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EAN : 9782818048887
464 pages
P.O.L. (07/11/2019)
5/5   1 notes
Résumé :
our expliquer le titre de ce nouveau livre, Christian Prigent cite l’écrivain russe Velimir Khelbnikov (1885 – 1922) : « Nous avons besoin de point d’appui, c’est-à-dire de journaux intimes ». Mais le titre peut s’entendre aussi négativement : Pas d’appui ! Pour tenir, résister, il faut à la fois chercher en soi, s’éprouver, et lire, regarder, penser. Point d’appui est autant un journal qu’un livre de combat. On passe par des rêves notés le matin même, des pensées d... >Voir plus
Que lire après Point d'appuiVoir plus
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
30/11 [Nietzsche, toujours]

« L'on est artiste au prix de ressentir ce que tous les non-artistes nomment ‘forme' en tant que contenu, que ‘la chose même'. De ce fait l'on appartient sans doute à un monde à l'envers : car dès lors le contenu devient pour nous quelque chose de purement formel — y compris notre vie. »

Art (poésie, etc.) : traitement de toute forme comme contenu. Fiction de formes = invention de contenus. Que tout le sens de l'action soit : fiction de formes éprouvées comme contenus (comme « sens »). Que jamais on ne puisse croire dire du « monde » quelque chose de neuf et de juste si on ne forme pas des formes neuves pour constituer sensiblement cette justesse.

*

01/12 [brûlis]

l'odeur d'eau d'heur d'or où

pue-t-elle mieux qu'aux doux

fumiers déconcertants ? aimées

ordures que durent vos fumées !



marcher dessous manger dedans

est mon plaisir ah que le vent

lèche luxueusement la lande

et qu'oncques vivre ne débande !

*

03/12 [vers]

Mallarmé : « Toutes les fois qu'il y a effort au style, il y a versification ». Oui. Sauf qu'on peut s'arrêter avant : ajourner la coagulation rythmique (prosodie). En ralentissant le processus qui, par concentration, mènerait au vers. Donc : dilatation (Proust), détimbrage (Flaubert), a-rythmie « objectiviste ». Ainsi s'étalent la narration, le descriptif, le pensif : la phrase résiste au phrasé.

Sinon, au vers, on ne coupe pas. Il n'est pas un dehors de la langue (un ornement, une prothèse). Mais le mode même d'apparition du fait linguistique. Il incarne son artifice, son écart au naturel : l'effet en langue de la « différence non-logique » qui se dessine négativement à mesure que l'effort de représentation agit. Le vers accomplit la langue en tant qu'elle fonde le parlant comme arrachement à la biologie muette. Là apparaît l'ambivalence du « lyrisme » : à la fois reconnaissance douloureuse de ce fait — et dénégation (rêve éperdu de fusion).

Il n'y a rien à céder sur la complexité des chirurgies sophistiquées qu'opèrent les poèmes à la fois appelés par et en lutte contre la tentation lyrique. En tout cas pas au prétexte qu'elles seraient devenues inaudibles (furent-elles jamais « audibles » ?).

Nul poète ne s'adresse à beaucoup. Pas sûr, même, qu'aucun s'adresse à qui que soit d'autre qu'à la poésie elle-même (ce qui l'a poussé à en faire, ce qui d'elle laisse ouverte en lui la plaie de l'« effort au style »). Tout au plus espère-t-il que quelques uns assisteront avec un peu de curiosité à ce débat interne (au moins ceux qui ont eux aussi affaire à lui).

Quant à ce qui aujourd'hui triomphe comme action poétique (performances, slam, rap), ça ne concerne que le monde culturel (au sein duquel l'énigme rébarbatif du poétique ne constitue jamais qu'un nodule de gêne : « ennemi du dedans », mal embouché et narquois) ; voire l'assentiment social, le spectacle, le décor chansonnier du temps (rien de bien neuf, de ce point de vue).

