Fouras, petit village à l'embouchure de la Charente. Hiver 1879.
À terre : Amélie, rejointe par d'autres femmes, s'abîme les yeux à scruter l'horizon tout embrumé pour tenter d'accrocher du regard un petit bout de voile par-dessus les vagues qui déferlent.
En mer : Une chaloupe ne peut plus rejoindre son port d'attache et un mauvais choix pour retourner tout de même sur terre engloutira Joseph et Pierre, laissant deux nouvelles veuves anéanties.
Remontant son arbre généalogique,
Frédérique Remy sort de l'oubli quatre femmes dont Amélie, son arrière-arrière-grand-mère. Des femmes qui, pour la plupart, portaient bien souvent la coiffe de deuil suite aux différentes tempêtes qui prenaient les pêcheurs. Parfois les corps revenaient s'échouer sur le rivage et offraient la maigre consolation d'une sépulture sur laquelle se pencher.
L'auteure nous donne à lire leurs douleurs, l'extrême pauvreté conséquente à leur veuvage, leurs combats pour rester debout malgré les hivers rigoureux et les maigres repas à offrir à leurs familles. Mais on perçoit aussi la solidarité de ce milieu souvent éprouvé, les espoirs dans l'évolution du village, le courage qu'elles puisent les unes chez les autres et au fond d'elles-mêmes pour ne pas faiblir face aux enfants qu'il faut nourrir. On se rend compte de la famine subie en accompagnant ces femmes dans la forêt en quête de subsistance et qu'elles se réjouissent de trouver et piller le nid d'un écureuil pour se régaler des noisettes qu'il a stockées.
Les sensations et les sentiments sont très bien décrits : « il envoya ses mains au fond de ses poches pour y chercher un peu de chaleur ». « Quand aucune parole ne peut être consolation, le silence devient parfois la plus belle preuve d'amour ! ». Il y a également, saupoudré, le patois de ce terroir. Quelques très belles gravures et copies d'articles de journaux viennent illustrer ce témoignage d'une autre époque, pas si lointaine.
Alors que Fouras est en route vers le changement avec la ligne de chemin de fer qui arrive, les bains de mer qui ont le vent en poupe, ce roman dynamique nous fait vivre les bouleversements progressifs dans l'existence jusqu'alors si enclavée des Fourasins. Les débuts du tourisme bourgeois exacerbent la perception qu'ils ont de leur misère.
Amélie et son envie irrésistible de décisions bravera les réticences et les observations de son homme. Les femmes aussi peuvent se faire entendre et, pas après pas, tentent de glisser vers un avenir différent et non plus immuable. Et c'est tout en douceur qu'Amélie s'appliquera aussi à ouvrir les yeux de son fils sur la place des filles et leur intelligence qui peut s'additionner à celle des hommes.
Reste qu'il est bien difficile encore à cette époque de changer de condition et les espoirs sont souvent déçus comme ce projet de port qui s'enlise alors qu'il serait vital pour abriter les chaloupes et éviter le nombre grandissant de veuves de ce petit village de pêcheurs. Mais les grandes agglomérations vampirisent déjà les budgets. le luxe des uns prime sur la survie des autres.
C'est un beau témoignage sur le frémissement de prise de conscience de ces femmes. Certaines d'entre elles ont un rôle à jouer bien plus important que de demeurer des mères au foyer, écrasées, méprisées, soumises à l'autorité ancestrale des hommes. Ce récit est très attachant, il fait partie de ces oeuvres qui restituent une époque plus ou moins lointaine et nous remémorent la vie d'autrefois, quelques générations seulement en arrière, durant laquelle l'essentiel n'était même pas assuré à chacun, où la vie était souvent survie.
Merci à Masse Critique. Merci aux éditions
La Bouinotte, j'ai également beaucoup apprécié la qualité de votre ouvrage : format, papier utilisé et le choix de la magnifique peinture de couverture de Johannes Blommers.