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Juliette, jeune orpheline de dix-neuf ans, débarque un jour dans un village suisse, dans le canton de Vaud, venant de ses Caraïbes natales, Santiago de Cuba précisément. Elle est la nièce de Milliquet, vous savez, celui qui tient l'auberge là-bas au milieu du village. Elle vient trouver refuge chez son oncle, qui reste sa seule famille et qui l'accueille. Un peu déstabilisés au départ, les Milliquet se disent qu'elle pourra aider à l'auberge. Mais dès les premiers jours, la jeune fille ne quitte pas sa chambre, et plus tard, lorsqu'elle la quitte, on sent bien ici que sa beauté à la fois étrange et innocente sème peu à peu le trouble parmi la clientèle des habitués et les habitants du village.
La beauté de Juliette finit par énerver, diviser les hommes qui la convoitent, rendre furieuses les femmes, même le couple Milliquet commence à se quereller. Elle décide alors de s'enfuir...
Elle s'en va un jour pour rejoindre en contrebas de la vallée, au bord du lac Léman, un hameau de pêcheurs dont l'un d'entre eux, plus âgé que les autres, qui s'appelle Rouge, la recueille dans sa cabane, il devient pour elle un peu comme un grand-père épris de tendresse. Là-bas la jeune fille est dans son élément. Elle se sent familière dans ce monde parmi les filets, l'odeur de poissons et les barques, elle devient presque un élément à part entière de ce paysage aquatique.
Ici elle vient réveiller l'eau, la pierre de la montagne, l'air minéral et le coeur si taiseux des hommes. C'est peut-être elle la lumière éperdue qui éclaire le paysage d'un éclat nouveau.
C'est presque encore un endroit sauvage, enfermé comme un vase clos depuis des générations.
Le dimanche, il y a l'accordéon de ce petit ouvrier cordonnier italien bossu, un peu de musique c'est comme un air de fête, c'est aussi comme une note différente dans l'éclat du jour. Ces deux-là sont d'ailleurs et se comprennent, se ressemblent peut-être à cela. Et puis ils ont le langage de la musique. Pourtant il n'y a peut-être pas de place ici pour eux.
Ici dans le commencement de juin, la lumière du paysage rebondit sans arrêt sur ses gestes, sur sa peau, dans sa façon de danser. Ses bras sont comme des ailes, ses yeux sont des chants d'oiseaux et la langue de Ramuz vient tourner autour de la danseuse, l'enlacer, effleurer l'innocence de son âme qui est loin de penser qu'elle jette un trouble aussi grand dans cette société figée dans les habitudes, égoïste, agacée par les désirs et les convoitises. Elle est comme un miroir où les eaux du lac viennent se refléter. Elle est simplement éprise de liberté.
Ici, au bord de ce lac, c'est là que tout est prêt à vaciller, à s'embraser, tandis que le vieux Rouge songe déjà à adopter Juliette.
Pourtant l'attitude de Juliette n'a rien de provocante et sa beauté n'a rien d'outrancière, mais il y a quelque chose qui se passe brusquement dans ce paysage de montagne et c'est peut-être cela la force de l'enchantement.
Juliette est simplement en harmonie avec les éléments du ciel, de l'eau et de la terre.
La Beauté sur la terre est le quatrième roman que je lis de Charles-Ferdinand Ramuz.
Ce roman n'a pas cessé de me surprendre, comme la beauté de cette jeune fille surprend la quiétude des hommes de ce village vaudois. Il surprend, il enchante, il envoûte. Je me suis demandé dans quelle histoire j'étais plongé, un récit champêtre ? Une scène pastorale en paysage vaudois ? Un conte onirique ? Sans doute tout cela un peu, mais certainement quelque chose de bien plus puissant encore...
Et j'ai compris brusquement que c'est cette écriture qui était un peu la fautive, celle qui m'avait fait vaciller dans le charme du récit, la magie de la langue poétique de Charles-Ferdinand Ramuz dans une non-concordance des temps surprenante, déstabilisante, mélangeant l'imparfait et le présent parfois presque dans la même phrase, cassant toutes les certitudes, tous les codes, toutes les habitudes figées dans ce paysage minéral depuis des siècles, ouvrant ainsi le paysage des pages pour y déverser des flots de lumière.
Parfois, l'écrivain nous invite même à entrer dans le récit en tant que narrateur comme si nous avions vécu un peu de cette histoire.
C'est une langue qui caresse, qui trébuche, qui cogne comme le fracas d'une barque sur l'eau, comme des forces obscures souterraines, à la fois invisibles et présentes, ce sont des cris d'oiseaux dans un ciel éventré.
Ce roman n'a pas cessé de me surprendre et de m'envoûter. Et Charles-Ferdinand Ramuz aussi.
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Comment faire quand on a trois critiques à  écrire sur trois livres époustouflants d'un  même auteur?