*

03/12 [hodie geri res vidi]

A la Roche des Tablettes, du haut de la falaise, sous la pluie, face à l'arc-en-ciel aux pieds fichés dans le sable, sept couleurs diagonales en écharpe au poitrail du volume, voûte dévorée par la faim des cumulus baroques. Sous le spectre des lumières veinées de vols rapides, j'observe le blason optique de ce-qui-est, en deçà du visible.

Le bougé des lignes, des courants de l'air, des profondeurs crevées, le change des ombres et des éclats, le kaléidoscope lentement glissant ou vivement gesticulé des formes, le chamboulement constant de tout ce qui se voit, s'entend, se respire : rien qui sollicite davantage, parce que ça le défie violemment, l'effort de diction (verbale) et de représentation (picturale).

Face à ces horizons sans cesse défaits et refaits je ne vois pas que des « paysages », des compositions de lignes et de couleurs, stabilisées. Je perçois l'alternance inarrêtable des compositions et des décompositions. J'éprouve quelque chose du sans-cesse lui-même : le temps institué espace, l'espace enfant du temps. Le volume sans bord, sans dedans ni dehors, formé de rien d'autre que d'un mouvement informe à force de mêler les temps et de changer en elles-mêmes les formes, aspire à lui le spectateur, l'immerge en lui, noie le « moi », déplace de seconde en seconde toute possible focalisation, écrase la distance entre celui qui voit et ce qu'il voit. C'est l'énormité elle-même du réel qui alors remue : émeut le sujet, agite ses moyens d'expression.

Cette émotion, cette agitation : sensation palpable du devenir en personne. En personne : en moi, en aucun, en tous — en moi traversé par le rien et le tout innommables, l'afflux physique, la matière atomique propulsée : natura rerum. Non que seulement éprouvée dans une fusion sensorielle sidérée, un ersatz d'extase, cette sensation : si je parviens à en dire quelque chose (dans le poème, dans la distance du symbolique), je la pense : sens + pensée l'avèrent dans la langue (s'y essaient, au moins), la reconnaissent.

*

05/12 [mangeailles]

après ce sera pire mes

sœurs : après l'enflance

dans le temps rance



ne mangeons que des

cailloux : non aux laits aux

soupes purées panades oh

oh c'était en merde



ce le sera sauf à se perdre

aux sentiers d'amour : en route

mauvaise troupe !
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21/10 [intello]

Une revue de poésie me demande un entretien. Il est souhaité « pas intello ». Ça m’exaspère. Cet adjectif est toujours prononcé avec un mépris haineux. C’est souvent le fait de ceux qui devraient avoir pour rôle de promouvoir l’intelligence. Bien des enseignants, je m’en souviens, sont coutumiers du fait.
Je suis un intellectuel. Fier ne n’être pas qu’un artiste autoproclamé sensible, dédaigneux du combat logique. Convaincu que céder à la démagogie sentimentale du tout-venant des poètes est artistiquement et politiquement une honte.
Ergo : pas d’entretien.

*

25/10 [peuple]

Notes pour un exposé à Saint-Brieuc. Thème (imposé) : « Écrire le peuple aujourd’hui ».
Du peuple je n’ai qu’une sensation : le populo. Celui des stades, par exemple. Goguenard, jovial, braillard. Non assignable à une définition politique. Non idéalisable. Il comprend le mauvais : tendance tribale à la curée, racisme endémique, homophobie prête à fuser du gras des blagues.
J’en suis. Et il est en moi. En tant qu’impur : première vérité.
Ce peuple n’est pas la « masse », la pureté fantasmée de la masse. Encore moins « les masses ». Cette expression, on en avait plein la bouche, du temps de mes engagements communistes. Mais bien des acteurs politiques d’aujourd’hui, en ont la bouche pareillement pleine, quoique sur d’autres bases sociales et pour d’autres projets politiques, souvent opposés les uns aux autres : les « populismes ».
Peuple : un corps, certes (le fameux corps « social »). Mais non clos : sans silhouette, sans contours. Non pensable comme lieu (limité — par une définition politique surplombante) : plutôt comme espace (illimité — par la sensation, confuse, d’en être ET de n’en être pas et par la certitude charnelle que sa définition, sa limitation, échappe).

