Érotique de la vie domestique

 « J'ai voulu envisager la vraie vie ici aussi, dans les plis du quotidien le moins flamboyant, dans ce que l'on a appris à considérer comme étant le plus aliénant et le moins épanouissant. »

Érotique de la vie domestique est un livre généreux, engagé, qui fait du bien et recentre.
Écrit avec densité, fluidité et simplicité, dans un style qui incarne parfaitement le propos, c'est une pensée investie d'une puissance métaphorique rare, inclinant à la participation, bien plus qu'à l'observation passive d'un exposé doctrinaire, dans une école domestique résolument sobre, en marge, contre-culturelle et queer, de l'aveu de l'autrice. 

Le présent, dont on veut démesurément jouir, peut-il se soustraire au paysage domestique ? L'« ici et maintenant » ne persiste- t- il pas plutôt dans un désir d'ailleurs qui s'ignore ? Il y a encore et surtout la question du corps : est-il vraiment libéré de tous les carcans de notre histoire ?

 « Notre vie quotidienne est souvent une Iliade, toute de lignes de front, de batailles, de vainqueurs et de vaincus, de mutineries du corps, de coups d'État affectifs, de chaos et de corruption de la démocratie rationnelle, mais nous pouvons travailler à écrire un poème de paix. »

Dans un dépouillement cathartique, on immerge sa routine la plus inavouée dans un creuset de réflexions concrètes, pour comprendre comment l'alchimie peut opérer, quand la répétition sisyphéenne de la vie domestique parvient à une pratique, faite de présence consentie : le soin de soi, des autres, des choses, dans le temps du présent et de l'être affranchi des normes consuméristes et contemptrices du corps.
 
Je me permets de faire un parallèle avec l'éthique du care de Joan Tronto, car j'ai trouvé dans Un monde vulnérable, pour une politique du care et Érotique de la vie domestique, deux visions, à mon sens, complémentaires, dans la critique du sort collectif fait au soin. 
Joan Tronto a le mérite de s'attaquer à la dimension institutionnelle de la question du soin. En lisant Érotique de la vie domestique, je me suis réjouie de trouver ce qui m'avait manqué dans la réflexion de J. Tronto : la personne dans sa sphère la plus privée. En effet, s'attachant à théoriser une approche politique du care, qui valoriserait le soin, les soignants et les liens d'interdépendance, sa réflexion n'analyse pas la question du soin telle qu'il se manifeste dans la vie intime de la maison, et qui n'est pas moins politique. Elle élude ainsi la partie immergée du prendre soin et avec, la part de responsabilité personnelle dans l'effort de guerre d'un monde plus en paix. Cette part cachée n'est autre chose que le versant individuel de la nécessaire valorisation sociale du care : prendre soin de soi.  Pourtant, l'expérience personnelle du quotidien ne peut qu'enrichir la sphère publique, en étant elle- même enrichie d'une individualité consciente des masques à faire tomber et des normes à réformer pour museler l'ego et renouer ainsi, _ plus pacifiquement qu'on ne le pense ! _, avec l'amour de la vie. 

L'amour de la vie, intimement lié au désir de l'ordinaire, c'est ce qu'Érotique de la vie domestique, à travers une pensée vive et vivifiante, réhabilite dans une modestie jubilatoire. 

Un essai original qui met en avant la valeur négligée de la vie ordinaire et de l'intériorité, tout à la fois domestique et spirituelle. En nous montrant le chez-soi comme lieu de la simplicité et de l'authenticité, Nolwenn Pétoin entend pratiquer ce qu'elle appelle, par détournement, un "female gaze", un regard féminin sur les choses. Un bel essai de sagesse pratique, qui ne veut pas renvoyer les femmes à la cuisine mais dévoiler la magie d'un quotidien paisible et défendre ce que Susan Cain appelle "la force des discrets" ("the power of introverts").