Shelley Puhak est poétesse et professeur d'université. le hasard de ses réflexions sur les stéréotypes historiques, notamment liés aux femmes, l'ont poussée à s'intéresser aux personnages de Brunehaut et Frédégonde, ces reines mérovingiennes entourées d'une aura ténébreuse.
Dans ce récit publié en 2023, écrit comme un roman épique, l'autrice américaine emmène son lecteur dans la Francie du 6eme siècle et il y a fort à parier que le français de 2024 y soit en territoire inconnu ! La période étant complexe et mouvementée, pas facile de s'y retrouver mais la plume agréable, le propos très documenté et sourcé, les cartes et les illustrations permettent de trouver ses repères.
La période est celle d'une transition entre monde antique et moyenâgeux, le christianisme se répand en Europe, entre catholicisme romain et arianisme.
La Francie est, au début de cette aventure, divisée en 4 territoires légués aux 4 fils de Clotaire, fils de Clovis. Nous voyons notre pays divisé entre Burgondie, Austrasie, Neustrie et Aquitaine, et autant de souverains qui lorgnent sur le territoire de leurs frères. Ambitieux, Sigebert, régnant sur l'Austrasie (globalement autour de la champagne et l'Auvergne de la France actuelle), épouse une princesse wisigothe, Brunehaut, venue d'Espagne.
Son frère Chilpéric, le neustrien, répudiera sa première femme (en l'envoyant en réclusion dans un couvent), épousera Galswinthe, la soeur de Brunehaut, très probablement l'assassinera avant de se marier à sa concubine de toujours, Frédégonde, ancienne esclave de sa première épouse...
Je n'ai pas été au delà de l'épisode 2 de Games of throne, mais j'imagine que c'est comparable dans son genre et la suite ne vous décevra pas avec des sièges, des assassinats, des trahisons, des refuges dans les églises, des héritiers morts en bas âge...
Ce livre est à placer, dans ma généalogie de lecture, dans l'approfondissement de celle des Grandes oubliées de
Titiou Lecoq qui avait attiré mon attention sur le sujet de la place des femmes dans l'histoire, et de la remise en cause des stéréotypes et des effacements qui vont avec. La démarche de
Shelley Puhak est délibérément engagée sur cette voie, comme le justifient introduction et conclusion.
Sur un plan plus personnel, j'ai été complément fascinée par les développements autour du personnage de Radegonde de Poitiers, reine devenue moniale, véritable éminence grise de son temps, qui a grâce au christianisme défendu son indépendance et structuré son influence diplomatique et politique. Populaire, puissante, Radegonde a été canonisée et son aura est toujours présente dans la région poitevine où elle avait fondé son monastère de ste Croix. À tel point que je la connais depuis mon enfance, ma grande tante portant son prénom, venu d'un autre temps...
Dans une période d'une grande violence politique, marquée par les luttes fratricides entre factions, Radegonde a trouvé dans l'adhésion au catholicisme un instrument de pouvoir pour se défendre contre son époux qui l'avait kidnappée (et même pour échapper, si j'en crois les récits de l'époque rapportés par
Shelley Puhak, aux viols conjugaux. Radegonde, épouse du roi Clotaire, père des époux fratricides de Brunehaut et Frédégonde, apporte aux femmes de sa famille soutien et conseil, parfois refuge dans son couvent.
Pour moi qui espère une relecture de l'histoire de l'Eglise teintée d'une dose raisonnable de féminisme, ou plutôt, de vérité intellectuelle, la figure de Radegonde est une des révélations de cette lecture qui m'a passionnée en général, et me permet de mieux me repérer dans l'histoire de France du haut moyen âge.