*

26/10 [peuple, ssq]

Pas plus que quiconque, je ne suis au peuple (cf : « nous ne sommes pas au monde »). Il n’est pas davantage à moi, ni à aucun. Celui qui croit qu’il est à lui, qu’il parle « en son nom », voire qu’il « l’incarne », pactise avec l’exploitation, désire dominer.
Peuple : paradoxe d’une homogénéité faite d’hétérogène maintenu. L’oublier : homogénéiser le peuple au prix de l’exclusion d’un Autre, à lui hétérogène — donc projeté dans la distance d’abord ennemie, ensuite forcément victimaire. Id est : purifier. Radicalement si besoin.
Un peuple n’est pas seulement hétérogène à ce qui ne serait pas « lui » (les dominants, l’élite). Il est hétérogène à tout ce qui, en lui, tend à l’homogénéiser comme peuple : à l’unifier en « clientèle ». La domination cherche à lui donner corps : à le circonscrire comme lieu mis à disposition (masse de manœuvre politique, tas de cerveaux disponibles, reflet des choses proposées à sa consommation).
Cette circonscription s’obtient par division. Pour constituer un corps-peuple disponible à la sollicitation commerciale, il faut que cette sollicitation fasse comme si elle s’adressait à chacun des membres du corps en particulier : choisi, distingué de la masse. Éventuellement tutoyé, complice. Sur l’écran de ma télé, j’ai « mon » bouquet », « mes » enregistrements, etc. Je suis un héros de l’épopée marchande. D’une pierre deux coups : disparition du « peuple » comme puissance de résistance solidaire, isolement de l’individu réduit à ses besoins narcissiques.
Peuple : unité (vue de loin, pensée de haut) de différences (éprouvées de près). Circonférence non mesurable avec centre nulle part repérable. La rêverie panique (la fureur) des nationalismes, des communautarismes (ou, plus insidieuse, celle du marché omnipotent) ne tient qu’à ne pas penser ça, à ne pas vouloir le voir. D’autant plus violemment occupée, donc, à centrer et à délimiter. Pour fonder un peuple incorporé, assigné à des besoins imaginaires, unifié dans la servitude volontaire, centré sur le Même (ciblé comme électeur ou client) et entouré par l’Autre (le différent, bientôt l’ennemi, sous peu le massacrable).
Peuple : toujours manquant. Le peuple est ce qui manque (aux deux sens : manquant de tout, manquant à tout). Sauf à fantasmer LE peuple comme essence. C’est-à-dire à l’évincer comme existence (différence, diversité, manque, question).
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21/07 [des bâtons dans les roues]

Manuscrit de Bruno Fern : dans les roues. L’auteur est à vélo. Son casque est équipé d’un logiciel à split-screen. Il rediffuse pour nous des éclats découpés dans le paysage.
Défi : faire tenir ensemble ce que la perception disloque. Forme homogène (représentation) et contenu hétérogène (matériau représenté) se défient l’un l’autre.
Le parcours suppose « suite de départs », halètements dans les pentes, secousses sur « cassis ou dos-d’âne ». Bilan : « L’image n’arrête pas de sauter ». Ça bouge beaucoup, cassé de hoquets, entre bribes de « décor », irruption de refrains idiots, ruminations méditatives sur-jouées.
Côté phrasé : des articulations surprenantes relancent à fond la caisse. Tout a lieu aux jointures de « liaisons quasi acrobatiques ». Souvent il s’agit de la désarticulation ré-articulée de tel ou tel idiolecte : « pas moyen de moyenner », « c’est le métier qui entre », etc.
Côté phrase : les vues sur sites, amorces de scènes et bribes de pensées ne fusent que dans des intervalles : « c’est l’entre-deux qui importe ». Toujours par concrétions erratiques : des cailloux sur le chemin, des calculs — au sens qu’Arno Schmidt donne à ce mot.
L’allure stylistique, cependant, est enroulée. Elle fond en elle un mouvement chaloupé de chutes (de fin de paragraphes en amorces d’autres) et de suspens (de phrases brisées en phrasés enrobés).
Entre le fondu enchaîné (liaison) et la scansion cut (déliaison) l’imprévisible des articulations ouvre au surgissement de ce qui défile dans la tête du cycliste. Ces poussées déboulent à chaque fois comme des bâtons dans les roues. Cet effet peut s’appeler « effet de réel » : imprévisible accident dans la progression sensée que fait peu à peu coaguler l’inéluctable logique syntaxique.
Gourmand de cet effet, le cycliste en vadrouille est un Jean de la Lune ahuri. Mais aussi un Cingria moqueur, un Schmidt rogue et éberlué par la profusion chaotique du réel. Et un Piero della Francesca bricoleur, occupé à reconstruire l’espace dans un carrelage de perspectives. Georges Bataille : « l’espace est demeuré voyou : il est difficile d’énumérer ce qu’il engendre ».