Un auteur, avouons-le,  qu'on vient juste de découvrir- qui est mort depuis plus de 70 ans-  et dont , avec le zèle du néophyte, on voudrait crier sur tous les tons et sur tous les toits que c'est un génie méconnu, oublié , qui mériterait cent fois qu'on abandonne séance tenante, pour lui, toutes les petites parutions alimentaires et accessoires qui font souvent notre pâture quand nous cédons à la facilité, à la paresse, à l'air du temps...

Tant pis pour le recul de la réflexion,  pour la chronologie de mes lectures,  je remets à plus tard, pour l'instant , ses deux plus grands succès, Derborence et La grande Peur sur la Montagne, pour vous parler, comme je pourrai, de la Beauté sur la terre que je viens de refermer.

Pour tenter de rendre un peu de  l'éblouissement qu'il m' a donné , pour partager , à chaud, la surprise, l'enchantement...

La Beauté débarque sur les bords d'un lac suisse : c'est la nièce orpheline de Milliquet, le cafetier du village; elle vient des îles,  du chaud, du soleil, de la musique et de la danse. Elle vient d'ailleurs. Elle s'appelle Juliette. 

Les hommes sont happés,  captivés, alléchés. Les femmes furieuses, jalouses, délaissées. Les choses, seulement elles, se mettent au diapason: les montagnes se font l'écrin de sa beauté, le lac son miroir,  les oiseaux la célèbrent. Mais seule la musique sait lui parler, la charmer, l'emmener. Même si le musicien est bossu. Et italien. Venu d'ailleurs lui aussi.

Dit comme cela, on a une sorte de conte, un peu convenu, à mi-chemin entre Blanche-Neige et les sept Nains- un des vieillards concupiscents, s'appelle Rouge... un petit frère de Timide ou de Grincheux?- et le Joueur de Flûte de Hamelin, à cause du maléfique effet de la Beauté sur la terre des hommes, et à cause de la musique qui sait si bien emporter avec elle ceux qui lui ressemblent, loin des miasmes et des désordres. ..

Mais ce ne serait alors qu'un récit faussement réaliste, vaguement régionaliste,  teinté de merveilleux. Un conte acclimaté en quelque sorte.

On est loin du ...conte!

Ramuz , de toute la force de sa plume,  y introduit le DOUTE , donnant au récit une dimension fantastique qui transforme le conte en fable mystérieuse,  en apologue crypté,  sans rien enlever au charme du récit,  ni à la tension qui monte pour culminer dans une scène finale extraordinaire,  sur fond d'orage et de fête foraine- j'ai pensé  aux nombreuses scènes de fête chez Louis- Ferdinand Céline, grand admirateur de Ramuz : même talent visionnaire même désordre organisé, même  poésie!-   une  scène finale, donc, où les ravisseurs de tout poil, embusqués qui sur le lac, qui sur la falaise, qui sur le pont de danse,  se préparent à être les dindons de la farce...

Ce doute, il est créé de toutes pièces par la seule magie de la langue qui fait éclater toute description de Juliette en mille fragments,  incapables de reconstituer un tout -la Beauté n'est pas de notre monde, de notre prise...- alors que tous les autres personnages sont dessinés à grands traits réalistes , campant des silhouettes  rustiques et solidement incarnées .

La langue joue avec les temps, présent - passé, faisant entre eux un va-et-vient incessant qui semble défier toute chronologie:   présent de narration ou reconstitution volontairement tâtonnante d'un fait ancien, marqué dans la mémoire collective? On doute...

Car qui parle? Qui est ce "nous", parfois ce " je" ? Là aussi, comme le musicien de Hamelin égarait les enfants de sa flûte,  Ramuz se plaît à égarer le lecteur: tantôt c'est un "on",  un "nous" rural et collectif, tantôt c'est un "nous"  clanique -ceux de l'eau contre ceux de la terre-  tantôt c'est la voix d'un prédateur en embuscade, tantôt même celle de la petite Emilie, délaissée par son Maurice, petite belle- de -la -terre dont son amant ne veut plus depuis qu'il cherche désespérément la Belle -sur -la -terre qui lui a dévoré les yeux et le coeur-  la petite Emilie si touchante sous son chapeau de paille trempé,  dans sa robe de mousseline mouillée par l'orage, avec ses deux mains jointes et son coeur en charpie, dernière image tragique de cet étonnant récit, figure désolée de ce qui reste quand la Beauté nous a quittés...

