[Relecture]
C'est un petit livre qui rassemble une partie du
Timée de
Platon, et le dialogue inachevé intitulé Critias, sur le thème de l'Atlantide des temps immémoriaux, à qui s'opposa une Athènes archaïque, neuf mille ans avant les dialogues. le préfacier aide le lecteur à bien lire ces passages de
Platon, en décourageant d'emblée les illuminés, ésotériques, occultistes et autres que le nom d'Atlantide attire comme un aimant : ces gens-là sont rarement capables de lire les textes, car ils les abordent avec des idées préconçues et des préjugés indéracinables. Or ces oeuvres de
Platon sont à lire philosophiquement, et le préfacier nous y conduit.
Platon, comme d'autres avant et après lui, se demande quelle est la meilleure cité possible. La question à son époque n'a émergé qu'en Grèce, car les Grecs n'ont cessé d'émigrer et de fonder des colonies tout autour de la Méditerranée ; habitués à fonder des villes et des ports à partir de rien ou de peu, ils se demandent naturellement quel est le meilleur type de cité possible. D'autre part, leur histoire les a placés sur le chemin de l'immense empire perse qui a tenté en vain de les absorber ; cette confrontation avec le despotisme oriental, avec l'Empire, a élargi le champ de leur réflexion politique, que l'empire athénien, la thalassocratie, et la guerre du Péloponnèse, ont contribué à enrichir. le miracle grec, comme on ne dit plus, est cette capacité de transformer en pensée les épreuves de l'histoire et de la géographie, comme en témoignera, bien après
Platon, l'école historiographique grecque sous les Romains.
L'Atlantide est décrite dans ces dialogues, surtout dans le Critias qui est le plus concret, comme le domaine de la démesure : immensité du continent, des villes, des monuments (dont le gigantisme "avait quelque chose de barbare"), excès de richesses, d'hommes, de conquêtes, hubris catastrophique due à l'abandon de cet empire par son dieu fondateur Poséidon. Lire ces descriptions conduit à se demander naturellement qui est visé : évidemment, on pensera à la Perse, empire asiatique de l'excès, mais de fins lecteurs du texte ont aussi suggéré que
Platon s'attaquait, dans sa critique de la démesure, à l'Athènes impérialiste qu'il connaissait et dont les ambitions sans bornes conduisaient à la guerre. Sa description de l'Athènes légendaire, celle d'il y a neuf mille ans, montre une cité autarcique, modeste, "une cité chtonienne et sage", tournant le dos à l'infinité de la mer et de ses richesses illimitées, mais aussi de ses dangers, pour privilégier un mode de vie plus équilibré, traditionnel et mesuré. C'est cette Athènes idéale, nous dit le texte, qui vainquit il y a neuf mille ans l'invasion atlante, tout comme l'Athènes du V°s arrêta les Perses. La politique, en effet, ne se distingue pas de la vertu : le citoyen défendra mieux sa maison et sa famille que le mercenaire d'un empire.
A l'issue de ces lectures et de ses réflexions, on voit bien que l'Atlantide de
Platon n'est rien d'autre qu'une fiction littéraire qui véhicule une pensée politique. L'inachèvement du Critias nous prive du récit du cataclysme : si
Platon l'avait écrit, nul doute que pareil récit eût fait sensation. L'auteur est un artiste de la prose. Il a su toutefois féconder les imaginations et, si l'on est comme moi indécrottablement amateur de romans, on trouvera un beau cataclysme atlante dans la chute de Nùmenor, sous la plume de
Tolkien qui, évidemment, se souvenait du Critias : la démesure conduit toujours à la catastrophe.