*

27/08 [dignités]

Un poète, sur TXT 33 : « j’ai l'impression de lire des productions supposées "drôles" de potaches (modèle lycéen des années 75) ».
TXT horripile les auteurs « sérieux ». Ce sont souvent des professeurs. Ils craignent qu’on bafoue la littérature. Leur dignité tient en effet à celle des objets dont ils traitent. Rimbaud pointait cela chez Izambard. Jarry a vite su où était la cible : Ubu prof.
Bien des poètes sont comme ces professeurs inquiets qu’on salisse leur boutique. Quand je lui parlais de Jarry, Ponge pinçait le nez, pour cette raison. Dans les années 1890, les almanachs décervelés du P. Ub. faisaient le tri : la basse-cour symboliste, égosillée, s’égaillait : ne restaient auprès d’Alfred que les grandes volailles inexorables (Mallarmé, Apollinaire, même Gide…).
Le poète énervé : « n’importe quel potache en ferait autant ». Vieille bêtise. L’enfant de cinq ans (cf Groucho Marx) supposé capable de faire aussi bien que Picasso ne fait jamais aussi bien parce que 1/il ne pense pas à faire 2/ s’il y pensait, ce n’est pas à faire du Picasso qu’il penserait 3/ s’il s’en avisait, il n’en ferait qu’un ersatz pâle. De même, nul « lycéen » ne voudrait écrire (ni ne saurait le faire) ce qui figure dans les pages almanach de TXT — qui, dans presque tous les cas, est formellement complexe.
Tout cela n’incite qu'à aggraver : voler dans les plumes du sérieux « littéraire » (la poésie en est souvent la version la plus cambrée du mollet). Pour faire revenir une autre dignité : la gravité, au bout du compte, du jeu de mot. Il n’est pas qu’un jeu : il touche à la violence du non-savoir, à la cruauté de l’altercation réel/langue. Qui n’en veut rien savoir ne sait rien non plus des raisons qui font qu’on écrit. Qu’on publie. Qu'on édite une revue.
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05/10 [une goutte de lait]

des cuvettes du firmament
petit homme dès qu’étant né
tu files au néant
le Léthé

pleut pas de bol son jet
de non-oubli : ça fait
un trou de face hallu
ciné (moi) c’est foutu

*



07/10 [home cinéma : western à l’envers]