Dans ce doute, si magistralement,  si finement créé,  toute lecture devient nécessairement plurielle, tout fait signe et rien n'est signifié. 

Ramuz a inventé,  avec sa langue, un nouveau fantastique, largement ouvert sur toutes les significations que notre imagination, notre sensibilité,  notre sensualité, portées par elle, se plaisent à explorer,  à expérimenter.

Les "clés " ,  si  elles existent,  ont moins d'importance et d'attrait que le voyage auquel elles nous invitent.

"Un trait de diamant sur une vitre" disait Julien Gracq en parlant de la trace indélébile de la Route dans sa mémoire : j'aurais bien envie, pour ma part,  de reprendre cette expression pour ce livre-là.

Je crois même que je vais aller déranger mon panthéon babélien pour lui faire de la place..

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Décidément mes lectures de Ramuz (j'en suis au 5ème roman) ne sont, pour le moment que de belles découvertes.
Pourrais-je oser dire que j'ai été encore plus touché par ce dernier roman que par les précédents, peut être pas sur le fond, qui pour moi, le rapproche d'Aline, mais plus encore par la prodigieuse virtuosité de la mise en scène, qui, semble-t-il, déconcerte certains lecteurs.

Car c'est comme un film qui se déroule devant les yeux du lecteur, avec toutes ces images. Ici, plus encore que dans les autres romans, l'utilisation des « on » ou d'autres procédés, tels le découpage du texte, permettent de créer des points de vue différents, extérieur, intérieur aux personnages. Un exemple, la déambulation de l'ouvrier italien avec ses paquets, que le texte nous donne à voir de façon saisissante.
Et aussi, le rythme du récit change selon l'intensité de l'action. Ainsi en est il par exemple de ce rythme haletant lié à la poursuite de Juliette, l'héroïne, puis l'agression de celle ci par Ravinet, le Savoyard, de même de la fin du récit, de cette atmosphère d'orage, de la folie incendiaire du Savoyard, d'une fin où feu et eau se mêlent jusqu'à ce que que Juliette et le bossu, ce petit cordonnier italien, disparaissent dans le brouillard.
Il y a aussi cette façon saisissante, émouvante parfois, d'exprimer par touches impressionnistes, des sensations et des sentiments, par exemple ceux de la petite Émilie, la fiancée de Maurice Busset.

L'histoire en elle même est cruelle, et pessimiste, cette fois encore, comme elle l'était dans le récit d'Aline.
Milliquet, tenancier de boissons au bord du Lac Leman, reçoit de son frère, qui vient de décéder à Santiago de Cuba, et avec lequel il n'avait plus de liens, la demande de prise en charge de sa fille Juliette, âgée de 19 ans. Après en avoir discuté avec son ami Rouge, il accepte et voilà qu'arrive sa nièce, une jeune fille d'une extraordinaire beauté.
Alors, pour Juliette, c'est l'enchaînement des haines et des convoitises, voire même des tentatives d'agression sexuelle de la part du Savoyard, un homme brutal, ouvrier de chantier. Chassée de l'auberge par la femme de Milliquet, une marâtre agressive et jalouse, elle trouve un moment de bonheur chez Rouge qui accepte de l'héberger et qui la fait participer à son activité de pêcheur partagée avec Decosterd son employé. Bonheur amplifié par la venue de l'ouvrier cordonnier italien, un bossu virtuose de l'accordéon, dont la musique remplit de joie Juliette. Mais ce bonheur ne sera que de courte durée, la méchanceté et la manipulation séviront, au détriment aussi d'Emilie, la fiancée d'un Maurice Busset auquel la beauté de Juliette a fait tourner la tête. Je ne dévoilerai pas jusqu'où va cette folie, ni la fin en suspens.
Oui, le constat cruel, c'est qu'il n'y a pas de place pour la beauté sur la terre, comme cela est répété plusieurs fois dans le roman, pas de place pour la beauté féminine de Juliette, pas de place pour la beauté de la musique du bossu, pas de place pour la beauté de l'amour de la petite Émilie pour Maurice. « Il n'y a pas de place pour moi, ici » dira le bossu, puis, s'adressant à Juliette «il n'y a pas de place pour vous non plus ».

