Ce recueil propose un florilège de nouvelles excellentes dont je ne commente que celle que j'adore particulièrement : «Et j'erre solitaire et pale».
Une lecture qui m'a littéralement fasciné dans le passé, aujourd'hui encore et certainement pour toujours.
Le cadre est un parc, disons anglais, où en famille on fait des pique-niques innocents… On peut aussi s'amuser à voyager dans le temps, il suffit de passer les ponts d'hier ou d'aujourd'hui ou de demain ! Sur cette simple idée, Priest arrive à créer une ambiance fascinante quasi musicale entretenue par les répétitions du récit et onirique, imprégnée du désir de « la Dame sans Merci », le poème de
John Keats dont un vers donne le titre de la nouvelle.
On s'aperçoit vite que le voyage dans le temps est une formidable métaphore de la mémoire.
Mais cette manière de voir est très inquiétante parce ce qu'elle induit que la mémoire peut varier, faire vaciller la notion de réalité et de vérité. Les certitudes de son individualité, voir même de son unicité sont également déstabilisées.
Ainsi se développent les thèmes priestiens : réalités plurielles, moi incertain menacé par la possibilité du double, héros pale et solitaire isolé du monde et de l'amour.
La nouvelle explore la possibilité de réaliser un rêve dans le passé, de le changer. Une quête qui tourne à l'obsession et dont on pressent l'importance sans pouvoir la comprendre vraiment.
Modifier la mémoire? Modifier la réalité? Les remplacer par le rêve? Vous avez dit spéculative fiction !
On peut se triturer les méninges, subsiste toujours chez Priest une énigme : le héros a-t-il réussi sa quête ? Ici, faire que Celle du passé, l'ai aimé ou l'aime ou l'aimera… Cet impossible tellement regretté. Car alors je serai celui que je veux, voulais, voudrais être ??
Mystère…
Évidemment logiquement, le paradoxe temporel empêche cet espoir, car si l'on pouvait modifier son passé, on s'en souviendrait dans le présent. Mais Priest lui fait son affaire, le noie, le dissout et nous laisse sans clef, sans explication… Ne reste qu'une impression d'épiphanie étrange et incertaine.
Complexe comme un grand rêve. Ça tape très fort.
Personnellement, ce qui est étonnant avec cette nouvelle, c'est que je lui ai trouvé un lieu pour exister dans le réel. Mon parc c'est Kew Gardens, les jardins botaniques de Londres que je visite périodiquement. Comme dans la nouvelle je me rencontre en train de faire mes précédentes visites. C'est intense et cela rajoute au charme évident de ce parc, ainsi je m'invente des féeries pleines de consolations.
La nouvelle continue de s'écrire pour moi, je fais toutes les visites en même temps. Un moment je vais me revoir avec ma mère assis près de la folie attendant que la pluie cesse, une autre fois je vais me revoir sur ce banc, à coté de cette vieille dame, dans le froid de décembre, dans un échange muet plus fort que bien des paroles…
Mais je vous l'avoue, je cherche surtout Estyll et elle me manque.
« Palely loitering ». Tu es cela.