d'idées. Il arrivera à surnager à toutes les vicissitudes de l'histoire, il sera révolutionnaire à son heure, puis fera sa cour à
Bonaparte, pour finir administrateur de la Bibliothèque Mazarine. Mais il ne sera plus jamais en vedette comme il l'a été grâce à cette pièce, la seule de lui dont l'histoire garde trace, même si ce n'est pas pour sa valeur littéraire.