Missouri breaks (Arthur Penn, 1976). Prologue : trois cavaliers dans la prairie du Missouri. Parlent, paisibles, derrière les fleurs caressées de vent, d’un monde qui s’en va (moins d’herbe, trop de voleurs, plus de morale : ravines dans les têtes comme dans la plaine, décentrement de l’espace, du temps, des pensées).
L’un des trois est morose. Sans plus. Cut. Une autre image déboule, non commentée : le jeune homme à la triste figure, corde au cou, sur son cheval. Éperonne lui-même la bête. Spasmes. Fin de la séquence. Causes de la pendaison, détails de sa cruauté : ça viendra après, par petites bulles disséminées au long de la fiction.
Penn entre à l’envers dans le western (il renverse sa ligne narrative). Après : décentrements, contrastes, torsions, lacunes (narration baroque).
Par exemple : une demoiselle directe (insoumise au code) pousse au lit un brigand réticent (soumis au code). Et hop : l’idylle. Soit : inversion (topos baroque) de l’ordre narratif et moral. Celui où, au moins en français, on se vouvoie, devient amoureux, couche, se dit tu : où le spectateur sait que les héros ont couché parce qu’ils se disent tout d’un coup tu.
Autre : dans leur ranch (ils y rassemblent les chevaux qu’ils volent), les outlaws se font des niches puériles, élèvent des poules, papotent : dures enfances, pourquoi je suis mauvais, de petites causes (feu sur le chien qui lécha le beurre !) à grands effets (destins criminels), vrac de lieux communs, essais d’aphorismes. Mais par désœuvrement, brefs flashes de mémoire, coq-à-l’âne, pensées vite suspendues. Tarentino s’en souviendra.
L’image aussi est baroque. Vives alternances de très gros plans (visages, armes) et de panoramiques immenses (à côté : Sergio Leone). Les fonds (paysages profonds, surfaces fuyantes du fleuve Missouri, forêts canadiennes) viennent manger les devants où s’agitent, figurines minusculées, des héros dérisoires. Symétriquement, les premiers plans (corps des protagonistes) reculent vers des fonds qui les décentrent et les effacent, avalés par la pénombre des maisons (l’intérieur) ou la lumière des ciels et des eaux (l’extérieur). Voire : les corps se noient dans ces fonds (Randy Quaid, as Little Tod). Ou finissent brûlés par eux (Dean Stanton, as Calvin). Entre fonds et premiers plans passent des guirlandes de chevaux comme passent biches et lapins derrière les batailles de Paolo Uccello.
Restait à concentrer sur une figure les attributs du baroque (au sens, du coup, de : tordu, braque — étrangement inquiétant). Voici Marlon Brando, as Lee Clayton, le « régulateur » (oxymore de la régulation, en vérité). Jamais tout à fait dans le champ : rêveur, nocturne, absent, non vraiment « concerné ». Spectaculairement présent, cependant : occupant all over l’écran. Thorax en tonneau sur pattes grêles, chapeaux hyperboliques, vaste veste à franges, travestissements (à la fin : en terrificque Ma Dalton), pistolets ornés, jumelles (ça floute et ça zoome), tactiques sinueuses, bricolages à la Buster Keaton, rires inquiétants, silences pas moins. Il sature espace et récit d’une hésitation effrayante entre bouffonnerie rococo et violence dramatique sur-jouée à force d’affectation de froideur maniériste.

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14/05 [la haine]

N° de Lignes sur les Gilets jaunes. L’archaïsme surplombant de Badiou : mausolée d’idées mortes. Eric Clémens, comme toujours, fait penser. Au détour d’une phrase, il déplore, chez des manifestants, la « haine ». Mais qui vient d’où ? Sinon de l’épreuve de l’injustice (non de la misère, qui ne fait qu’accabler et soumettre). L’épreuve rend colère. Colère comprend violence. Et haine : contre les dominants, leur arrogance cynique. Cette haine ne fait que répondre à celle d’un Castaner envers les « foules haineuses ». Elle n’est pas que « passion triste » — mais impulsion à lutter, moteur d’action. Après (seulement après) : la pensée, la conscience politique. Mais pas sans la poussée haineuse : révoltée par le révoltant.

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20/06 [supplément à Vie de mon père]

Le 7 septembre 1949, délégué du PCF des Côtes-du-Nord, il prépare sa mallette pour un voyage militant en Corse : « LES CARAVANES DE LA RESISTANCE », venues de toute la France, vont se rassembler à Nice. Dans ses papiers : liste des choses à emporter. Il n’oublie ni sa canadienne, ni son béret : tenue de Résistant.