Enfin quelque mots pour dire la poésie des images de la montagne, du ciel, du lac, et aussi la beauté de la symbolique de l'eau, et d'une Juliette, créature associée au monde aquatique, ondine ou Vénus sortie des eaux?

Et aussi pour vous faire part de mon sentiment, qui vous paraîtra peut-être incongru, de la parenté de Ramuz avec Duras, enfin avec toutes ces romancières et romanciers « poétiques », qui disent sans vraiment dire, chez qui le discours est enveloppé de mystère.
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C'est le 2ème livre que j'ai la chance de savourer. Une plume poétique, délicate, tout en subtilité, c'est magnifique. En lisant, on se projette très facilement dans le décor, comme si le livre était un grand écran blanc, où se déroule le cours du récit. Tout est bien mis en avant, pour nos sens soient en alerte. Beaucoup de couleurs, c'est presque une peinture également. L'âme du poète se fait peintre pour notre plus grand bonheur.
Les personnages sont adorables, attentionnés pour certains mais bien évidemment, le contrepoids se compense par des gens malveillantes. Cette Juliette qui arrive au village, c'est comme une révolution dans bien des esprits. Comment elle va être accueillie, traitée puis recueillie etc… mais cela je vous laisse le découvrir.
Toute la beauté sur terre, est au sein de ces pages, l'auteur a su nous offrir un moment de plénitude, savoir se poser là et se dire : que c'est beau toute cette nature, ces instants présents, ce silence ou ce chant d'oiseau, ce petit vent, ce parfum, l'aube qui rayonne etc… c'est magnifique. Et tout à fait dans l'esprit d'un poète qui sait regarder avec son coeur plus qu'avec ses yeux.
Je ne peux que vous recommander d'aller découvrir ces auteurs d'une autre époque qui avaient un style qu'on a bien du mal à croiser de nos jours.
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Dernier roman sorti de ma bibliothèque avant le marathon de la rentrée littéraire 2021 : « La beauté sur la terre ». C. F. Ramuz est un auteur suisse encensé par la critique et les écrivains (ex : Joseph Incardona), d'où ma curiosité.
Le thème du livre est classique (lire : 37,2° le matin, L'été en pente douce ou L'été meurtrier) : une femme à la beauté incandescente débarque dans un village de péquenauds et y sème le trouble. Ici, elle s'appelle Juliette. Elle a du sang brésilien. Sa présence ensoleille les sombres versants de la montagne où les hommes se disputent sa candeur. « Est-ce qu'on sait que faire de la beauté parmi les hommes ? ». L'admirer ou la désirer ? La protéger ou à la chasser ? C'est à l'aune de ces alternatives que la vraie nature des habitants se révèle. Mais Juliette a jeté son dévolu sur un italien bossu qui joue de l'accordéon et la ramène, par sa différence, à sa propre identité (le clin d'oeil à V. Hugo est savoureux).
La langue est vernaculaire, surannée, ordonnée pour la contemplation, étrangement sensuelle (p170-172). À ce propos, le passage de la bête courant après la belle, au pied du lit de la rivière Bourdonnette (p180-190), est un modèle du genre qui, à lui seul, justifie la lecture de ce livre.
Comme le dit l'auteur, p319, souvent « quand on ne peut pas avoir, on détruit ». L'altérité dérange et fascine. La Suisse n'est pas réputée pour sa politique en faveur des Arabes en général et des musulmans en particulier. Pourtant, savez-vous quel est le premier mot clé utilisé par les Suisses quand ils regardent du porno ? « Beurette ». CQFD, je pose ça là.
Bilan : 🌹🌹
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L'histoire se passe en1927,Milliquet , aubergiste dans un petit village vigneron Vaudois, accueille sa jeune nièce, qu'il n'a jamais vue, partie de Cuba, à la mort de son père.
L'arrivée de cette jeune fille , d'une extraordinaire beauté,provoque un grand trouble dans la petite communauté.....
Sa présence bouleverse très vite l'équilibre, provoque le scandale et le trouble parmi les habitants, attise les convoitises, les jalousies et les rancoeurs......
Les hommes la convoitent, les femmes s'en méfient,chassée de l'auberge Juliette s'installe chez un vieux pêcheur,seulement voilà, sa beauté étrange continue d'attiser le désir chez les jeunes hommes du village.....

