Disons-le d'emblée :
Burroughs vu par le bédéaste brésilien
João Pinheiro est une véritable pépite, découverte par l'éditeur indépendant Presque lune. Choc esthétique par sa beauté formelle singulière, choc narratif par sa fragmentation du récit qui, chose rare, fusionnent avec la structure narrative et l'univers mental de l'écrivain. Un album inventif et ambitieux, entre biographie et adaptation littéraire.
Dans l'album de
João Pinheiro, tout commence par le meurtre - prémédité ou accidentel - commis par
Burroughs sur sa femme, Joan Vollmer. Sans doute parce que
Burroughs en fait l'événement séminal de toute son oeuvre lorsqu'il écrit deux ans après les faits : "J'en suis arrivé à l'effroyable conclusion que je ne serai jamais devenu écrivain sans la mort de Joan. La mort de Joan m'a mise en contact avec l'envahisseur, l'Esprit Répugnant, qui m'a manipulé dans une lutte de toute une vie, dans laquelle je n'avais d'autre choix que d'écrire la sortie" (Queer).
De l'écrivain de la contre-culture étatsunienne, on connaît surtout
Le Festin nu adapté au cinéma par
David Cronenberg, traversé par les déambulations d'insectes géants kafkaiens, comme un miroir tendu au film La mouche.
João Pinheiro prend le parti d'enchevêtrer plusieurs oeuvres littéraires de
Burroughs dans l'esprit du cut-up, cette technique littéraire découverte par
Brion Gysin qui déclarait : "L'écriture a cinquante ans de retard sur la peinture. Je me propose d'appliquer les techniques picturales à l'écriture ; des choses aussi simples et immédiates que le collage ou le montage".
Burroughs l'expérimente en intégrant des fragments aléatoires réarrangés tels que des essais, des textes de fiction d'autres auteurs, des journaux ou des synopsis de film. A travers le cut-up, il questionne le réel dans ses récits où s'entremêlent constamment réel, hallucinations et imaginaire, point de jonction avec l'univers de
Philip K. Dick. Il questionne également "le langage [qui] est un virus venu de l'espace", et dénonce le pouvoir coercitif des mots.
Structure narrative éclatée, fulgurances visuelles naviguant entre roman noir, psychédélisme, cinéma expressionniste et horrifique, succession de typographies diverses :
João Pinheiro réalise un travail passionnant et novateur, à la hauteur de son sujet, qui pourrait bien élargir les champs d'expérimentation de la bande dessinée, à l'instar de l'oeuvre subversive et visionnaire de
Burroughs qui bouscula la littérature moderne du XXe siècle.
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