Чай ‒ thé
Dans cette mémoire éparse qui appelle sans cesse l’inconnu – comme si nous parcourions sans cesse la terre russe parce qu’elle contenait notre identité, une autre identité dans un nous inconnu – il y a une histoire de thé. Je ne me souviens pas en avoir jamais bu en Russie. Dans ma famille, on buvait du café : Babouchka aussi buvait beaucoup de café mais jamais de thé.
Un jour à Moscou avec dada nous marchions devant une des gares. Un énorme baril jaune était juché sur une carriole tirée par un âne. Квас, nous a-t-on dit. Une boisson fermentée. Entre café et thé.
Chaque jour, je bois un thé noir, russe, dans une tasse héritée de ma grand-mère, décorée de dragons chinois. L’avait-elle rapportée d’une lointaine frontière sibérienne ? Je ne sais. La trace brune laissée sur le rebord s’enlève avec difficulté ; il faut la gratter longuement sous un jet tiède. C’est une trace qui aime le regard du monde.
Изба ‒ isba
Nous habitions une isba bleue. C ‘était celle de nos rêves ‒ une maison étrange, faite de planches bleues et blanches. Un repère dans une mémoire commune. On s’apercevait que quelque chose nous échappait. On avait accroché cette photo de la maisonnette de Koursk dans nos maisons françaises mais ce qui s’y rattachait demeurait muet. On regardait ces planches bleues, un peu perdus. C’est mon père brisa ce silence.
Extrait
Nuit bleue d’avril
née d’un printemps (de l’autre côté de la terre)
chant
qui dit le sommeil en partance
un oubli
récite le départ
grande vitesse
comme cet air
qui agite le sac de couchage (qui borde la gare)
misère d’une voix
sous les traverses
nulle menace
sur la lumière
les ancres et les voiles vont se lever
Et tout sera demeure