Ce désir devient passion ,frustration, violence, tentative d'enlèvement .........devant la folie des hommes Juliette s'enfuit au bras d'un accordéoniste bossu.....
Mais Ramuz insiste en décrivant la bassesse des hommes, peut - on s'approprier la Beauté, oui ou non?
La beauté peut rééchanter le monde, illuminer la terre, l'air , l'eau mais est - elle pour les hommes qui la désirent et la contemplent, une bénédiction ou non?
L'auteur interroge la place de la beauté, de la poésie, de l'art parmi les hommes qui ne rêvent que de la posséder, donc de la détruire?
"Rien ne dure sur la terre, nulle part la beauté n'y a sa place bien longtemps".
C'est un message pessimiste......
Le récit saute sans cesse du présent au passé , cela a gêné ma lecture.







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On pourrait palabrer longtemps sur le titre de ce roman : La beauté sur la terre . Charles-Ferdinand Ramuz ôte tout effet mystique dans le simple fait que ce soit la beauté sur LA terre et non pas la beauté sur terre. On comprend tout de suite que cette beauté est toute concrète, qu'elle n'est pas dans nos têtes, mais que l'on peut y goûter, la sentir, la toucher et la voir. Si la jeune fille, Juliette, en est l'incarnation même, on remarque aussi que cette beauté transpire dans les paysages de la Suisse romande : entre un panorama de montagne, des petits cours d'eau et la belle étendue, parfois miroitante, parfois sombre, du lac Léman.
Il semble toutefois que les villageois ne sachent pas apprécier la beauté de LEUR terre, ni la beauté de leurs femmes, comme la jeune Émilie, délaissée soudainement par Maurice. le déchaînement des passions à l'arrivée inattendue de l'exotique jeune fille met au grand jour leurs désirs de nouveauté. Tel un grand coup de pied dans la fourmilière, cette arrivée accélère le rythme cardiaque du village. C'est cette question du renouvellement qui fait tout l'intérêt de ce récit. Au-delà du style formel si particulier de Ramuz, très proche de l'oralité populaire de son pays natal, La beauté sur la terre décrit bien cette atmosphère souvent étouffante des petites communautés rurales, où tout semble endormi et résigné.
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Peu connu, l'écrivain suisse francophone Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) est pourtant l'auteur d'une oeuvre forte et originale, à l'atmosphère noire et au style poétique.

Ses histoires se déroulent dans les Alpes natales de l'auteur, et mettent en scène des personnages écrasés par un destin funeste comme par les montagnes qui les entourent. « La beauté sur la terre » en est un nouvel exemple. Milliquet, tenancier d'un café dans un village au bord du lac Léman, apprend la mort de son frère, émigré depuis de nombreuses années à Cuba. Ce dernier laisse une orpheline de 19 ans, Juliette, qu'il demande à son frère, dans ses dernières volontés, de recueillir. L'arrivée de la jeune fille, extraordinairement belle, va provoquer un grand trouble dans la petite communauté. Tous les hommes, jeunes ou vieux, la convoitent, les femmes s'en méfient. Non loin vit Urbain, un ouvrier cordonnier, immigré italien et bossu, un joueur d'accordéon dont la musique et la marginalité attirent Juliette.

Après une rixe dans le café, Juliette est chassée de chez son oncle sous la pression de la femme de celui-ci. Elle trouve refuge chez Jules Rouge, pêcheur de soixante ans qui la prend sous sa coupe, heureux de combler sa solitude. Mais Milliquet, pressé par des problèmes d'argent, veut récupérer la jeune fille qui peut lui attirer une nombreuse clientèle. Il met le juge aux trousses de Rouge pour détournement de mineure. Juliette risque de se retrouver dans un orphelinat. Rouge propose alors à la jeune fille de fuir en France. Dans le même temps, d'autres villageois décident d'enlever Juliette pour la mettre en pension chez la tante de l'un deux. de son côté, Urbain décide d'unir leurs deux solitudes et de partir sur les routes avec elle.

« Car est-ce qu'on sait que faire de la beauté parmi les hommes ? » Ramuz interroge la place de la beauté (de la poésie ? de l'art ?) parmi des hommes qui ne rêvent que de la posséder, et par là de l'abîmer. Juliette en est une sorte de figure allégorique, car jamais Ramuz ne nous dit à quoi elle ressemble exactement. Seuls Urbain et Rouge sont capables de la respecter et de la préserver, peut-être parce qu'ils partagent cette solitude qui hante les personnages de Ramuz et les condamne à ne jamais pouvoir s'unir.