Le 8, il est à Nice. Défilé en ville sous les drapeaux : FFI-FTP, Union des Femmes Françaises, Front National de la Police, etc. A la tribune du meeting : Charles Tillon, Lucie Aubrac, Eugénie Cotton, le général Petit. Embarquement en soirée sur le Commandant Quéré. Le 9 : Ajaccio, pèlerinages au hauts lieux de la Résistance corse. Le 10 : Piana, cérémonie d’hommage à Danielle Casanova et au sous-marin Casabianca. Le 11, en route (car) pour Bastia. On passe à Vizzanova (il y note des cyclamens). Réception (avec « cloches ») à Vivario. Repas (« offert ») à Ghisoni. Arrivée à Bastia à 20 h 30. Au retour à Saint-Brieuc, les cadeaux. Je me souviens encore (j’avais quatre ans) : un petit couteau pliant, au bout prudemment arrondi, déclaré quand même « vendetta ». Je l’ai toujours.

*

25/06 [home cinéma : Bruno Dumont, Jeannette]

D’un côté, le sublime : chant, poème Péguy, enfance bleue de virginité. De l’autre, le grotesque : vignettes kitsch, oratorio vocalement cochonné, bricolage sur-ligné.
Entre les deux il y aurait : le vérisme plat, la psychologie, les opinions déclaratives, la virtuosité technique, l’action pittoresque, la mimesis « réaliste » : le cinéma de consommation courante.
Bruno Dumont dégage cet entre-deux, passe en vitesse du sublime au grotesque et vice versa sans rien laisser affleurer du lieu esthétique commun qui murmure : « cinéma, garde-toi à droite : pas d’exaltation ! cinéma, garde-toi à gauche : pas de bêtise ! ».
Ainsi il accueille et promeut l’impudeur du sublime et la trivialité du mauvais goût, la bouffonnerie, l’idiotie ridicule. Et les lie d’une sorte de signe d’équivalence provocant, radieux.
Alors l’idiotie est sublime, le sublime idiot : bienheureux les pauvres en esprit, le royaume est à eux, aéré, dégagé des « humains suffrages ». La spiritualité mise en images chromo et en mélopée maladroite passe entre Benoît Labre et François d’Assise, entre sotie et mystère — et le cinéma, de s’en apercevoir et de le faire voir, en est tout rafraîchi.
La parole chantée (mal chantée) dans la pauvreté franciscaine du site + le kitsch d’almanach sulpicien : Jeannette marche, à la fois ridicule et grandiose, dans une virginité scénique ravivée qui efface le monde profane profané, profanant — celui qui ne tient que d’ignorer que nous ne sommes tout entiers, corps et âme, ni à lui ni en lui.

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Vidéo de Christian Prigent
Lecture de Arlette Farge : une création originale inspirée d'un livre sur les châtiments donnés aux enfants dans les collèges de Jésuites*.
Une série de créations littéraires originales inspirées par les collections de la BIS. Ce cycle est proposé par la Maison des écrivains et de la littérature (Mel) en partenariat avec la BIS. Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé.
Saison 1 : Pierre Bergounioux (21 février 2017), Marianne Alphant (14 mars 2017), Arlette Farge (25 avril 2017), Eugène Durif (9 mai 2017).
Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne": * saison 1 : Pierre Bergounioux, Marianne Alphant, Arlette Farge et Eugène Durif paru en septembre 2018. * saison 2 : Jacques Rebotier, Marie Cosnay, Claudine Galea et Fanny Taillandier, paru en septembre 2019. * saison 3 : Hubert Haddad, Line Amselem, Christian Prigent, Mona Ozouf, Laure Murat, publication prévue en septembre 2020
* Mémoires historiques sur l'orbilianisme et les correcteurs des Jésuites, avec la relation d'un meurtre tout à fait singulier, commis depuis peu dans un des collèges de Paris et quelques autres anecdotes etc.
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