Certainement l'un des auteurs de hard science-fiction les plus connus au monde, le britannique
Alastair Reynolds retrouve une second souffle en France grâce aux éditions du Bélial'.
Après son arrivée dans la collection Une Heure-Lumière avec
La Millième Nuit, c'est avec un roman qu'on le retrouve aujourd'hui dans l'Hexagone, à savoir l'intriguant Éversion. Traduit de main de maître par
Pierre-Paul Durastanti, le récit nous transporte au XIXème siècle à bord de la goélette de cinquième rang, le Demeter, et son exploration des côtes norvégiennes…
Vers l'Ailleurs…
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on ne s'attendait pas du tout à se retrouver là, au coeur d'une expédition maritime dont les tenants et aboutissants restent pour le moins obscurs dans un premier temps. Ce qui est certain par contre, c'est que notre narrateur est médecin-chirurgien de bord, Silas Coade, et que son art sera mis très rapidement à contribution lorsqu'un roc s'abat sur le crâne du colonel Ramos. S'ensuit une séance de trépanation à la française pour éviter que l'hématome extra-dural n'emporte le malheureux dans la tombe. Malgré cette mésaventure, le Demeter poursuit sa route à la recherche d'une faille qui le mènerait tout drôle vers un lagon caché et un Édifice aussi mystérieux que dangereux (et dont personne ne connaput l'orgine). C'est en retrouvant l'épave de l'Europe, un précédent navire bien moins chanceux, que les choses se compliquent. Topolsky, généreux mécène de toute cette aventure n'a pas vraiment tout dit au capitaine van Vught.
Alastair Reynolds nous ferait-il son
Dan Simmons en nous proposant une variation norvégienne du célèbre
Terreur ?
Une expédition maritime, des glaces menaçantes, quelque chose qui semble s'en prendre aux explorateurs…
Sauf que voilà, l'auteur britannique a quelque chose de radicalement différent en tête. Rapidement, Silas trouve la mort… et se retrouve en fait au pôle sud sur un navire à vapeur… ou serait-ce sur un dirigeable après la Grande Guerre en Europe ? Les histoires s'enchaînent et résonnent, parsemées d'échos familiers et de motifs bien trop constants pour être le simple fruit du hasard… Mais que se passe-t-il à bord du Demeter et qu'arrive-t-il à Silas et les siens ?
Cette question occupe naturellement le centre d'un récit enchâssé où le lecteur va de surprise en surprise tout en comprenant, comme le narrateur, que quelque chose se trame en arrière-plan.
Les personnages restent les mêmes malgré quelques fluctuations de temps et de personnalités. le colonel Ramos semble être le plus proche de Silas, toujours blessé, toujours sauvé, toujours fidèle. Topolski complote constamment dans son coin et détourne l'expédition pour son propre profit, peu importe le coût en vies humaines. Dupin, le matheux de cette fine équipe, se sent de plus en plus mal à mesure que le mystère s'épaissit et qu'il tente par tous les moyens de le percer…et Ada Cossile… Ada la pinailleuse, la donneuse de leçons… en sait bien davantage qu'elle ne veut bien l'avouer !
Éversion est un piège qui se retourne sur lui-même au fur et à mesure que l'on progresse à l'intérieur…mais vers quoi ? Voilà bien toute la question…
Ressentir pour exister
De façon surprenante, surtout pour un roman étiqueté hard science-fiction, c'est bel et bien le ressenti des personnages et leur lente prise de conscience de la situation qui va venir ajouter au récit une touche à la fois humaniste et émotionnelle. Là où un
Greg Egan n'arrive quasiment jamais à surmonter la froideur de ses écrits et hypothèses,
Alastair Reynolds finit par tout miser sur son héros particulièrement atypique, à savoir Silas Coade.
C'est sa relation avec Ramos mais aussi avec Ada Cossile ou encore Raymond Dupin, qui va venir donner au récit sa conclusion déchirante.
Tout au long de ces trois cent pages, l'auteur n'aura cependant de cesse de revenir à cette question fondamentale en science-fiction et, plus largement, en philosophie : qu'est-ce qui fait la particularité de l'Homme ?
Alastair Reynolds propose une réponse aussi simple que touchante : sa capacité à compatir, à souffrir avec l'autre, à avoir de l'intérêt pour l'autre.
En bref, être humain, c'est faire preuve d'empathie.
Dès lors, Éversion peut certainement se concevoir comme un diabolique jeu de poupées russes science-fictif, reposant sur la théorie de l'éversion des sphères mais c'est surement sa capacité à rechercher ce qui construit une personnalité humaine et lui donne chair qui le rend véritablement intéressant. Par le souvenir, par l'acte de camaraderie, par la tristesse ou par l'attirance, et, surtout, par la capacité à survivre. Tout cela culmine dans ce récit volontairement entremêlé où l'on comprend peu à peu la terrible vérité que le narrateur refuse (très) longtemps de voir.
En additionnant une intrigue à tiroirs qui semble se rejouer en boucle en variant les temps et les lieux à une véritable réflexion sur le rôle de l'apprentissage des émotions pour l'homme de science,
Alastair Reynolds offre un récit aussi passionnant que rusé.
Inattendu, roublard et finalement terriblement touchant, Éversion étonne en prenant le lecteur à contre-pied. Cette aventure de science-fiction protéiforme transforme la froide réflexion mathématique en vibrante ode à une humanité retrouvée par la compréhension de l'autre… et
Alastair Reynolds nous offre ainsi un roman que l'on n'attendait pas, passionnant jusqu'au bout et déchirant sans prévenir.
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