Le tragique est au coeur des romans de Ramuz. Ce qui frappe chez cet auteur par-dessus tout, c'est un style incomparable, qui n'est pas sans analogie avec celui de Giono pour ce côté « régionaliste », par ailleurs totalement artificiel (on ne s'exprime pas comme ça dans la Provence de Giono ou la Suisse romande de Ramuz). Ce qui fait illusion, c'est cette façon de « mal écrire exprès » que lui reprochaient tant les critiques, de malmener la syntaxe et la grammaire, de mêler sans transition passé et présent, etc., mais qui crée une langue puissamment évocatrice et lyrique.

Après avoir lu il y a bien longtemps « Jean-Luc persécuté », la lecture de « La beauté sur la terre » m'a plus que jamais donné envie de poursuivre la découverte de l'oeuvre de Ramuz, en particulier avec « Derborence », considéré comme son chef-d'oeuvre.


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Publié en 1928, ce roman fait partie de l'expérimentation de Ramuz vers une redéfinition du roman. Ramuz a alors 50 ans.
Le personnage principal du roman reste, d'un bout à l'autre du roman, sans contours précis. C'est Juliette, l'enfant du frère d'Amérique de Milliquet, envoyée à Milliquet à la mort de ce frère. Milliquet dont le commerce au bord du lac va si mal et dont la femme irascible fait de la vie un échec, en fait. La beauté sur la terre, c'est Juliette. Sa venue sur la terre vaudoise fait merveille. Tout à coup, le public est nombreux au commerce de Milliquet (c'est une café avec une grande terrasse). Mais la beauté sur la terre suscite envies, convoitises et déceptions. La plupart des hommes paraissent incapables de contemplation. Tel est le ressort du roman.
Tout y est écrit au moyen de traits vifs et épais, qui ne craignent pas d'être incomplets et approximatifs. Leur but n'est pas la précision de la description, mais la naissance d'impressions et de sentiments. La redéfinition du roman imaginée par Ramuz ne va pas du tout dans le sens des expérimentations structuralistes du "nouveau roman", qui enlèvent la chair pour pénétrer au scalpel l'être de l'homme. Non, la redéfinition pensée par Ramuz consiste tout au contraire à approcher le coeur de l'être de l'homme, infiniment fragile et indécis, indéfinissable et passionnant, c'est-à-dire source de souffrance. Souffrance, oui, mais dans une direction dont le salut n'est jamais totalement absent. le roman de Ramuz est un roman dans lequel une conviction s'exprime, dans l'imparfait du présent.
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Je poursuis ma découverte de la littérature suisse romande, poussée par mon professeur de français (suisse également, bien entendu)…Avec une déception de plus. Si Ramuz est applaudi par nombre de ses pairs, son oeuvre « la Beauté sur la Terre » m'a tout simplement barbée.
Le style utilisé se veut rapproché du langage parlé du Lavaux ; le narrateur fait parler les différents habitants du village selon leur extraction paysanne, et ne cache pas en faire partie lui aussi. Au-delà du scénario s'enchaînent les changements brusques de temps sans raison apparente, les expressions détestables du pays de Vaud ainsi que les tournures de phrase qui feraient grimper au plafond tout adepte de la grammaire.
Il est dit que Ramuz est un excellent écrivain, et qu'il sait d'ailleurs parfaitement se servir de cette dernière ; certaines personnes le louent pour avoir osé s'exprimer tel que ses personnages l'auraient fait…Original sans doute, mais très peu agréable comme lecture.
Les nombreuses descriptions du paysage du Lavaux et des environs du lac Léman accrochent toute personne ayant déjà vu ses lieux ; on s'y replonge instantanément. Mais quel dommage que ce style simple et délibérément mal tourné vienne gâcher ces courts passages !

Du côté de l'histoire, le scénario est plutôt simple : une jeune fille élevée aux Caraïbes, dont le père est originaire du Lavaux, revient au pays (ou plutôt découvre son pays d'origine) suite à la mort de ses parents, accueillie chez son oncle. Cette beauté timide et exotique fait chavirer la vie des pêcheurs, vignerons et autres paysans de la région, qui se pressent tous pour la voir quand elle n'aspire qu'à écouter l'Italien bossu et son accordéon. Telle une pierre lancée dans des eaux calmes, Juliette est décrite comme « la lumière au milieu de l'ombre », et les descriptions de sa beauté et de la manière dont elle percute parmi les Vaudois sont multiples et…trop longues. On se perd au cours de l'histoire qui s'allonge et n'en finit plus, bien que le livre ne fasse que 200 pages.
Une grosse déception donc, pour un récit qui détient de jolies idées, mais est définitivement trop lourd.
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